Les droits successoraux

Les droits successoraux

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Divergences doctrinales. – Les partisans d'une évolution législative en faveur d'un alignement des droits successoraux du partenaire survivant sur ceux du conjoint survivant (§ I) s'opposent à ceux qui sont favorables au maintien d'un statut distinct (§ II).

Les arguments en faveur d'un statut aligné

– L'importance des faits. – La revendication d'une assimilation avec le mariage progresse. L'argument premier d'une approche uniquement empirique s'impose aisément. Si le Pacs a « tenu », qu'il a été fondateur d'une union durable, a fortiori d'une famille solidaire et se rompt par le décès, c'est qu'il a été un succès. Pour les partisans de l'amélioration du sort du partenaire, la durée de l'union compte plus que l'engagement. Une ressemblance de situations de fait justifie, selon certains auteurs309, le même traitement juridique. Pour eux, il faut accorder plus d'importance aux faits qu'au choix contractuel initial. Sonia Ben Hadj Yahia pose clairement la question : « De lege ferenda, ne revient-il pas aujourd'hui au législateur de reconnaître des droits successoraux au regard de la réalité de la vie commune ? »310 Cette tendance a entraîné une « matrimonialisation »311 progressive du Pacs. Sa mention marginale sur les registres d'état civil depuis 2006 et la compétence du juge aux affaires familiales pour régler les litiges entre pacsés ou ex-pacsés, depuis 2009, sont la conséquence de cette tendance. Par ailleurs, l'on sait qu'un mouvement international tend à faire émerger un droit commun du couple indépendamment de son statut312.
– L'argument affectif. – Le fondement affectif qui avait été avancé pour la promotion du statut successoral du conjoint survivant est repris par les partisans d'une amélioration de la vocation successorale du partenaire. Il est la personne la plus proche du défunt, en dépit de l'absence de mariage. Au regard de « l'affection présumée »313, ne doit-on pas reconnaître des droits au partenaire ?
– L'évolution des mœurs 314 . – Certains auteurs revendiquent une évolution du statut du partenaire pour adapter le droit à la réalité, qualifiant l'actuelle situation juridique de position conservatrice « d'un autre temps, qui devrait être censurée »315. Ils analysent la situation dans certains pays (Allemagne, Moldavie, Estonie, Mexique, Brésil, Slovénie, Israël, Belgique) qui reconnaissent au concubin ou au partenaire des droits successoraux. Le Pacs apparaîtrait comme une version modernisée, un « prototype »316du mariage, des régimes matrimoniaux et du divorce (le régime de l'indivision des acquêts, la rupture sans juge). Cette version modernisée devrait s'accorder, selon eux, à une protection successorale.
– La transmission genrée. – Un autre argument émerge depuis peu du débat. L'idée est que la transmission du patrimoine en couple subirait des biais de genre et, par voie de conséquence, que l'absence de protection nuirait le plus souvent à celui qui est économiquement plus faible, en particulier les femmes317. Les écarts de salaire et de patrimoine, la complexification des actifs professionnels profiteraient généralement aux hommes. D'où, pour ces auteurs, la nécessité de prévenir ces inégalités par un dispositif légal en imposant un régime de communauté aux partenaires et des droits successoraux supplétifs de volonté.

