– L'évolution du droit de la famille
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. – À titre liminaire, il est rappelé que le droit de la famille a connu une véritable métamorphose depuis le Code civil de 1804131. S'il est resté relativement stable pendant tout le xix
e siècle132, il a subi de profondes transformations, par vagues successives, au cours des xx
e et xxi
e siècles, marquant ainsi un tournant fondamental pour la famille française133. Les premières lois sur la famille, qui constituent le fondement du droit positif, ont été élaborées par le doyen Carbonnier. Les réformes sont nombreuses à cette époque134. Entre ces différentes lois et la légalisation de la pilule135, la France a évolué d'une société aux normes strictes – la famille nombreuse était envisagée uniquement dans le cadre du mariage – vers une société où les naissances non désirées sont évitées, le mariage perd progressivement son autorité et où la souffrance des parents dans l'impossibilité d'avoir des enfants est prise en compte, non seulement par l'adoption, mais aussi par les premiers dons de gamètes réalisés dans un cadre médical136. Les lois sur la famille seront, par la suite, complétées, voire totalement réformées137. D'autres interventions législatives seront plus innovantes comme celles relatives à la bioéthique138, ou portant sur la création du Pacs139. Elles subiront également des modifications dans le temps. Les différentes lois seront souvent guidées par une volonté d'assurer une égalité au sein des familles : une égalité au sein du couple avec les réformes sur les régimes matrimoniaux, entre les enfants avec les réformes sur la filiation, entre les parents avec les différentes lois relatives à l'autorité parentale140. À travers cette succession de réformes législatives, le notaire s'adapte, sans cesse, pour apporter un conseil « sur-mesure » aux familles qui le consultent.
Les illustrations de la contractualisation en droit positif
Les illustrations de la contractualisation en droit positif
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Un rapide « plan séquence » des grandes étapes de la vie de famille permettra d'énoncer, sans les approfondir, les exemples de contractualisation en droit positif au sein du couple (Sous-section I), au regard de l'enfant (Sous-section II) et en droit successoral (Sous-section III).
La contractualisation et le couple
– Lors de la formation du couple. – À l'égard des personnes mariées, certaines règles ne peuvent faire l'objet de conventions matrimoniales. En effet, selon l'article 1387 du Code civil, « la loi ne régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales (…) pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent ». De même, l'article 1388 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage ». Les époux ne peuvent donc pas écarter, par contrat de mariage, les règles impératives du régime primaire posées aux articles 212 à 226 du Code civil141. Excepté ces limites, le contrat de mariage permet aux futurs époux de définir librement le fonctionnement de leur vie patrimoniale. Cette liberté porte sur le choix du régime matrimonial. Celui-ci peut s'exercer sur le régime légal ou sur l'un des régimes conventionnels du Code civil, ou encore sur un régime dessiné « sur-mesure » par les époux eux-mêmes. Sur les avantages matrimoniaux, la loi no 2024-494 du 31 mai 2024 sur la justice patrimoniale est venue compléter l'alinéa 2 de l'article 265 du Code civil en offrant dorénavant la possibilité aux époux de rendre irrévocable un avantage matrimonial ne prenant effet qu'à la dissolution du régime ou au décès142.
Le Pacs est l'une des manifestations les plus importantes de ce mouvement de contractualisation. Le couple s'unit et définit les règles de sa vie conjugale. Toutefois, si les candidats au mariage ont toujours eu la possibilité de planifier relativement librement les règles qui leur sont applicables par contrat de mariage, les partenaires doivent en revanche définir leur droit conjugal selon des règles encore très encadrées. Il serait sans doute bienvenu que cette union naturellement « contractuelle » puisse se contractualiser avec plus de flexibilité.
Quant à la convention de concubinage, elle demeure encore marginale, sans doute parce qu'elle s'oppose à la volonté des concubins de se placer « hors du droit ».
