– Plan. – Le Code civil a consacré une interdiction absolue d'établir un lien de filiation entre le tiers donneur et l'enfant (Sous-section I) laquelle peut, néanmoins, être contournée par une éventuelle adoption simple (Sous-section II).
L'impossibilité d'établir un lien de filiation à l'égard du tiers donneur
L'impossibilité d'établir un lien de filiation à l'égard du tiers donneur
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Un principe absolu consacré par le Code civil
– Une interdiction posée par la loi. – Avant les deux lois bioéthiques du 29 juillet 1994, le Code civil ne contenait aucune règle particulière interdisant l'établissement d'un lien de filiation entre le tiers donneur et l'enfant issu de l'AMP. Même si le risque d'une telle demande était quasiment inexistant en raison du principe absolu de l'anonymat du don, le législateur a souhaité l'ériger en une règle d'ordre public. A été créé l'article 311-19 du Code civil1129, repris textuellement à l'article 342-9 du même code avec la loi du 2 août 20211130.
– L'interdiction d'une filiation entre l'auteur du don et l'enfant issu de l'AMP. – Aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de l'AMP. De même, aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur1131. Cette règle exclut donc l'établissement volontaire de la filiation, mais également son établissement judiciaire. Le don de gamètes est conçu comme un acte solidaire et responsable. Le tiers n'a aucune volonté, en le réalisant, d'être considéré comme le parent de l'enfant qu'il a aidé à naître. En conséquence, le tiers donneur doit être protégé contre toute action en recherche de paternité ou en responsabilité.
– Une portée nouvelle de l'article 342-9 du Code civil depuis l'accès aux origines. – L'accès aux origines personnelles ne remet nullement en cause la règle posée à l'article 342-9 du Code civil. Cet accès à l'information n'est « ni « une recherche de paternité » ni une « recherche de maternité ». Il ne permet pas d'établir une filiation »1132. D'ailleurs, lors des débats sur le droit d'accès aux origines, il n'a jamais été question pour les personnes le revendiquant d'obtenir la création d'un lien de filiation avec le géniteur. Il ne faut pas confondre l'accès aux origines et l'établissement de la filiation qui sont deux notions bien distinctes. L'article 342-9 du Code civil se justifie désormais pleinement depuis que la personne issue du don est autorisée à demander à connaître, à sa majorité, l'identité du ou des tiers donneurs.
Un principe contourné par la possibilité d'une adoption simple
– Une adoption simple de l'enfant issu de l'AMP par le tiers donneur ? – Si certaines personnes issues d'une AMP exogène se contenteront, à leur majorité, d'accéder à l'identité du donneur, d'autres souhaiteront certainement le rencontrer même si l'accès aux origines ne confère pas un droit à la rencontre1133. Un lien d'affection pourrait alors se créer entre l'auteur du don et la personne issue de celui-ci et, avec le temps, ces derniers pourraient souhaiter le concrétiser sur le plan juridique, d'autant plus si la personne née de l'AMP exogène n'a pas de filiation établie dans la branche paternelle1134. Le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relativement à l'article 342-9 du Code civil. Il était reproché à ce texte de méconnaître le droit de mener une vie familiale normale en empêchant le tiers donneur d'établir un lien de filiation avec l'enfant né de son don, y compris par la voie de l'adoption.
Pour se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 342-9 du Code civil, le Conseil constitutionnel distingue, dans sa décision du 9 juin 20231135, entre :
- la filiation prévue au titre VII du livre I du Code civil relatif à la filiation procréative, laquelle comprend l'AMP – c'est dire que cette technique médicale est encore calquée, pour les couples de personnes de sexe différent ou les femmes non mariées, sur le modèle de la procréation charnelle comme si le recours au don était inexistant. Cette filiation rattache l'enfant à ceux qui lui ont donné la vie ;
- la filiation prévue au titre VIII du livre I du Code civil relatif à la filiation adoptive, c'est-à-dire celle qui donne à l'enfant une famille.