Les arguments en faveur d'un statut distinct

– Le choix, une illusion ou une réalité ? – Il est usuel pour le notaire de considérer que les couples ont le choix de leur statut et qu'en lissant les modèles de conjugalité, on risquerait de supprimer une alternative. En dépit d'un certain déficit d'informations sur le fonctionnement des régimes matrimoniaux, nul n'ignore qu'à la dissolution (séparation ou décès) les conséquences entre le mariage, le Pacs, le concubinage sont dissemblables. Certains prétendent néanmoins que le choix est une illusion318, que ce sont des facteurs non juridiques qui influencent le projet de vie. La culture familiale, les ambitions professionnelles, la force de négociation de l'un des membres du couple, le rejet de l'institution du mariage, la peur de l'engagement, les orientations religieuses, l'échec affectif des précédentes relations, la crainte du divorce, l'envie de faire la fête, le souhait d'officialiser l'amour par un rite social vont guider le couple vers un statut qu'il n'a pas choisi pour ses conséquences juridiques. Michel Audiard ironisait déjà en 1963 sur les fausses bonnes raisons des jeunes mariés : « Je me suis marié parce que ça donnait le droit à un costume pure laine et des chaussures en cuir : voilà où ça mène l'élégance »319. La question serait pourtant sérieuse car le choix entraîne des conséquences différées dans le temps. L'argument est de poids. La démarche est-elle consciente, rationnelle, réfléchie, ou inconsciente et subie ?
S'il est vrai que les raisons initiales du nouveau couple ne sont pas juridiques, ceci mérite d'être nuancé. Les motivations évoluent dans le temps et l'option est toujours ouverte, l'orientation initiale n'est jamais définitive. La décision se renouvelle aux grandes étapes de la vie familiale et patrimoniale. La naissance des enfants, l'acquisition immobilière, le décès des parents, la durée de vie commune sont autant de raisons de se reposer la question. Les statistiques montrent qu'en France, les couples passent souvent par le concubinage avant de se pacser puis de se marier320, et que de surcroît ceux qui sont mariés prévoient dans la grande majorité de se gratifier en outre par testament ou donation entre époux. Le choix, en France, ne semble pas être une illusion.
– Les conséquences de la liberté de choix. – Deux interprétations s'opposent : une logique contractuelle et un raisonnement factuel. La vision contractuelle mesure le degré d'engagement réciproque engendrant des différences d'effets juridiques. Selon les termes de Françoise Dekeuwer-Défossez : « Si un couple choisit de se pacser plutôt que de se marier, au motif que l'union est plus facile à rompre, il n'y a rien d'anormal à ce qu'il ne bénéficie pas de certains avantages logiquement réservés à ceux qui s'engagent sinon pour la vie, en toutcas durablement » 321. Cet argument ne s'attache pas aux faits, mais à l'engagement, au don réciproque des époux. Le second raisonnement développé par les partisans de la promotion successorale s'attache aux effets de l'union322, la faisant sortir de la logique contractuelle de 1999323 pour lui donner une dimension matrimoniale.
– Des droits et des devoirs. – Le système actuel a le mérite de la clarté et évite tout risque de confusion. Il pourrait être avancé néanmoins que le choix a un sens pour les conséquences liées à la rupture et non au décès : choisir le Pacs pour éviter une prestation compensatoire, pouvoir rompre avec souplesse, a du sens, mais ne devrait pas empêcher de profiter d'une protection si l'union a perduré. Le risque d'une telle position est de perdre la cohérence du système : « l'uniformisation du traitement juridique des unions leur fait courir un risque de nivellement par le bas » 324. Le Pacs est conçu comme une alternative plus souple que le mariage, imposant moins d'obligations mais offrant moins de droits. Le niveau d'engagement étant plus léger, la durée moyenne de l'union est aussi plus courte (cinquante mois environ). Un auteur conclut avec poésie : « Le Pacs propose une vision en deux dimensions, « nous » et « maintenant », le mariage en ajoute une troisième, celle du « toujours » »325. Plus prosaïquement, le rapport sur la réserve héréditaire retient : « Créant moins de devoirs, [le Pacs] engendre logiquement moins de droits. Il n'y a là aucune discrimination injustifiée entre les couples »326.
– L'exemple belge. – L'évolution du droit de la famille en Belgique est à cet égard assez éclairante. Nos voisins belges ont adopté dès 1998 le statut de cohabitation légale, assez comparable au Pacs français, à ceci près qu'il est ouvert à d'autres groupes familiaux que la vie conjugale327. En 2007, le législateur belge a offert au cohabitant légal survivant l'usufruit ou le droit au bail relatif au logement familial et les meubles le garnissant328. Ceci a créé, selon le professeur Yves-Henri Leleu, l'illusion d'une protection successorale assurant à la cohabitation légale un succès très important en Belgique. « Son succès est tel qu'il est impossible, dans une perspective de réforme, de faire marche arrière sur les droits conférés aux partenaires, au point qu'il est inéluctable selon certains auteurs, que la cohabitation légale devienne un statut de vie affective à part entière, tant sur le plan civil que dans les autres domaines »329. Accorder des droits successoraux au partenaire survivant a rendu inévitable l'alignement progressif des deux statuts en cas de rupture ou de décès. La décision du 20 juin 2024 de la Cour constitutionnelle belge accordant aux partenaires en cas de cessation les mêmes droits qu'aux personnes mariées sous le dispositif suivant, le prouve : « L'absence d'une disposition législative prévoyant que les cohabitants légaux qui ont acquis en indivision un bien servant au logement familial peuvent solliciter, après la cessation de la cohabitation légale, l'attribution préférentielle de ce bien viole les articles 10 et 11 de la Constitution »330.
L'exemple belge démontre qu'accorder un droit successoral au survivant semble avoir eu deux conséquences : d'une part, augmenter nécessairement le succès du statut le moins engageant au détriment de l'autre et, d'autre part, contraindre le législateur à un nivellement progressif des deux statuts qui deviennent à présent comparables quant à leurs effets.
– Conclusion. – La question est éminemment délicate. L'étude du droit comparé, l'analyse des statistiques sur l'évolution du mariage et des partenariats en France comme à l'étranger, la lecture des travaux préparatoires à la loi de 1999, l'expérience de terrain au sein de nos offices, les échanges avec nos clients, nous conduisent à reconnaître la cohérence du système actuel et le risque d'une assimilation progressive des régimes au détriment du mariage. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe rend inutile l'alignement successoral des deux régimes. Instituer le partenaire au rang des successibles, en propriété ou en usufruit, ne répond pas à l'attente de nos concitoyens et conduirait à une confusion inéluctable. Notre confrère, Wilfried Baby, le souligne très précisément : « La priorité, dès lors que l'on décide de maintenir les trois formes actuelles de conjugalité, est de stopper le gonflement progressif des droits attachés au statut de pacsé »331. Le Pacs est un contrat qui, par sa souplesse, rencontre son public. Les effets successoraux du Pacs doivent donc continuer à dépendre de la volonté des partenaires. C'est pour nous, pour reprendre les propos de Gérard Champenois, « la bonne voie »332.