Les difficultés relatives à la constitution d'usufruits successifs

Les difficultés relatives à la constitution d'usufruits successifs

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Avantages civils de la constitution d'usufruits successifs. – Le vendeur cède un usufruit à un tiers et dans le même temps un second usufruit au profit d'un autre tiers. Le second usufruit prend effet au profit d'une autre personne si elle est alors vivante. Il dure jusqu'au décès du nouveau titulaire qui tient ses droits directement du constituant. L'objectif est de garantir au survivant un droit de jouissance viager sur le bien acquis. Le nu-propriétaire devient propriétaire au décès de l'usufruitier successif. Dans le cas d'un couple marié, il est constitué un usufruit commun lorsque les époux sont mariés sous un régime de communauté, ou indivis lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste.
– Nature juridique. – La nature juridique de l'usufruit successif a suscité des divergences jurisprudentielles et doctrinales. Ces divergences s'expliquent par le fait qu'aucun texte du Code civil ne prévoit spécifiquement la constitution d'usufruits successifs. Notamment, l'article 949 du Code civil énonce qu'un donateur peut faire réserve à son profit, ou disposer au profit d'un tiers de l'usufruit des immeubles donnés, mais il ne dit mot sur la possibilité de prévoir une réversion. Le constat ne manque pas de surprendre : la pratique utilise au quotidien des mécanismes de réversion d'usufruit alors que ceux-ci ne sont pas organisés par le Code civil. Cette situation n'a d'ailleurs jamais empêché la pratique notariale de faire preuve de la plus grande créativité en la matière. La stipulation d'usufruits successifs est utilisée par les notaires depuis le XIX e siècle pour protéger le niveau de vie du conjoint survivant029.
Cet usage constant des notaires va conduire à ce que certains actes soient soumis au contentieux. Les divergences d'analyse vont alors apparaître. En effet, la constitution d'usufruits successifs peut faire l'objet de deux analyses juridiques différentes. Elle peut s'analyser en une convention prévoyant une condition suspensive et résolutoire. La chambre commerciale a tout d'abord retenu cette conception030. Elle peut également s'analyser en une donation à terme de biens présents. La réserve d'usufruit et la constitution d'un usufruit successif se combinent. L'usufruit successif complète l'usufruit actuel lorsque le bénéficiaire est le conjoint. Il se substitue à l'usufruit lorsque le bénéficiaire n'a pas la qualité de vendeur ou de donateur. La première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation ont soutenu cette analyse031, qui a été confirmée par une chambre mixte de la Cour de cassation032.
Il s'agit donc non seulement d'un démembrement du droit de propriété, mais également d'un droit personnel, attaché à la personne du survivant. Ainsi, en cas de prédécès du bénéficiaire, l'usufruit successif s'éteint avec lui.
– Est-il possible de constituer un usufruit successif dans le cadre d'une acquisition démembrée ab initio ? – La possibilité de constituer des usufruits successifs ne fait plus de doute lorsque des parents ont acquis un immeuble en pleine propriété et le donnent ensuite en nue-propriété033. La question est beaucoup plus équivoque lorsque le bien est acquis directement en démembrement. En droit pur, le titulaire d'un usufruit viager n'est pas en mesure de conférer plus de droits qu'il n'en a : l'usufruit ainsi acquis a vocation à s'éteindre avec son décès. Les formules de réversion prévues par certaines clauses d'acte sont critiquables à cet égard. La solution peut consister en ce que l'enfant, devenu nu-propriétaire, constitue un usufruit successif au profit de ses parents034. En pratique, cette constitution d'usufruits successifs par les enfants au profit de leurs parents est réalisée de manière gratuite, ce qui suppose une procuration authentique des enfants si ceux-ci ne se présentent pas au rendez-vous de signature (le plus souvent, dans les acquisitions en démembrement, les enfants nus-propriétaires ne sont pas présents à l'acte et ont confié une procuration sous seing privé à leurs parents). La solution ne peut donc être improvisée à la dernière minute. Évidemment, sur le plan successoral, cette donation d'usufruits successifs implique des conséquences juridiques (risque de réduction) en cas de décès du nu-propriétaire.
Comme il a été indiqué plus en avant, l'acquisition en pleine propriété suivie d'une donation présente des inconvénients (liés à son coût principalement), mais offre de nombreux avantages juridiques. Elle se prête notamment bien plus facilement à la constitution d'usufruits successifs.
– Régime juridique de l'usufruit successif. – L'aliénation du bien objet de l'usufruit successif nécessite l'accord du bénéficiaire de la réversion bien qu'il n'ait aucun droit actuel sur le bien. Outre les difficultés pratiques que cela peut parfois représenter, la cession d'un usufruit non encore ouvert présente une difficulté sur le plan fiscal. Une telle cession entraîne-t-elle une taxation à l'impôt de plus-value ? Doit-elle être taxée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) en application de l'article 92 du Code général des impôts, lequel assimile aux BNC non professionnels les profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ? Cette question n'a trouvé aucune réponse certaine à ce jour035.
– Distinction selon l'objet de l'usufruit. – Lorsque le bien objet de l'usufruit est commun, l'usufruit est également commun036. Le décès de l'usufruitier emporte extinction de l'usufruit réservé pour moitié. Pour assurer au conjoint survivant jusqu'à son décès l'usufruit total du bien aliéné, le notaire prévoit un droit successif réciproque à son profit. L'usufruit subsiste et continue de grever l'intégralité037 des biens objets de la donation.
Lorsque le bien objet de l'usufruit est indivis038 les conjoints profitent tous deux du bien indivis au cours de leur vie. Au décès du premier, le survivant devient titulaire de l'usufruit successif. Il bénéficie alors de la jouissance totale du bien.
Lorsque le bien grevé d'usufruit a la nature de bien propre au sens de l'article 1404 du Code civil, l'usufruit est réservé par l'usufruitier à son seul profit. Au décès de l'usufruitier, l'usufruit s'éteint. Pour permettre à l'époux survivant de conserver la jouissance du bien, un usufruit successif, distinct de l'usufruit réservé, doit être constitué à son profit.
Cette technique peut également permettre à une autre personne que le conjoint de bénéficier d'un usufruit après le décès de l'usufruitier. Il convient d'informer les parties de la nécessité du consentement de l'usufruitier.
– Régime fiscal de l'usufruit successif. – L'article 796-0 quater du Code général des impôts prévoit expressément que les réversions d'usufruit relèvent du régime des droits de mutation par décès. En conséquence, en présence de personnes mariées ou pacsées, aucun droit n'est dû au premier décès, lorsque le conjoint récupère l'usufruit appartenant auparavant au prédécédé.
– Difficultés relatives au droit à restitution. – En cas de décès de l'usufruitier, l'usufruit successif s'ouvre. L'ouverture de l'usufruit successif donne droit au nu-propriétaire à la restitution d'une somme égale à ce qu'il aurait payé en moins si le droit acquitté par lui avait été calculé d'après l'âge de l'usufruitier éventuel. La diminution de la valeur de la nue-propriété du fait de l'existence d'un usufruitier successif plus jeune explique ce droit à restitution039. En matière d'acquisition à titre gratuit, le droit à restitution est cependant exclu lorsque l'usufruitier a pris à sa charge les droits de mutation à titre gratuit040, ce qui arrive fréquemment en pratique.
En effet, la raison d'être du droit à restitution est de compenser la surtaxation du nu-propriétaire, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il n'a pas acquitté les droits de mutation041.