Les conditions de la mutation du régime matrimonial

Les conditions de la mutation du régime matrimonial

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Double condition. – L'aménagement ou la modification du régime matrimonial repose sur des conditions de droit (Sous-section I) et sur des conditions d'opportunité (Sous-section II).

Les conditions de droit

– Suppression du délai de deux ans. – Avant la loi du 23 mars 2019063, les époux devaient attendre un délai de deux ans avant d'envisager l'aménagement ou le changement de leur régime matrimonial. Ce délai avait pour but de leur permettre de s'approprier et d'apprécier leur régime matrimonial. Il en était de même entre deux changements de régime. À ce jour, les époux peuvent modifier à tout moment leur régime patrimonial, leur offrant ainsi, d'une part, un droit à l'erreur064 s'ils ont omis de régulariser un contrat de mariage préalablement à leur union065 et, d'autre part, un droit au changement lorsque leur situation professionnelle vient à évoluer rapidement.
– Consentement. – Conformément au droit commun des contrats, le changement de régime matrimonial exige le consentement des époux, lequel doit être libre et éclairé, et exempt de tout vice tel que le dol, la violence ou l'erreur. D'ailleurs, la Cour de cassation est venue préciser que ce consentement devait perdurer pendant toute la procédure, notamment pendant la phase d'homologation judiciaire066.
– Capacité. – Pour qu'ils puissent modifier ou changer leur régime matrimonial, la capacité des époux doit être pleine et entière.
S'agissant du mineur, le mariage émancipant celui-ci, il peut régulariser librement toute convention modificative sans l'assistance des personnes dont le consentement avait été requis pour la validité du mariage. D'ailleurs, ces derniers ne disposent d'aucun droit à l'information et ne seront pas auditionnés par le juge en cas de demande d'homologation par suite d'une opposition.
S'agissant des majeurs protégés, la loi du 5 mars 2007067 est venue encadrer les règles en matière de changement de régime matrimonial. En effet, l'alinéa 7 de l'article 1397, alinéa 7 du Code civil dispose que : « Lorsque l'un ou l'autre des époux fait l'objet d'une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le changement ou la modification du régime matrimonial est soumis à l'autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué ». Le renvoi au titre XI sans exception impose d'obtenir l'accord du juge quelle que soit la mesure de protection. Ce principe est étonnant au vu des règles de capacité concernant la conclusion d'un contrat de mariage. Pourquoi imposer un régime plus strict pour une mutation du régime matrimonial que pour la conclusion du contrat initial ? Une harmonisation des règles nous semble opportune et, dans le courant de déjudiciarisation actuel, il nous paraît pertinent que les règles de capacité lors du changement de régime matrimonial soient calquées sur celles du contrat initial.

Les conditions d'opportunité

– L'intérêt de la famille. – La liberté des époux d'aménager ou de modifier leur régime matrimonial est subordonnée, on le sait, à l'intérêt de la famille (C. civ., art. 1397, al. 1er). L'intérêt de la famille est une notion fluctuante dont le contenu est variable. Il n'en existe pas de définition législative et ses contours restent flous. De quelle famille est-il question ? De quel intérêt s'agit-il ? L'intérêt de la famille a pu être défini comme « l'intérêt de tous les membres du groupe familial, mais aussi de certains d'entre eux, voire même d'un seul, notamment le conjoint »068, mais l'évolution du modèle familial, la multiplication des familles recomposées et l'avènement de nouvelles tribus ne facilitent pas les définitions et, par-delà, le rôle du notaire en la matière.
– Les motivations des époux. – Dans les faits, l'intérêt de la famille est généralement entendu dans une acception plus précise et plus concrète, ce qui conduit à nous interroger sur les motivations qui poussent les époux à vouloir aménager ou modifier leur régime matrimonial. Afin de proposer un nouveau régime sur mesure, le notaire doit interroger ses clients sur leurs préoccupations patrimoniales, qui peuvent se révéler diverses. D'ailleurs, il est vivement recommandé au notaire de réaliser un audit patrimonial préalable afin d'aborder le dossier de manière globale pour ensuite effectuer d'éventuelles simulations financières. Généralement il s'agit, par le biais d'une mutation du régime matrimonial, de protéger le conjoint survivant (§ I) ou le patrimoine professionnel (§ II), mais aussi d'assurer un rééquilibrage des patrimoines (§ III).