– Au cours de la vie de couple. – Au cours de l'union, il n'a pas toujours été possible aux époux de changer de régime matrimonial. En effet, le Code civil de 1804 avait repris le principe d'immutabilité absolue du régime matrimonial143. Le contrat de mariage était considéré comme un pacte de famille conclu entre les futurs époux et leurs parents qu'il était impossible de modifier au cours de l'union. L'immutabilité des régimes matrimoniaux a progressivement reculé en une trentaine d'années. La loi no 65-570 du 13 juillet 1965 a permis aux époux d'aménager leur régime matrimonial, voire de le modifier totalement, dans l'intérêt de la famille, sous le contrôle systématique du juge144. En droit international, la possibilité offerte aux époux de désigner librement la loi applicable et la nature du régime matrimonial, avant comme après le mariage sans contrôle judiciaire145, a précédé la libéralisation opérée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006 en supprimant l'homologation judiciaire systématique. Le changement de régime matrimonial en droit interne, sans doute sous l'effet notamment du droit international, s'est progressivement libéralisé offrant un champ contractuel plus important146.
Si les partenaires sont libres de modifier, à tout moment, les termes de leur convention de Pacs, la notion même de changement n'a pas vraiment de sens pour les concubins, qui peuvent contractualiser sans contraintes de procédure, ni de délai.
– À l'heure de la rupture. – C'est sans doute en matière de divorce que la contractualisation s'est opérée de manière plus profonde. Jusqu'à une période assez récente, le divorce était une institution essentiellement judiciaire, à caractère contentieux, soumise à une procédure stricte. L'évolution vers une contractualisation s'est faite progressivement. Tout d'abord, la loi no 75-617 du 11 juillet 1975 a introduit la pluralité des causes de divorce en ajoutant à la faute, le consentement mutuel et la rupture de la vie commune147. Peu à peu, le divorce pour faute a cédé le pas au divorce par consentement mutuel lui conférant un caractère non dramatique. Puis, la loi no 2004-439 du 26 mai 2004 a maintenu quatre causes de divorce en favorisant, à chaque étape, le règlement conventionnel, dans un esprit pacificateur148. Enfin, la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxi
e siècle a apporté une innovation majeure en permettant aux époux de divorcer par consentement mutuel sans recourir au juge149. La procédure de divorce s'est ainsi contractualisée et déjudiciarisée. Le divorce n'est dès lors plus prononcé par le juge mais constaté par le notaire. Les époux se mettent d'accord sur le principe du divorce et ses conséquences au sein d'une convention sous signature privée contresignée par leurs avocats et déposée au rang des minutes d'un notaire150.
En présence d'un Pacs, la rupture du lien peut se contractualiser par un commun accord entre les partenaires. Elle peut aussi résulter d'une déclaration unilatérale. Par ailleurs, « les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité »151. Le juge ne statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture qu'à défaut d'accord entre les partenaires.
La contractualisation et l'enfant
– Notaire et filiation. – En dépit du fait que le notaire n'était pas, historiquement, le professionnel du droit consulté pour répondre aux questions relatives à la filiation, son intervention a toujours revêtu une importance primordiale dans la pratique. En effet, le notaire constate l'existence de ce lien – peu importe le mode d'établissement de la filiation – comme un préalable à toute opération de transmission patrimoniale. Le législateur a confié, peu à peu, au notaire des missions extrapatrimoniales en matière d'établissement de la filiation. En effet, depuis la loi no 2019-222 du 23 mars 2019152, il est devenu le seul professionnel du droit compétent pour établir l'acte de possession d'état lorsque toutes les conditions à cet effet sont réunies. Si la possession d'état n'est pas par essence contractuelle, elle est néanmoins le signe d'une libéralisation du droit de la famille.
En matière de filiation, l'évolution des techniques médicales relatives à la procréation a favorisé indubitablement le mouvement de contractualisation. Dès les premières lois bioéthiques du 29 juillet 1994, l'établissement d'un lien de filiation entre l'enfant issu d'une AMP avec tiers donneur et ses parents repose, d'une certaine manière, sur un accord de volonté : celui des père et mère de recourir, d'une part, à un tiers donneur pour procréer et de s'interdire, d'autre part, de contester la filiation légalement établie en l'absence de toute vérité biologique. En ouvrant l'AMP aux couples de femmes, ce mouvement de contractualisation s'est amplifié. En effet, pour établir un lien de filiation entre l'enfant et la mère qui n'a pas accouché, le législateur a créé un mode d'établissement de la filiation sui generis. Aux termes d'une reconnaissance conjointe anticipée reçue par acte authentique, le couple de femmes s'engage, par contrat, à ce que la filiation soit établie entre l'enfant issu d'une AMP et la femme qui n'aura pas accouché. Néanmoins, peut-on réellement parler de « contractualisation » en matière de filiation ? En effet, si le notaire constate l'accord de volonté entre les parties, ces dernières n'ont rien à négocier au sein du contrat.
