– La reconnaissance, un aveu et un acte juridique. – La reconnaissance a toujours été analysée juridiquement comme étant à la fois un aveu – une reconnaissance-confession – et un acte juridique en raison de l'engagement que son auteur souscrit pour l'avenir – une reconnaissance-admission818. Si le notaire doit garder à l'esprit cette nature hybride de la reconnaissance (Sous-section I), il se doit d'être vigilant quant à la pratique des reconnaissances dites mensongères (Sous-section II).
L'objet de la reconnaissance
L'objet de la reconnaissance
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
La nature hybride de la reconnaissance
– Des réticences pour les praticiens ? – Les notaires sont souvent peu à l'aise lorsqu'ils sont confrontés à un client désireux d'établir une reconnaissance d'enfant, d'autant plus quand celui-ci est un adulte. La reconnaissance est un acte généralement établi par l'officier d'état civil – à titre gratuit – à la naissance de l'enfant. Dès lors, ce qui n'est pas habituel suscite des interrogations et des suspicions. Pourquoi cette reconnaissance intervient-elle si tardivement alors que le client a toujours su qu'il était le père de cet enfant ? Ou pourquoi n'apprend-il que maintenant qu'il est le père de celui-ci ? Existe-t-il un lien biologique entre l'enfant et le client ? Dans la mesure où l'acte de reconnaissance est un mode d'établissement de la filiation figurant au titre VII du livre I du Code civil faisant référence à la procréation charnelle, l'enfant à reconnaître ne peut être issu que d'une telle relation. Il semble alors qu'un lien biologique entre l'enfant et l'auteur de la reconnaissance doit « nécessairement » exister. Cependant, comment s'en assurer puisque l'expertise biologique n'est admise que dans le cadre d'une procédure judiciaire pour établir ou contester une filiation ? Le notaire peut alors avoir quelques réticences à établir l'acte de reconnaissance.
– La preuve du lien biologique n'est pas une condition préalable à la reconnaissance. – Néanmoins, ces réserves n'ont pas lieu d'être pour le praticien. La reconnaissance est considérée comme un acte de volonté reposant sur l'initiative de celui qui se prétend parent. Elle est également un acte de liberté – celle d'accepter l'enfant –, et ce, peu important qu'il y ait ou non un lien biologique. La loi n'impose pas – et ne l'a jamais imposé, jadis par la force des choses – comme condition de la reconnaissance d'être le parent biologique de l'enfant. Dès lors, elle peut être établie sans apporter la preuve préalable de ce lien de sang819. Pour autant, la reconnaissance présume l'existence de celui-ci, ce qui ressort d'un avis de la Cour de cassation.
– L'interrogation sur l'objet de la reconnaissance. – La chambre criminelle, amenée à se prononcer sur les conséquences pénales d'une reconnaissance mensongère820, a saisi la première chambre civile de la Cour de cassation quant à l'objet de la reconnaissance de paternité. Celui-ci « est-il d'affirmer l'existence d'un lien de filiation biologique susceptible d'une démonstration de son exactitude ou de son inexactitude ou bien seulement l'affirmation de la volonté de créer une situation juridique par laquelle le déclarant s'engage à prendre en charge l'éducation et l'entretien de l'enfant, indépendamment de l'existence d'un lien biologique ? »821.
– L'avis de la chambre civile de la Cour de cassation. – Dans l'avis du 5 avril 2023, les hauts magistrats n'ont pas tranché pour l'une ou l'autre voie et ont adopté une position d'entre-deux caractérisant la double nature de la reconnaissance. Si celle-ci est « l'acte libre et volontaire par lequel un homme ou une femme déclare être le père ou la mère d'un enfant et s'engage à assumer toutes les conséquences qui en découlent selon la loi, notamment celle de prendre en charge l'entretien et l'éducation de l'enfant (…), elle repose sur une présomption » selon laquelle celui qui se déclare parent l'est biologiquement. La reconnaissance est donc un acte volontaire reposant sur une présomption de vérité biologique, laquelle « peut être contestée, dans les conditions et dans les délais strictement définis par la loi, si la preuve contraire en est apportée »822.
L'absence de contrôle par le praticien à la réalité biologique
Il résulte de cette jurisprudence que le notaire chargé d'établir un acte de reconnaissance volontaire ne peut pas se faire juge de la sincérité (biologique) d'une reconnaissance et n'a pas « à contrôler la conformité de [celle-ci] à la réalité biologique »823.
Les difficultés liées aux reconnaissances mensongères
– Distinction entre reconnaissance de complaisance et reconnaissance frauduleuse. – Une personne reconnaît généralement un enfant parce qu'elle a la certitude – ou la croyance légitime – d'être son parent biologique. Cependant, parfois, et tout en sachant qu'elle ne l'est pas, une personne peut tout de même souscrire une telle reconnaissance pour des raisons personnelles. Cette reconnaissance dite « de complaisance », acceptée depuis longtemps en droit français, est bien évidemment mensongère. Néanmoins, parce que « son auteur s'engage par cet acte à assumer les conséquences du lien de filiation ainsi établi », elle « ne porte pas atteinte à l'ordre public » et ne peut donc pas « être contestée par le ministère public »824. Elle ne serait d'ailleurs pas « nécessairement frauduleuse s'il ne ressort pas de l'acte de reconnaissance lui-même le caractère invraisemblable de la filiation »825. Par suite, la reconnaissance de complaisance se distingue de la reconnaissance frauduleuse, elle-même mensongère. Cette dernière se définit comme étant celle souscrite par son auteur dans le seul but d'obtenir ou de faire obtenir à l'un des parents un avantage particulier et dont la finalité est étrangère à l'intérêt de l'enfant et à son éducation826. L'auteur d'une reconnaissance frauduleuse n'a pas l'intention d'assumer les droits et devoirs résultant du lien de filiation ainsi établi contrairement à la reconnaissance de complaisance ; raison pour laquelle cette dernière est tolérée par les autorités françaises tandis que l'autre est condamnée.
