Les problématiques liées à la nature juridique de la donation-partage

Les problématiques liées à la nature juridique de la donation-partage

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025

Une donation ou un partage

– Définition. – La donation-partage peut être définie comme « un acte juridique collectif par lequel le de cujus opère de son vivant tout à la fois une disposition à titre gratuit et une répartition de certains biens et droits entre deux ou plusieurs bénéficiaires qui sont en principe ses héritiers présomptifs »121. Il s'agit d'un acte courant fréquemment utilisé dans la pratique notariale. Consacrée par l'article 1075 du Code civil, elle peut désormais être consentie par tout de cujus au profit de tout héritier122. Au cours du temps, elle a fait l'objet d'assouplissements législatifs et son utilisation ne peut être qu'encouragée.
– Intérêts. – La donation-partage permet d'anticiper la transmission de son patrimoine. Il s'agit d'éviter tout conflit futur entre les héritiers en déterminant par avance les attributaires des biens composant la succession du défunt. Elle permet d'opérer un partage définitif entre les héritiers. Il s'agit d'un acte répartiteur. La composition des lots et les choix relatifs à leur attribution relèvent de la volonté du donateur, lui offrant une liberté importante. Par ailleurs, elle implique un gel des valeurs des biens donnés au jour de l'acte pour le calcul de la réserve123.
– La nécessité d'un partage. – La donation-partage revêt une nature hybride. Il s'agit à la fois d'une donation et d'un partage. L'article 1075-1 du Code civil précise qu'elle procède à « la distribution et au partage de ses biens ». Elle comporte donc un allotissement de biens entre présomptifs héritiers. L'objet d'un partage est de mettre fin à une indivision.
– L'indivision chasse le partage. – La donation-partage suppose l'existence d'un partage. L'acte ne doit pas créer d'indivision. La Cour de cassation a ainsi qualifié de donation simple une donation aux termes de laquelle tout ou partie des copartagés se sont vu attribuer des biens en indivision124.
Dans la première hypothèse, chaque donataire avait reçu une quote-part indivise. Dans la seconde, un des héritiers avait reçu un bien divis, les autres des quotes-parts indivises.
Ces décisions ont suscité de fortes réactions de la part des praticiens tant elles étaient courantes et adaptées aux souhaits des familles.
Un acte dans lequel les présomptifs héritiers sont attributaires d'une quote-part indivise d'un même bien ne répond pas à cette condition essentielle. Cet acte ne peut donc être considéré comme une donation-partage.
Risqueraient ainsi d'être requalifiées en donation simple : la donation attribuant à chaque donataire des droits indivis sur des mêmes biens ou encore la donation attribuant à certains des droits indivis sur les biens et à d'autres des droits divis.
– Les remèdes pratiques. – La question du sort des donations de quotes-parts indivises présentées comme des donations-partages inquiète. Face à cette épée de Damoclès, il a pu être proposé de recourir à la constitution d'une société civile immobilière puis à l'attribution des parts sociales entre copartagés. Toute situation d'indivision est ainsi écartée.
Même si la pleine efficacité de la donation-partage ne peut être restaurée, des clauses de condition de ne pas attaquer l'acte, des clauses pénales, des clauses de rapport forfaitaire ou encore de dispense de rapport peuvent être proposées et permettent d'atténuer les effets de la requalification.

La question des donations en quotité : le pacte familial doit-il l'emporter sur la notion de partage ?

– Des conséquences inadéquates. – Cette solution suscite des difficultés pratiques. Bien souvent, la composition du patrimoine du donateur ne permet pas une opération de partage. Il en est ainsi en présence d'un bien unique, les héritiers n'ayant pas forcément la possibilité de régler une soulte aux autres héritiers pour compenser l'attribution du bien.
Les conséquences de la requalification en donation simple peuvent être douloureuses.
La donation simple devient rapportable au décès du donateur. Une réévaluation est donc nécessaire au jour du décès. En conséquence, des indemnités de rapport deviennent exigibles.
Par ailleurs, les biens donnés seront réunis fictivement pour le calcul de la quotité disponible pour leur valeur au jour du décès conformément à l'article 922 du Code civil. Dans l'hypothèse d'une augmentation significative de la valeur d'un bien, l'action en réduction menace l'attributaire.
En matière de prescription, l'article 1077-2 du Code civil est inapplicable et le délai de droit commun s'applique.
Il en est de même des dispositions spécifiques prévues à l'article 1077-1 du même code selon lesquelles : « L'héritier réservataire, qui n'a pas concouru à la donation-partage, ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve, peut exercer l'action en réduction, s'il n'existe pas à l'ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier ».
– Un aménagement des textes souhaitable. – Partant de ce constat, le 116e Congrès des notaires de France, à Paris en 2020, a formulé une proposition visant notamment à créer un pacte familial permettant de figer la valeur des biens donnés au jour de la donation même si la donation n'est pas qualifiée de donation-partage sous réserve que les conditions de l'article 1078 du Code civil soient respectées125. En effet le fondement du maintien des valeurs n'est pas le partage mais l'acceptation de l'ensemble des héritiers réservataires à la fixation de ces valeurs.
Il avait également été proposé, lors du 116e Congrès des notaires, de prévoir expressément la possibilité d'incorporer une donation antérieure dans ce nouveau pacte de famille. L'incorporation d'une donation antérieure présente des intérêts civils considérables. Actuellement rien n'interdit de réincorporer une donation dans une donation même simple.