Pour les Sages, les modes d'établissement de la filiation prévus au titre VII du livre I du Code civil ne sont pas applicables au tiers donneur. En conséquence, il ne lui est pas possible d'établir un lien de filiation à l'égard de l'enfant issu de l'AMP par l'effet de la loi, la reconnaissance volontaire ou l'acte de notoriété constatant la possession d'état. L'interdiction posée par le législateur se justifie, pour le Conseil constitutionnel, par la nécessité de préserver le lien de filiation entre l'enfant et le couple ou la femme qui a eu recours à l'AMP exogène. Concernant la filiation adoptive prévue au titre VIII du livre I du Code civil, les juges ont tout d'abord précisé qu'« aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l'état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d'établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don ». Une requête en adoption simple de la personne issue du don pourrait donc être déposée par le tiers donneur auprès du juge, laquelle doit obligatoirement être accompagnée de l'acte contenant le consentement de l'adopté à sa propre adoption reçu par acte notarié. Un professionnel du droit s'est interrogé sur le fait de savoir si un « notaire qui serait (…) saisi par un enfant issu de l'AMP ayant retrouvé le tiers donneur (…) pourrait (…) refuser d'instrumenter un acte de consentement à l'adoption sur le fondement de l'article 342-9 du Code civil »1136. Il considère, en effet, que le législateur a peut-être eu, lors de la rédaction de ce texte, une conception restrictive de la notion de lien de filiation excluant à la fois les modes d'établissement du titre VII du livre I du Code civil et l'adoption visée au titre VIII du même code. Cependant, il se demande aussi si le notaire pourrait « adopter une conception plus extensive comme le laisse à penser le Conseil constitutionnel »1137.
En réalité, lors de la rédaction de l'article 311-19 du Code civil en 1994 repris textuellement par l'article 342-9 en 2021, le législateur n'avait même pas imaginé qu'une adoption puisse être possible par le tiers donneur en raison du principe de l'anonymat absolu. Dès lors, nous pourrions considérer que le législateur avait une conception restrictive et refuser d'instrumenter l'acte de consentement. Toutefois, il nous semble difficile de retenir une telle approche, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'article 342-9 du Code civil est placé dans le titre VII du livre I du Code civil et ne vise, par conséquent, que les modes d'établissement prévus par celui-ci. Comme le soulève le Conseil constitutionnel, rien ne semble interdire de recourir à l'adoption prévue au titre VIII. Deuxièmement, d'un point de vue pratique, l'adopté n'a aucune obligation d'indiquer au notaire, lors de la signature de l'acte de consentement à sa propre adoption, qu'il existe un lien biologique avec l'adoptant. Le professionnel n'a aucun moyen de savoir que ce dernier est le tiers donneur ayant permis la conception de l'adopté. Il est simplement tenu de s'assurer, par la délivrance d'actes de naissance, qu'il n'y a pas de lien de parenté entre eux qui aurait pour conséquence d'établir une filiation incestueuse1138. Troisièmement, si l'on se réfère au troisième alinéa de l'article 342-11 du Code civil visant les couples de femmes ayant eu recours à une AMP exogène, le législateur a indiqué que tant que la filiation établie par la RCA n'a pas été contestée en justice, « elle fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation dans les conditions prévues au présent titre », soit les modes d'établissement de la filiation prévus au titre VII du livre I du Code civil. Le législateur n'interdit donc pas à un enfant issu d'une AMP dont le lien de filiation est établi avec sa mère par une RCA d'en établir un autre avec une tierce personne par le procédé de l'adoption. Cette possibilité d'adoption doit s'appliquer tant aux couples de personnes de sexe différent qu'aux couples de même sexe. Quatrièmement, si l'adoption est prononcée, il ne peut s'agir que d'une adoption simple1139. Dans la mesure où celle-ci confère à l'adopté une filiation qui s'ajoute à sa filiation d'origine, le lien de filiation entre l'enfant et le couple de personnes de même sexe ou de sexe différent ou la femme qui a eu recours à l'AMP exogène est préservé. L'objectif du législateur en insérant l'article 342-9 du Code civil est bien respecté. Enfin, l'établissement d'un lien de filiation par adoption nécessite l'intervention du juge. Le notaire n'étant pas juge de la situation, c'est au magistrat qu'il reviendra de se prononcer sur la possibilité ou non d'une telle adoption. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la position du Conseil constitutionnel lorsqu'il ajoute, aux termes de sa décision, que « quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées [par les juges] comme interdisant l'établissement d'un tel lien de filiation [par adoption], elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale ». Le Conseil constitutionnel laisse donc le soin aux juges de l'adoption de trancher une telle question. En pratique, nous estimons que le notaire est tenu de recevoir l'acte de consentement à l'adoption. En revanche, il évitera d'exposer dans l'acte que l'adoptant a participé à la conception de l'enfant en fournissant ses gamètes ou embryons lors d'une AMP s'il en est éventuellement informé.