– Un outil contournant l'adoption. – Néanmoins, la reconnaissance de complaisance permet de contourner illégalement les règles relatives à l'adoption lorsque celle-ci est possible. Il est évidemment plus simple pour un homme d'effectuer une reconnaissance pour établir sa paternité à l'égard d'un enfant dont il sait pertinemment qu'il n'est pas le père biologique que de recourir à l'adoption dont la procédure est plus longue, coûteuse et éprouvante. Par ailleurs, mettre en œuvre une telle procédure, c'est aussi reconnaître ouvertement qu'il n'y a pas de lien biologique avec l'enfant alors que la reconnaissance laisse présumer son existence. Cependant, refuser d'admettre qu'une telle reconnaissance faite par un homme n'est pas frauduleuse est difficilement défendable. Certes, l'auteur de la reconnaissance assumera les droits et devoirs résultant du lien de filiation. Néanmoins, en recourant à la reconnaissance au lieu de l'adoption, l'auteur se dispense du contrôle du juge pour établir un lien de filiation, du consentement de l'autre parent et le cas échéant, de celui de l'enfant. L'objectif est donc bel et bien de créer un lien de filiation à l'égard de l'enfant en dehors de toute réalité biologique et de toute procédure d'adoption827.
– Un outil plus simple et rapide que l'adoption ou la possession d'état. – Il est des cas où l'adoption ne sera pas possible828. Par ailleurs, concernant la possession d'état, si les conditions sont réunies, il pourrait être établi un acte de notoriété constatant celle-ci. Néanmoins, la reconnaissance de complaisance étant plus simple, rapide et moins coûteuse qu'un acte de notoriété constatant la possession d'état dont l'appréciation des éléments de fait relève du notaire, il est certain que l'homme fera établir sa filiation par une telle reconnaissance.
– Une dimension symbolique. – Il existe également une dimension symbolique dans la reconnaissance : reconnaître, c'est décider soi-même de tisser un lien avec l'enfant, de le faire entrer dans sa famille. Selon une autre formule du doyen Carbonnier, c'est « un acte de volonté joyeuse et d'une gravité antique ».
– L'attitude du notaire face à une reconnaissance mensongère. – Si le notaire soupçonne le caractère frauduleux de la reconnaissance, il doit évidemment refuser de la recueillir. Pour la reconnaissance de complaisance, la situation est plus délicate au vu de l'avis rendu par la Cour de cassation puisqu'il s'agit d'un acte libre et volontaire par lequel une personne déclare être le père ou la mère d'un enfant et s'engage à assumer toutes les conséquences qui en découlent selon la loi. Pour autant, il paraît difficile pour un notaire de recevoir une reconnaissance dont il sait pertinemment que l'auteur n'est pas le parent biologique. Il établit un acte dont il ne peut pas assurer efficacement la sécurité juridique dans la mesure où la filiation peut être contestée et annulée en rapportant la preuve de l'absence de toute réalité biologique. Dès lors, seule l'adoption devrait être privilégiée pour établir la filiation à l'égard de l'enfant lorsque celle-ci est possible. En effet, lorsqu'elle est prononcée, elle est en principe irrévocable829. Il paraît donc bien être de l'intérêt de l'enfant d'établir une filiation stable sans possibilité de la remettre en cause selon la volonté individuelle des parents ou les aléas de la vie830. Néanmoins, cette vision n'est pas partagée par tous considérant que si la reconnaissance n'est pas frauduleuse, le notaire a l'obligation d'instrumenter831. Il y aurait en effet une atteinte au droit à la vie privée et familiale des individus dans la mesure où la Cour de cassation a précisément rappelé que l'élément clé est « l'engagement ».
– Une reconnaissance reposant sur une vraisemblance biologique. – La reconnaissance permet d'établir la filiation dans les familles où il existe une vraisemblance biologique. Néanmoins, est-il encore concevable aujourd'hui que certaines familles – dont les deux membres du couple sont de sexe différent – puissent recourir à la reconnaissance volontaire sans être suspectées d'être à l'origine d'une reconnaissance mensongère et contourner volontairement les règles relatives à l'adoption tandis que d'autres – dont les deux membres du couple sont de même sexe – seront contraintes de passer par une procédure d'adoption832 ? La réponse à apporter réside dans le fait que l'adoption consolide définitivement le lien de filiation à l'égard de l'enfant alors que la reconnaissance, certes facile, rend le lien de filiation fragile. Toutefois, la reconnaissance doit-elle encore reposer obligatoirement sur une présomption de procréation charnelle ?