Les lacunes de l'indivision d'acquêts

Les lacunes de l'indivision d'acquêts

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Les lacunes révélées par les professionnels du droit engendrent des incertitudes sur la qualification de certains biens dans le régime de l'indivision d'acquêts, ce qui a pour conséquence de créer une insécurité juridique tant pour les partenaires que pour les tiers. Pour y remédier, le notaire proposera d'aménager la convention de Pacs avec des clauses sur mesure, lesquelles devront refléter la volonté des parties. Il s'agira alors de « clarifier sans altérer, telle paraît (…) être la démarche la plus prudente » pour le praticien627. Si la doctrine et la pratique s'accordent sur les faiblesses à combler dans la convention de Pacs relativement à la qualification de certains biens (Sous-section I), les avis divergent pour d'autres obligeant le praticien à une certaine vigilance (Sous-section II).

Les lacunes comblées dans la convention de Pacs

– Les biens détenus avant l'enregistrement du Pacs. – S'il ne fait aucun doute que les biens dont les partenaires sont propriétaires avant l'enregistrement du Pacs sont exclus de l'indivision d'acquêts, il est utile de l'écrire dans la convention de Pacs afin que cette information soit bien portée à la connaissance des parties.
– Les biens recueillis à titre gratuit. – Quant aux biens recueillis par succession, donation ou legs au cours du Pacs, l'article 515-5-2 du Code civil ne les exclut pas expressément de l'indivision d'acquêts. Néanmoins, les auteurs considèrent qu'ils appartiennent exclusivement au partenaire concerné par une application combinée des articles 515-5-1 et 515-5-2, 5o du Code civil628. Aussi, pour lever toute ambiguïté éventuelle, le praticien le précisera expressément dans la convention de Pacs.
– Les biens par subrogation réelle. – Par ailleurs, sont personnels à chacun des partenaires les biens directement substitués à des biens personnels tels que des prix de vente, indemnités d'assurance ou d'expropriation par l'effet de la subrogation automatique629. Le même raisonnement s'applique aux biens indivis par référence cette fois-ci au droit commun de l'indivision avec l'article 815-10, alinéa 1er, du Code civil selon lequel « sont de plein droit indivis, par l'effet d'une subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des biens indivis (…) ». Toutefois, cette affirmation est nuancée par certains auteurs en raison de l'article 515-5-2 du Code civil. En effet, en vertu de ce texte spécial, les deniers sont exclus de l'indivision d'acquêts tant qu'ils n'ont pas été investis dans l'acquisition d'un bien. Dès lors, les créances et indemnités en remplacement de biens indivis seraient exclues de l'indivision d'acquêts. Il pourrait alors être indiqué, dans la convention de Pacs :
  • que les créances et indemnités qui remplacent des biens personnels d'un partenaire lui demeurent personnelles ;
  • et que les créances et indemnités qui remplacent des biens indivis reviennent pour moitié à chacun des partenaires. Néanmoins, la situation se compliquerait dans l'hypothèse où l'indemnité serait encaissée par un seul des deux partenaires sans l'investir dans l'acquisition d'un nouveau bien630. Dans ce cas, il est raisonnable de penser que l'indivision est créancière de ce partenaire. Cette créance ne pourrait être évaluée qu'à la dépense faite en l'absence de texte prévoyant une règle d'évaluation particulière pour ce type de créance.
– Une application du droit commun des biens. – Comme le souligne un auteur, la qualification personnelle ou indivise de certains biens peut dépendre, en l'absence de disposition spéciale dans le cadre du Pacs, de règles générales relatives au droit commun des contrats et du droit des biens631. Ainsi, « les règles de l'accession naturelle ou artificielle, par production ou par incorporation de l'article 552 du Code civil s'appliquent aux biens personnels du partenaire »632. Le notaire rappellera dans la convention de Pacs, par une règle générale, l'application du droit commun des biens.

