Liberté et ordre public

Liberté et ordre public

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Comprendre les racines et les causes de l'enjeu de liberté (Sous-section I) permettra de saisir les mérites de l'impérativité (Sous-section II).

L'enjeu de liberté

– L'essor des volontés individuelles. – Une place de plus en plus importante est laissée à la volonté individuelle et, par conséquent, au contrat. Elle s'exprime par exemple lors du choix de vie à deux avec les conventions de Pacs ou de concubinage, lors du divorce par la prise en compte des accords des époux dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel, dans les conventions entre parents pour l'exercice de l'autorité parentale, ainsi qu'en matière successorale ou en cas de vulnérabilité avec le mandat de protection future.
– Le déclin de l'ordre public familial. – En droit de la famille, l'ordre public se conçoit comme un ordre de direction et de protection165. Il subit un déclin progressif dans toutes les branches. En matière de régimes matrimoniaux, le principe d'immutabilité, socle de l'ordre public, s'est effondré tandis que l'indissolubilité du mariage subit une lente érosion avec la libéralisation du divorce. De même, le devoir de fidélité de l'article 212 du Code civil n'est plus sanctionné systématiquement par les tribunaux166. En matière successorale, les « colonnes du temple », selon l'expression du professeur Catala, sont vacillantes. La prohibition des pactes sur succession future recule avec l'avènement de la RAAR et la réserve héréditaire se fragilise avec la généralisation de la réduction en valeur et les attaques sur le plan international. Quant au statut personnel, bastion de l'impérativité traditionnelle, il n'est pas non plus épargné. Si les questions relatives à l'identité restent toujours encadrées par l'autorité judiciaire, elles ont perdu leur caractère d'indisponibilité. Il est désormais beaucoup plus facile de changer de nom de même qu'il est possible de changer de sexe à l'état civil. La protection des majeurs vulnérables réservée autrefois exclusivement aux juges peut désormais faire l'objet d'un accompagnement privé sous la surveillance du notaire avec le mandat de protection future. En raison du déclin des règles contraignantes d'ordre public, le contrat devient le mode privilégié des relations sociales. Si l'individualisation est l'une des causes de ce mouvement de contractualisation, la volonté de désengorger les tribunaux, les contraintes publiques budgétaires et l'esprit de simplification l'expliquent aussi.

Les mérites de l'impérativité

L'illusion du consentement

– La liberté contractuelle et la force obligatoire du contrat. – Selon l'article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Les parties sont ainsi libres de s'engager sous réserve des limites posées par le droit. En effet, « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public »167. Le glissement de l'individualisme vers l'individualisation décrit ci-dessus puise ses sources dans un mouvement philosophique et sociologique qui a placé l'autonomie de la volonté au sommet de la hiérarchie des valeurs. Il est pourtant illusoire de penser que le consentement soit un critère suffisant pour sauvegarder la liberté individuelle et pour déterminer le bien-fondé d'un acte. Comme le regrette Muriel Fabre-Magnan en évoquant un leurre, « le consentement devient aujourd'hui le seul critère de légitimité des actes »168.
– Le contrat lie, l'ordre public contraint. – Cette nature ambivalente du contrat, fruit de l'indépendance et instrument d'aliénation privé, explique que dans le débat éthique contemporain, la liberté soit à l'origine de deux considérations en droit de la famille, qui paraissent, à première vue, contradictoires :
  • l'ordre public : il se décline en deux facettes, ordre public de direction et ordre public de protection. Si le premier assure l'intérêt général169, le second constitue un rempart contre la liberté individuelle de celui qui s'engage et de celui qui subit l'acte, sous la forme d'une protection publique170 ;
  • le mouvement de contractualisation : au nom de la liberté économique contractuelle, le pouvoir de la volonté prend de plus en plus de place. Il conduit à l'aliénation privée et consentie de la liberté. Le paradoxe de la liberté contractuelle revêt une gravité particulière en matière de statut personnel. La dépendance, la vulnérabilité, le handicap, la détresse financière peuvent conduire la partie faible à un engagement déséquilibré. Si la question demeure sérieuse en matière patrimoniale, elle devient très complexe en matière d'identité et douteuse lorsqu'elle justifie l'exploitation d'autrui171. Si certaines de ces questions ne sont pas de droit positif en France, elles viennent néanmoins impacter notre société de manière indirecte notamment en matière de GPA. Certains auteurs la posent clairement : quelle est la liberté d'une femme de consentir à porter l'enfant d'autrui ?

Le nécessaire équilibre

– Un équilibre à trouver. – L'augmentation de la subjectivisation du droit peut mener à une liberté excessive de l'individu. Il faut donc trouver un équilibre entre l'ordre public et la contractualisation au nom de cette même liberté. En la matière, la voie est étroite. Les enjeux de responsabilité et de dignité de la personne doivent guider le législateur. Les risques sont différents au sein du couple, au sein de la famille plus élargie et à l'égard des enfants.