– L'indisponibilité de l'autorité parentale. – L'autorité parentale est gouvernée par le principe d'indisponibilité qui rend, par conséquent, la matière peu propice à la contractualisation. En effet, selon l'article 376 du Code civil, « aucune renonciation, aucune cession portant sur l'autorité parentale, ne peut avoir d'effet, si ce n'est en vertu d'un jugement dans les cas déterminés » par la loi. Dans le cadre d'un mouvement de contractualisation de la famille, les parents ont été autorisés à conclure des pactes ou conventions aux termes desquels ils « organisent les modalités d'exercice de l'autorité parentale et fixent la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant »153. Si de telles conventions sont généralement conclues en cas de séparation des parents – qu'ils aient été mariés, pacsés ou concubins –, elles peuvent l'être en dehors de toute séparation. Dans certaines configurations familiales, les parents peuvent vouloir sécuriser leurs droits à l'égard de l'enfant154. Cette convention peut également prospérer auprès de parents qui ne sont pas en couple mais qui ont décidé d'avoir ensemble un enfant155, voire auprès des familles dites « plurielles ». Cette « convention parentale constituera [alors] un acte de prévision des relations familiales »156.
La contractualisation et le décès
– Option et contrats. – À l'égard du décès, le terme de « contrat » est peut-être assez malvenu. C'est plutôt une multiplicité de choix qu'il convient d'évoquer, permettant une transmission « à la carte ». À l'heure de la succession, le nombre d'options est quasiment infini en droit positif à l'égard tant du testateur que des ayants droit.
– Options successorales. – Le défunt a le choix de laisser la loi régir sa dévolution successorale, de modifier les vocations de ses héritiers dans les limites de la réserve héréditaire et des droits impératifs (logement et droit de retour notamment), d'anticiper les modalités de réduction en nature ou en valeur, de désigner la loi applicable à sa succession, d'imposer (ou de dispenser d') un inventaire et de faire emploi, d'écarter ou de maintenir tant l'article 1098 du Code civil (libéralité en propriété et abandon en usufruit) que l'article 917 du même code (libéralité en usufruit excédant la quotité disponible ordinaire), de désigner un exécuteur testamentaire ou un mandataire posthume pour gérer ses biens.
De son côté, l'héritier dispose également d'une multitude de facultés. Outre les trois branches de l'option successorale (acceptation pure et simple de la succession, acceptation à concurrence de l'actif net ou renonciation à succession)157, le législateur a introduit celles de l'article 757 du Code civil (option entre le quart légal ou l'usufruit légal du conjoint en présence d'enfants issus des deux époux), de l'article 759 (conversion de l'usufruit en rente viagère), de l'article 761 (conversion de l'usufruit en capital), de l'article 766 (conversion des droits d'usage et d'habitation en capital ou rente viagère), de l'article 917 précité (libéralité en usufruit), de l'article 1094-1 (option du conjoint survivant en vertu d'une disposition de dernières volontés), de l'article 924-1 (réduction en nature), de l'article 1002-1 (cantonnement).
– Pactes successoraux. – Quant au contrat lui-même, il convient de distinguer la période antérieure au décès de celle postérieure. Avant le décès, les contrats sont soumis à la prohibition des pactes sur successions futurs et demeurent encore très encadrés. Parmi les contrats ante mortem autorisés, la donation comporte un pacte successoral lorsqu'elle déroge notamment aux règles du rapport de même que la donation-partage, la donation entre époux portant sur les biens à venir, les institutions contractuelles par contrat de mariage et la renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR). Tous ces outils constituent des dérogations au droit traditionnel. Il convient d'y ajouter les contrats d'assurance-vie ainsi que toutes les dispositions contractuelles en droit des sociétés ayant un effet au décès comme les clauses statutaires d'agrément. Post mortem, la liberté est quasiment totale sous réserve de règles impératives, tant lors du règlement successoral qu'au cours de la détention collective d'un bien. La matière a toujours été propice au champ contractuel et le fait n'est pas nouveau. Les partages, les conventions d'indivision, les statuts de sociétés familiales, les conventions de démembrement en sont les manifestations classiques.