– Une place pour les aménagements contractuels ? – Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 ayant instauré les deux régimes pacsimoniaux, les auteurs s'interrogent sur la possibilité de « concevoir un régime partenarial “à la carte” ou si l'on doit uniquement « se contenter des deux “menus” arrêtés par la loi »647 ? En d'autres termes, le Pacs se définissant comme un contrat, les partenaires ont-ils la possibilité d'aménager conventionnellement l'un des régimes proposés par le législateur, notamment celui de l'indivision d'acquêts ? Si les avis divergent (Sous-section I), la pratique notariale est constante pour refuser tout aménagement (Sous-section II).
L'impossible régime pacsimonial « à la carte »
L'impossible régime pacsimonial « à la carte »
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Des thèses doctrinales divergentes
– Une liberté contractuelle restreinte ? – Le Conseil constitutionnel a précisé que le Pacs est un « contrat spécifique » et que « le législateur s'est attaché à définir ce contrat, son objet, les conditions de sa conclusion et de sa rupture, ainsi que les obligations en résultant ; que si les dispositions de l'article 515-5 du Code civil instituant des présomptions d'indivision pour les biens acquis par les partenaires du pacte civil de solidarité pourront, aux termes mêmes de la loi, être écartées par la volonté des partenaires, les autres dispositions (…) revêtent un caractère obligatoire, les parties ne pouvant y déroger »648. Cette décision a certes été rendue sous l'empire de l'ancien régime de la double présomption d'indivision. Néanmoins, elle continue à s'appliquer aux régimes instaurés par le législateur depuis le 1er janvier 2007 pour la majorité des auteurs649. En conséquence, si deux personnes sont libres de conclure un Pacs, de le modifier à tout moment et de le dissoudre, elles ne peuvent opter que pour l'un ou l'autre des régimes mis en place par le législateur sans aucun aménagement possible. Pour fonder cette conception restrictive, les auteurs s'appuient tout d'abord sur la formulation injonctive des textes relatifs à l'indivision d'acquêts650. Ils soulignent ensuite qu'il n'existe pas de texte spécifique permettant aux partenaires de modifier librement leur convention de Pacs, contrairement aux époux qui peuvent le faire en vertu de l'article 1387 du Code civil. Enfin, permettre aux partenaires d'aménager l'indivision d'acquêts, notamment en l'étendant à des biens expressément exclus par l'article 515-5-2 du Code civil, reviendrait à leur offrir des avantages pacsimoniaux pour lesquels le législateur n'a pas prévu de protection spécifique pour les enfants non issus des deux partenaires.
– Une liberté contractuelle affirmée ? – D'autres auteurs ont, quant à eux, une conception bien plus extensive. Le Pacs est un régime empreint de liberté. Parce qu'il est un contrat, il a « une assise textuelle toute désignée : celle de l'article 1102 du Code civil, qui affirme un principe général de liberté des contrats. (…) Dès lors que la loi définit le Pacs comme un contrat, elle le fait en son entier entrer dans le champ contractuel sans besoin d'autre précision »651. Si les théories soutenues par chaque camp sont intellectuellement intéressantes et défendables, quelle attitude le notaire doit-il adopter ?
La pratique notariale
– Des avantages pacsimoniaux ? – Dans le régime de l'indivision d'acquêts, un partenaire peut contribuer à l'enrichissement de l'autre en lui faisant profiter des acquêts qu'il a financés seul pendant la durée du Pacs. L'absence de recours entre eux constitue « un mode exorbitant d'acquisition de la propriété »652. Cet avantage peut-il être constitutif d'un avantage pacsimonial ? Le législateur n'a pas conçu ce régime comme tel puisqu'il n'a pas créé d'action en retranchement pour les enfants des partenaires. Ainsi, la notion d'avantage pacsimonial n'existe pas dans le Pacs, les auteurs préférant y voir seulement un effet légal du régime des biens sous lequel les partenaires se sont placés. Néanmoins, la possibilité offerte à tous les couples de recourir à ce régime, sans correctif possible, interpelle dans certaines configurations familiales. Imaginons un couple, dans le cadre d'une famille recomposée, désireux de se protéger en cas de décès. Il pourra avoir intérêt, en présence d'enfants non issus des deux partenaires, à privilégier la conclusion d'un Pacs sous le régime de l'indivision d'acquêts au lieu d'un contrat de mariage prévoyant des avantages matrimoniaux653. Si celui-ci n'est point regardé comme une donation654, il en va différemment en présence d'enfants non issus des deux époux qui peuvent exercer une action en retranchement desdits avantages en vertu de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil. Rien de tel n'existe pour les enfants non issus des deux partenaires, lesquels peuvent se retrouver lésés par leur auteur si celui-ci a acquis seul des biens pendant la durée du Pacs. L'avantage conféré au partenaire survivant n'étant pas considéré comme une libéralité, les héritiers réservataires ne pourront pas demander la réduction de celui-ci pour atteinte à leur réserve. L'indivision d'acquêts, telle que conçue par le législateur, se révèle être plus protectrice pour les partenaires que la communauté conventionnelle pour les époux655.