Les lacunes nécessitant une intervention législative

– Une doctrine divisée. – Il reste que, pour certains biens, leur qualification au regard du régime de l'indivision d'acquêts reste incertaine et divise la doctrine. Certains auteurs proposent de raisonner par analogie avec le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts dans la mesure où ce dernier a inspiré celui de l'indivision d'acquêts. Toutefois, cette affirmation n'est pas toujours exacte. Pour s'en convaincre, il suffit de se référer aux revenus perçus par les partenaires après l'enregistrement du Pacs, lesquels leur demeurent personnels contrairement aux gains et salaires qualifiés de biens communs, dès leur perception, par les époux mariés sous le régime légal. C'est pourquoi d'autres auteurs préconisent l'application de règles propres à l'indivision d'acquêts en se référant à l'esprit de liberté dans le Pacs. Face à ces débats, le notaire se doit de trancher ces difficultés et adapter les clauses dans la convention de Pacs, sans pour autant dénaturer l'éventuelle impérativité du régime. Si l'un des partenaires est amené à contester l'une de ces clauses lors de la dissolution du Pacs, il reviendra au juge de trancher le litige en l'absence de disposition expressément prévue dans le Code civil. Une clarification législative serait, en conséquence, la bienvenue.
– Les fruits et revenus de biens indivis. – En application du droit commun de l'indivision, « les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l'indivision (…) »633. Néanmoins, dans la mesure où il ressort de l'article 515-5-2 du Code civil que les deniers perçus, à quelque titre que ce soit, pendant la durée du Pacs sont exclus de l'indivision d'acquêts tant qu'ils ne sont pas employés à l'acquisition d'un bien, il pourrait être soulevé que les fruits et revenus des biens indivis sont exclus de l'indivision d'acquêts. Comme le soulève un auteur, « survient alors (…) un conflit de normes entre droit commun et droit spécial »634. Le plus simple consisterait à prévoir, dans la convention de Pacs, que ces fruits et revenus devront être perçus par chacun des partenaires, à concurrence de moitié chacun.
– L'emploi partiel. – Le législateur n'a pas envisagé la situation dans laquelle un partenaire acquiert des biens ou portions de biens avec des deniers perçus à la fois avant et après l'enregistrement du Pacs635. La jurisprudence ne s'est pas prononcée sur le sujet de sorte que plusieurs thèses s'affrontent636. Des auteurs sont favorables à l'application de la règle major pars trahit ad se minorem à l'instar des époux avec l'article 1436 du Code civil en prévoyant un droit de créance en faveur du patrimoine qui a le moins contribué637. Selon eux, une qualification mixte du bien acquis sous le régime de l'indivision d'acquêts serait interdite, par comparaison avec le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts638. Néanmoins, le législateur n'a pas expressément prévu, pour les partenaires, une règle similaire à l'article 1436 du Code civil de sorte que d'autres auteurs considèrent, au contraire, que le bien acquis pourrait avoir une double qualification639. Ainsi, la partie du bien financée avec les revenus du ou des partenaires serait indivise pour moitié chacun tandis que l'autre, faisant l'objet de l'emploi, serait personnelle au partenaire. En faveur de cette thèse, l'article 515-5-2 du Code civil prévoit que restent personnelles « les (…) portions » de biens acquis avec des deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l'enregistrement du Pacs ou reçus par donation ou succession. Si cette thèse de la qualification mixte n'est pas convaincante pour certains « tant elle semble contraire à l'esprit du texte qui vise justement, par le mécanisme de la déclaration d'emploi, à unifier la propriété »640, elle a le mérite de la simplicité – même si elle crée une indivision inégalitaire entre partenaires – et d'éviter de recourir au mécanisme de la créance641. Certains CRIDON considèrent que rien ne semble s'opposer à une telle qualification mixte. Néanmoins, pour des partenaires déjà soumis au régime de l'indivision d'acquêts, ils préconisent de changer de régime pacsimonial pour celui de la séparation des patrimoines en cas d'acquisition d'un bien avec un financement mixte.
– Le remploi. – Le remploi de fonds personnels n'a pas non plus été prévu par le législateur. Si certains auteurs considèrent que la lecture stricte des textes relatifs à l'indivision d'acquêts interdit le remploi en matière de Pacs642, d'autres font remarquer qu'« autoriser un partenaire à acquérir à titre d'emploi un bien financé au moyen de deniers reçus par donation, succession ou provenant des économies réalisées avant l'enregistrement du Pacs, mais interdire de remployer le prix de vente personnel de ce bien quelques années plus tard à l'occasion d'une nouvelle acquisition, aboutirait à supprimer tout patrimoine personnel de chacun des partenaires à terme »643. La question se pose pour le remploi d'un prix de vente d'un bien recueilli par succession ainsi que pour une indemnité perçue en réparation d'un dommage corporel, ou pour le remploi d'un prix de vente d'un bien créé par l'un des partenaires pendant le Pacs… La doctrine considère que l'indivision d'acquêts devrait autoriser le remploi, « ce régime ne devant pas se révéler plus communautaire que la communauté légale entre époux »644. Toutefois, dans le silence des textes et en l'absence de jurisprudence, il est vivement recommandé, lorsque l'un des partenaires souhaite effectuer une opération de remploi sous le régime de l'indivision d'acquêts, de changer de régime pacsimonial pour celui de la séparation des patrimoines645.
– L'échange. – Il en est de même pour l'opération d'échange. Si l'on peut penser qu'un bien reçu par un partenaire en échange d'un bien qui lui était personnel devrait être exclu de l'indivision d'acquêts dès lors que ces deux biens sont d'une valeur identique646, le versement d'une soulte a-t-il une influence sur la qualification du bien échangé ? En raison de l'incertitude planant sur cette opération, il est alors, encore une fois, préconisé de changer de régime pacsimonial pour celui de la séparation des patrimoines.