– L'inapplicabilité des règles protectrices de la réserve héréditaire. – La tontine est un pacte par lequel les multiples acquéreurs d'un bien conviennent que le survivant d'entre eux sera réputé en avoir toujours été seul propriétaire. Il s'agit d'un contrat aléatoire et à caractère onéreux. Il repose sur le mécanisme de la rétroactivité d'une double condition : la condition suspensive de la survie de chacun des acquéreurs et la condition résolutoire du décès de chacun d'eux. En raison du caractère onéreux du contrat, les règles relatives à la réserve héréditaire sont exclues lors de la réalisation de la clause. Toute action en réduction d'un héritier est donc exclue.
L'objet de la clause d'accroissement : un bien immobilier
L'objet de la clause d'accroissement : un bien immobilier
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le souhait d'une consécration légale. – La jurisprudence a admis la validité de la clause de tontine017. Elle est également utilisée dans la pratique notariale. Pourtant, la clause de tontine ne fait pas encore l'objet d'une consécration légale. Les avant-projets de réforme du droit des contrats spéciaux, toujours à l'étude à l'heure où nous écrivons ces lignes, en proposent une définition.
– L'absence d'effet rétroactif de principe de la réalisation de la condition suspensive. – Depuis le 1er octobre 2016, afin que la suppression du principe de l'effet rétroactif de la réalisation de la condition suspensive ne remette pas en cause la clause de tontine, sur le fondement de la nullité des pactes sur succession future, le notaire doit expressément prévoir que la condition suspensive de la survie de chacun des acquéreurs aura un effet rétroactif, par dérogation au principe légal.
L'ordonnance du droit des contrats et la non-rétroactivité de la condition suspensive
L'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016 modifie les effets de la réalisation de la condition suspensive. Désormais, le principe de la rétroactivité est abandonné. La réalisation de la condition suspensive fait naître l'obligation qui devient pure et simple (son existence n'est plus affectée d'une condition ; al. 1er). La réalisation de la condition suspensive n'a donc, en principe, pas d'effet rétroactif, ce qui est une nouveauté par rapport à l'ancien article 1179 qui érigeait la rétroactivité en principe. Toutefois, les parties peuvent déroger à ce nouveau principe en prévoyant que « l'accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat » (al. 2). On considérera alors, fictivement, que l'obligation existait dès la conclusion du contrat et était pure et simple ab initio. Même si le texte ne mentionne que la possibilité pour les parties de faire rétroagir la réalisation de la condition au jour de la conclusion du contrat, rien n'empêche les parties de faire rétroagir la condition à une date différente de celle de la conclusion du contrat.
– Les inconvénients de l'absence d'indivision. – Il est admis que le pacte tontinier ne corresponde pas à une situation d'indivision. Tant que la condition du prédécès de l'une des parties n'est pas réalisée, celles-ci n'ont que des droits concurrents. Il en est ainsi du droit de jouir indivisément du bien. Ainsi, la coexistence de plusieurs droits de jouissance sur le bien peut faire naître un droit à une indemnité d'occupation018. En conséquence, l'article 815 du Code civil019 ne peut être invoqué par un des acquéreurs pour obtenir le partage020.
Chacune des parties peut céder ses droits conditionnels. Les parties peuvent aussi renoncer à la clause de tontine ou vendre le bien. Toutefois, l'impossibilité d'exiger la licitation risque, en cas de mésentente, de créer une situation difficile. Il en est ainsi notamment du défaut d'accord quant à la vente du bien ou à la renonciation à la clause de tontine et à la soumission du contrat au régime de l'indivision légale ou à un régime conventionnel. Les créanciers de l'un des tontiniers ne peuvent davantage demander le partage, sauf fraude, mais bien entendu, le créancier des deux acquéreurs peut exercer ses poursuites sur le bien acquis.
La mésentente des coacquéreurs peut alors aboutir à une situation inextricable, où un seul des « propriétaires » peut bloquer toute évolution. Seul son décès, ou celui de tous les autres « propriétaires », permet de régler la situation. Ce risque en cas de naissance de conflits dans le couple serait de nature à lui seul à proscrire la tontine en cas d'acquisition d'un bien immobilier.
– Réception de la tontine en droit international privé. – La clause de tontine est soumise aux conditions de validité de la loi applicable au contrat de vente. Il s'agit d'une modalité du contrat de vente.
Par ailleurs, en présence d'acquéreurs mariés, le notaire doit également vérifier qu'elle ne contrevient pas aux règles applicables au régime matrimonial applicable aux conjoints et notamment au principe de l'immutabilité du régime matrimonial. Dans l'affirmative, la clause d'accroissement permet de neutraliser la loi successorale.
– Exemple de la réception civile et fiscale de la tontine en droit allemand. – Une décision du Kammergericht de Berlin du 3 août 2023 refuse d'établir un acte de notoriété par les tribunaux allemands concernant une clause d'accroissement sur le fondement de l'article 1524 du Code civil. Un arrêt de la Haute Cour de finances du 4 juillet 2012 avait considéré que les avantages matrimoniaux résultant d'une clause d'accroissement au sens de l'article 1524 du Code civil doivent être requalifiés en droit successoral et ainsi être taxés selon les règles classiques de droit fiscal allemand. Contrairement au droit fiscal français, une telle clause ne sera donc pas exemptée de droits de mutation en Allemagne.
– Le civil ne tient pas le fiscal en l'état. – Bien que, nous l'avons vu, la clause de tontine présente un caractère onéreux et aléatoire, le législateur soumet aux droits de mutation à titre gratuit le transfert de propriété qui s'opère au profit du survivant. Dans la situation fiscale actuelle, qui exonère les conjoints survivants et les partenaires de Pacs de tous droits de mutation à titre gratuit en cas de décès de l'autre membre du couple, la fiscalité semble encourager ce montage pour les époux et les copacsés. Cette attractivité est renforcée par l'absence de fiscalité lors du dénouement de la tontine. En revanche, l'application des droits de mutation à titre gratuit proscrit un tel montage entre concubins.