La donation-partage en présence d'une famille recomposée

– La validité de la donation-partage conjonctive en présence d'enfant de différents lits. – La donation-partage peut s'adapter aux situations de plus en plus fréquentes de famille recomposée. La présence d'enfant non commun ne fait pas obstacle à la mise en place d'une donation-partage. Selon l'article 1076-1 du Code civil, issu de la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 : « En cas de donation-partage faite conjointement par deux époux, l'enfant non commun peut être alloti du chef de son auteur en biens propres de celui-ci ou en biens communs, sans que le conjoint puisse toutefois être codonateur des biens communs ».
Cette validité de principe de la donation conjonctive en présence d'enfant non commun n'a pas toujours été admise. Elle est issue de la loi du 23 juin 2006 précitée.
Avant cette affirmation explicite, il subsistait un doute sur la validité du mécanisme. D'ailleurs la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 octobre 1987, avait refusé la validité d'une donation-partage conjonctive au profit de deux enfants issus des deux donateurs et de deux autres enfants issus uniquement d'un donateur126. La doctrine était elle-même divisée127. En pratique, la technique était alors la suivante. Tout d'abord était établie une donation-partage conjonctive au profit des seuls enfants communs. Puis une donation-partage ordinaire contenant allotissement des enfants du mari seul et une autre donation-partage ordinaire contenant allotissement des enfants de l'épouse seule.
– Conditions relatives aux bénéficiaires. – La première condition énoncée à l'article 1076-1 du Code civil128 est relative aux donataires. Au moins deux enfants communs doivent être allotis.
Concernant les enfants non communs, au moins un enfant non commun doit être bénéficiaire de la donation129.
– Hypothèses pratiques. – En présence d'une famille recomposée, les cas d'utilisation de la donation-partage conjonctive sont les suivants :
  • elle peut donc être envisagée en présence d'au moins deux enfants communs, d'un enfant dont le lien de filiation est établi à l'égard d'un donateur et d'un autre enfant dont la filiation est établie à l'égard de l'autre donateur ;
  • elle pourra encore être utilisée en présence d'au moins deux enfants communs et d'un enfant dont le lien de filiation est établi uniquement à l'égard d'un donateur.
– Conditions relatives à la nature du bien donné sous le régime de la communauté. – Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté, il est nécessaire qu'au moins un des biens soit de nature commune. En pratique, le notaire fera preuve de créativité. Il pourra proposer divers schémas adaptés à chaque famille et à la composition de chaque patrimoine.
En présence de biens communs uniquement, chaque donateur peut gratifier l'ensemble des enfants, communs ou non.
En présence de biens communs et de biens propres, les donateurs sont libres dans le choix de la répartition de leurs biens. L'objet de la donation peut alors être un bien commun, un propre à un donateur, et un propre à l'autre donateur.
Il pourrait également être envisagé une attribution d'un bien propre d'un donateur à un enfant commun ou à un enfant à l'égard duquel un lien de filiation est établi uniquement.
En l'absence de biens communs, deux hypothèses doivent être distinguées :
  • en présence de biens propres, chaque donataire a la possibilité d'attribuer ses biens propres aux enfants communs et aux enfants à l'égard desquels un lien de filiation est reconnu uniquement (enfant non commun). La donation-partage est alors conjonctive pour partie ;
  • la seconde hypothèse est celle de l'existence de bien propre appartenant uniquement à un donateur. Dans ce cas, la donation conjonctive est exclue. Les donateurs ont la possibilité de s'orienter vers une donation-partage ordinaire par le donateur propriétaire, au profit de ses enfants communs ou non, opération effectuée sans l'intervention du conjoint.
– Conditions relatives à la nature du bien donné sous le régime de la séparation. – Une donation conjonctive est exclue dans l'hypothèse où, en présence d'enfants communs et non communs, il existe uniquement un ou plusieurs biens personnels appartenant à un époux. Dans ce cas, le notaire conseillera à l'époux propriétaire d'établir une donation-partage ordinaire aux termes de laquelle seront allotis les enfants communs ou non de l'époux donateur.
Même si le texte vise expressément « les époux », l'esprit de la loi semble étendre ces principes aux époux non mariés130.
– Conditions relatives à l'allotissement des donataires. – L'article 1076-1 du Code civil énonce un principe selon lequel l'enfant non commun peut être alloti par son parent sans que le conjoint soit codonateur des biens communs. A contrario le conjoint du parent de l'enfant non commun ne saurait allotir l'enfant à l'égard duquel la filiation ne lui est pas reconnue.
Toutefois, la donation-partage conjonctive ne permet pas l'allotissement de l'enfant non commun par le conjoint du parent de l'enfant (qui n'est donc pas son parent).
– Intérêts de l'incorporation des donations antérieures. – Il est également possible d'incorporer une ou plusieurs donations antérieures à la donation-partage cumulative. Rien ne s'y oppose juridiquement131. Il devra toutefois être porté une attention particulière à l'origine du bien. Une modification de l'attributaire est possible sous réserve des principes relatifs à l'attribution des biens. Ainsi un bien propre d'un époux ne saurait être attribué à un enfant ayant un lien de filiation uniquement avec le conjoint dudit époux.
Les vertus de l'incorporation sont bien connues. L'incorporation peut permettre de redistribuer des biens antérieurement donnés. Elle fige également la date d'évaluation du bien pour le calcul de la réserve. Le risque de réduction est alors amoindri. Par ailleurs le rapport de ladite donation est exclu. En conséquence, l'attributaire bénéficie pleinement de l'augmentation de la valeur du bien.