Les contours de l'impérativité

Les contours de l'impérativité

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Il est difficile de circonscrire l'impérativité. La notion même d'ordre public est insaisissable, voire obscure pour certains. Parmi les matières liées au notariat, il sera distingué ce qui paraît ressortir de l'ordre public de direction (Sous-section I), de l'ordre public de protection (Sous-section II).

L'ordre public de direction

En matière de filiation

– La prohibition de l'inceste. – Le Code civil n'utilise pas le terme « inceste ». Mais en interdisant de manière absolue le mariage entre certains parents, la loi consacre sa prohibition. Il n'y a, en revanche, pas d'interdit pour les quasi-frères et sœurs, c'est-à-dire ceux qui sont élevés ensemble, au sein de familles recomposées. Seule l'adoption laisse subsister l'interdiction du mariage entre l'adopté et les membres de sa famille par le sang172. L'interdit vise en revanche le beau-parent et la fille ou le fils de son conjoint. Mais, le mariage est permis entre le beau-parent et le fils ou la fille de son concubin ou de sa concubine dans la mesure où aucun lien juridique ne préexiste. Il est également possible en présence d'un Pacs sauf en cas d'adoption du bel-enfant. Ceci semble révéler l'essence originellement contractuelle du Pacs, comme s'il était étranger à tout lien de parenté et d'alliance. La loi « ne se contente pas de constater ce qui est, elle dit ce qui peut être et ne pas être »173. L'ordre public joue tout son rôle. Il se doit d'être moraliste au risque de s'immiscer dans la vie privée des individus. Si l'on rejette toute morale collective, tout interdit impératif au nom d'une éthique individuelle, on s'inscrit alors dans une nouvelle éthique collective qui peut avoir sa part de dogmatisme et de dangerosité pour la société, les individus qui la composent et leur famille174.
– Le rejet des discriminations. – L'égalité se manifeste par le rejet de toutes formes d'inégalité. Dès 1804, on observe le rejet de la discrimination basée sur l'ordre des naissances et la religion, ainsi que des privilèges de masculinité et de primogénitures. En 1966, la filiation adoptive est alignée, en 1972, l'égalité entre filiation naturelle et légitime est établie, et en 2001, la filiation adultérine est supprimée175. Si l'égalité s'impose comme une évidence en droit interne, elle reste néanmoins à défendre sans réserve176. Elle est de surcroît, vacillante en droit international pour l'accueil en France, des droits acquis à l'étranger. Cette égalité n'a pas le même écho dans les systèmes de droit religieux et certains systèmes contemporains de droit coutumier. Ces questions paraissent ressortir d'une impérativité forte.

En matière de mariage

– La prohibition de la bigamie. – L'interdiction de la bigamie figure à l'article 147 du Code civil. L'ordre public interne s'oppose à ce qu'un mariage polygamique contracté à l'étranger produise ses effets à l'encontre de l'époux qui est français. Toutefois, les mariages célébrés à l'étranger, entre étrangers, dont la loi nationale autorise la polygamie, ne sont pas nuls en France et peuvent d'ailleurs produire certains effets177. Cependant, les effets de ces mariages polygames célébrés à l'étranger sont, à présent, limités sur le territoire français au regard de la loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ces questions relèvent l'attachement du droit français à la monogamie. L'ordre public consacre le mariage comme l'union entre deux personnes qui s'engagent à se réserver l'exclusivité dans leurs relations de vie de couple et a fortiori dans leurs relations charnelles.
– La dignité et le respect mutuel des membres du couple. – Cette question est si large et si subjective qu'il est difficile d'en établir les contours. La version laconique de l'article 212 du Code civil selon laquelle « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » est sans doute la meilleure et doit rester, à notre sens, du domaine de l'impérativité. Si l'augmentation des violences conjugales – ou de leur dénonciation –, et la réalité des chiffres de féminicides constituent une réalité inacceptable et incompatible avec les libertés publiques, l'infidélité, le mépris et l'abandon devraient plutôt ressortir d'un déséquilibre privé. Néanmoins, supprimer ou réduire l'impérativité de ce qui forme le cœur du mariage conduirait à un déplacement délétère de la norme. Le mariage et son article 212 doivent rester, à notre sens, un idéal à défendre au sein de l'ordre de direction178. Mais d'une manière plus générale et sans imposer un cadre juridique, certaines valeurs morales exigent, a minima, un respect mutuel entre les membres d'un couple et ce, quel que soit le mode de conjugalité.

En droit successoral

– Privilège de masculinité, de religion, égalité des filiations. – Les mêmes questions relatives au privilège de masculinité, de religion et d'égalité dans la filiation se posent lors du décès. À l'aune de l'internationalisation, ces sujets revêtent une actualité renouvelée. La succession ne doit pas être le lieu des inégalités fondées sur le sexe, la religion et l'ordre des naissances. Ces questions ne sont pas des combats surannés.

L'ordre public de protection

– Bref énoncé des principes. – Si la doctrine observe un glissement de l'ordre public de direction vers l'ordre public de protection179, les praticiens reconnaissent les principes ci-après. En droit des régimes matrimoniaux, les limites de l'ordre public de protection sont fondées sur le principe d'égalité entre les époux, de solidarité et de protection ainsi que sur l'immutabilité des régimes matrimoniaux. En droit successoral, la réserve et la prohibition des pactes sur succession futurs forment les deux piliers de l'ordre public180.