– Une impossible extension de l'indivision d'acquêts. – Confronté à une demande des partenaires d'étendre le régime de l'indivision d'acquêts à tout ou partie des biens constituant leur propriété exclusive, le notaire répondra par la négative. L'indivision d'acquêts doit être considérée comme constituant « un maximum que les partenaires ne sont pas libres de franchir. Cette limite constitue le seul garde-fou visant à protéger les enfants issus d'une précédente union du partenaire prédécédé »656. Si l'apport d'un bien personnel à l'indivision d'acquêts est inconcevable, une indivision universelle, à l'instar de la communauté universelle, l'est également en l'absence de protection de la réserve héréditaire des enfants.
– Une impossible restriction de l'indivision d'acquêts. – De même, il ne semble pas davantage possible, à la lecture des textes relatifs à la composition de l'indivision d'acquêts, de limiter celle-ci « à telle catégorie de biens (par exemple, les biens meubles ou les biens non professionnels) ou, inversement d'en exclure certains »657, même si certains auteurs l'admettent658.
– La prohibition des pactes sur succession future. – En l'absence de textes spécifiques, le notaire se gardera bien de proposer aux futurs partenaires, au risque d'engager sa responsabilité, des clauses concernant la liquidation du régime de l'indivision d'acquêts comme une attribution intégrale de celle-ci au partenaire survivant ou son partage inégal, ou une clause de préciput, lesquelles constitueraient sans aucun doute des pactes sur succession future prohibés par la loi.
– Une faculté d'acquisition ou d'attribution en cas de décès. – Selon l'article 515-5-3, alinéa 2, du Code civil, les partenaires peuvent conclure, pour l'administration de leurs biens indivis, « une convention relative à l'exercice de leurs droits indivis dans les conditions énoncées aux articles 1873-1 à 1873-15 ». Ils ont ainsi la possibilité, en vertu de l'article 1873-13, alinéa 1er, du Code civil, de convenir « qu'au décès de l'un d'eux, chacun des survivants pourra acquérir la quote-part du défunt, ou que (…) tout autre héritier désigné, pourra se la faire attribuer à charge d'en tenir compte à la succession d'après sa valeur à l'époque de l'acquisition ou de l'attribution ». Cette faculté d'acquisition ou d'attribution doit impérativement être incluse dans la convention d'indivision établie à l'occasion de chaque acte d'acquisition659 ; celle-ci ne pouvant être prévue dans la convention de Pacs.
– Le mariage offre plus de liberté que le Pacs. – En 2010, nos prédécesseurs s'étaient déjà penchés sur ces questions, considérant que tenter de rapprocher l'indivision d'acquêts des partenaires de la communauté des époux ou « vouloir s'inspirer des régimes matrimoniaux pour appliquer systématiquement les mêmes solutions aux partenaires communautaires » était inapproprié660. Quinze ans après, ces sujets font toujours débat. Néanmoins, s'il fut un temps nécessaire d'essayer de rapprocher le Pacs du mariage dans la mesure où le second n'était pas autorisé pour les couples de personnes de même sexe, un tel alignement n'apparaît désormais plus nécessaire depuis l'ouverture du mariage pour tous661. En conséquence, et comme le souligne un auteur, « si le partenariat est bien autre chose que le mariage, s'il se cantonne au couple et ne se conjugue qu'au présent, s'il demeure plus pragmatique que symbolique, alors la frontière avec les régimes matrimoniaux se doit d'être bien tracée »662. En tout état de cause, la créativité du notaire est bien plus limitée aujourd'hui dans le Pacs qu'elle ne l'est dans le contrat de mariage.