Si le refus par les juges de prononcer une adoption ne constitue pas une atteinte au droit du tiers donneur de mener une vie familiale normale, la question peut se poser légitimement à l'égard de la personne issue de l'AMP exogène.
– Une éventuelle opposition à l'adoption de leur enfant majeur par les bénéficiaires de l'AMP exogène ? – À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le consentement des parents à l'adoption de leur enfant par un tiers n'est pas nécessaire lorsque celui-ci est majeur. Toutefois, pour prononcer une adoption, le juge doit s'assurer que celle-ci ne porte pas préjudice aux intérêts de la famille et qu'elle n'est pas de nature à compromettre la vie familiale. Le consentement des parents n'étant pas exigé, pourraient-ils s'opposer à l'adoption simple de leur enfant majeur par le tiers donneur sur le fondement de l'article 342-9 du Code civil ? Il leur suffirait de prouver l'existence d'un lien biologique entre leur enfant et la personne souhaitant l'adopter en demandant la réalisation d'une expertise biologique. Si cette dernière est de droit en matière de filiation, sauf motif légitime de ne pas y procéder1140, il n'est possible d'y recourir qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action :
- en établissement d'un lien de filiation – action en recherche de maternité, de paternité, en rétablissement de la présomption de paternité, en constatation de la possession d'état ;
- ou en contestation de celui-ci – action en contestation de maternité, de paternité ou en contestation de la possession d'état ;
- ou tendant à l'obtention ou la suppression de subsides1141.
En conséquence, les parents ne pourraient pas la demander au juge pour prouver l'existence d'un lien biologique entre leur enfant et l'adoptant – également tiers donneur – pour s'opposer à l'établissement d'un lien de filiation entre eux via l'adoption.
En définitive, même si la règle posée à l'article 342-9 du Code civil a pour objectif de préserver le lien de filiation créé entre l'enfant et les parents ou la femme ayant eu recours à l'AMP, elle vise essentiellement à protéger le tiers donneur contre toute action en recherche de paternité ou en responsabilité. Cette règle fait sens avec le don d'engendrement qu'il a réalisé. En revanche, permettre une adoption simple par le tiers donneur détournerait, d'une certaine manière, celui-ci. En effet, lorsque le tiers a effectué son don, il savait pertinemment qu'il allait servir à donner naissance à un enfant en permettant « à d'autres de devenir parents. Il ne fait aucun doute que le statut de donneur est exclusif de toute idée de filiation (…). Donneur et parent, les deux statuts sont logiquement (et juridiquement) incompatibles »1142. L'adoption simple de l'enfant majeur par le tiers donneur doit-elle, par conséquent, être prononcée par le juge ? Enfin, si certains auteurs considèrent que le « sérieux » de la QPC posée au Conseil constitutionnel « semble discutable »1143, celle-ci amène à se poser des questions dont les réponses sont aujourd'hui incertaines. Il revient, selon nous, au législateur de préciser le champ d'application de l'article 342-9 du Code civil. En attendant, le dépôt d'une requête en adoption simple auprès du tribunal « supposera qu'en amont, un notaire ait accepté de signer un acte de consentement à adoption »1144.