La protection du conjoint survivant

– Augmenter les droits du conjoint sur la masse successorale. – Le réaménagement de la masse commune par l'ameublissement de biens propres ou l'adjonction d'une société d'acquêts dans un régime séparatiste, couplé avec une clause d'attribution intégrale au survivant, va permettre d'augmenter le patrimoine transmis en pleine propriété au conjoint survivant. La communauté ou la simili communauté sera liquidée intégralement au profit du survivant. En raison de cette attribution, tout partage sera exclu et le conjoint survivant sera dispensé de déposer une déclaration de succession. Naturellement, afin de parvenir au résultat souhaité, le notaire devra traiter du sort des récompenses en les neutralisant par leur apport à la communauté ou à la société d'acquêts. Le notaire conseille également un tel aménagement ou changement lorsque les enfants sont déjà confortablement installés et bénéficient de revenus confortables, contrairement au conjoint survivant.
Cette vocation patrimoniale augmentée va lui permettre de disposer librement de l'intégralité du patrimoine transmis. Ainsi, l'adoption de la communauté universelle avec attribution intégrale de la communauté permet d'assurer la gestion de l'entreprise ou de l'exploitation familiale. Investi, au décès du prémourant, de la propriété privative et exclusive de cette entreprise ou de cette exploitation, le survivant pourra continuer d'assumer librement cette gestion. S'il y a lieu, il prendra les mesures nécessaires pour l'adapter aux circonstances.
– Faciliter le règlement de la première succession en présence d'un enfant protégé ou en cas de mésentente familiale. – Il peut notamment être conseillé de changer de régime au profit d'une communauté universelle avec une clause d'attribution en pleine propriété en présence d'un enfant faisant l'objet d'une mesure de protection. Ce changement permettra de contourner le mécanisme de l'option, l'acceptation de la succession et la nécessité de requérir l'autorisation du juge des tutelles. Un tel choix est également opportun en cas d'éloignement d'un enfant ingrat ou en cas de mésentente familiale. Ainsi, la première succession en sera facilitée et le conjoint survivant se préserve d'un risque de blocage successoral.
– Optimisation de la seconde succession dans les familles recomposées. – Le changement de régime matrimonial peut aussi être opportun en présence de familles dites « recomposées ». Lorsqu'un seul des époux a des enfants d'un premier lit, il peut arriver que l'époux sans enfant possède un patrimoine propre, dont il souhaite faire bénéficier les enfants de son conjoint. L'apport du bien propre, combiné avec une clause d'attribution intégrale au profit de l'époux ayant des enfants uniquement pour le cas où cet époux survivrait, permet de transmettre les biens immobiliers appartenant à l'époux qui n'a pas d'enfant à ceux du conjoint. Si c'est effectivement le bénéficiaire de la clause d'attribution qui survit, il sera investi du patrimoine de son conjoint, originairement propre et devenu commun. À son propre décès, il le transmettra à ses enfants qui bénéficieront alors de l'abattement et du tarif applicables eu égard à leur qualité. Si au contraire l'époux apporteur décède le second, les enfants du premier, au décès de l'époux apporteur, toujours sous le bénéfice du régime fiscal des descendants, bénéficieront de la moitié de la communauté universelle et, par conséquent, de la moitié de l'ancien patrimoine de son conjoint.

La protection du patrimoine professionnel

– Mutation vers un régime séparatiste. – Le passage d'un régime de communauté vers un régime de séparation de biens pure et simple est un moyen commode et fréquemment utilisé pour protéger le patrimoine professionnel de l'un des époux. Si ces derniers entendent conserver un régime matrimonial fortement imprégné d'une idée communautaire, tout en souhaitant protéger le patrimoine professionnel de l'un d'eux, ils peuvent aussi opter pour une séparation de biens avec adjonction d'une société d'acquêts dont l'étendue est limitée et comprend, par exemple, uniquement le logement familial et le compte joint. Le notaire ne doit cependant pas manquer, en pareil cas, d'informer le couple du risque d'action paulienne en cas de fraude aux droits des tiers069, étant ici souligné que cette fraude doit être caractérisée par la réunion du critère matériel et intentionnel et que le seul changement d'un régime de communauté vers un régime séparatiste ne peut en soi caractériser une fraude070. En revanche, lorsqu'il est caractérisé que le changement a pour seul but d'organiser l'insolvabilité d'un époux débiteur, notamment en plaçant dans le lot de l'épouse des biens insaisissables, la fraude est constituée et le changement, s'il est définitif, est inopposable aux créanciers071.
– Mutation du régime matrimonial et procédure collective. – Face à une situation financière délicate voire périlleuse, un époux chef d'entreprise, marié sous un régime communautaire, pourrait être tenté de protéger son patrimoine familial en adoptant un régime de séparation de biens. La décision de changer de régime matrimonial est un acte personnel. Aussi le dessaisissement éventuel de l'époux en redressement ou en liquidation ne lui est pas opposable pour la prise de décision072. De même, l'intervention du mandataire judiciaire ou de l'administrateur n'est pas requise en principe pour la signature de l'acte. Néanmoins, ces derniers doivent participer aux opérations liquidatives, afin de surveiller les actes patrimoniaux effectués par le chef d'entreprise débiteur. Or, dans ce type de situation, le choix se tournera naturellement vers la séparation de biens imposant la liquidation du régime de communauté. Ainsi, le notaire devra veiller à l'intervention du mandataire judiciaire ou de l'administrateur à son acte, sous peine de nullité073.
Il est enfin rappelé qu'un acte de changement de régime matrimonial pourra être annulé par le juge s'il est régularisé pendant la période suspecte, s'il entre dans le champ d'application de l'article 632-1, I, 2o du Code de commerce et que la convention modificative est déséquilibrée en faveur de l'époux in bonis, ce qui pourrait être le cas d'un partage inégal au profit de ce dernier.
En somme, le changement de régime matrimonial décidé à la hâte par un chef d'entreprise est toujours à manier avec précaution. Quant au notaire en charge d'instrumenter l'acte portant changement de régime matrimonial, il sera bien inspiré d'adopter le réflexe de consulter le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) en présence d'un époux, chef d'entreprise ou associé.

Le rééquilibrage des patrimoines

– Rééquilibrage des patrimoines et neutralisation des flux financiers. – L'objectif des époux peut être le rééquilibrage des patrimoines en raison de l'existence de flux financiers entre eux, notamment au sein d'un régime communautaire. L'hypothèse vise particulièrement les couples remariés en présence d'une éventuelle créance entre époux ou d'une récompense.
L'acte de changement de régime matrimonial peut être adapté en fonction de chaque cas d'espèce. Ainsi il peut être prévu, dans le cas d'un régime matrimonial de communauté réduite aux acquêts, un aménagement consistant en un apport en communauté d'un bien propre.
Lorsque l'époux non propriétaire détient une créance ou une récompense à l'égard de son conjoint074, il risque de se heurter à une difficulté de preuve au moment de la liquidation du régime matrimonial. L'occasion peut alors être saisie de reconnaître cette récompense ou cette créance et de l'abandonner. Le notaire ne doit pas omettre, en pareille occurrence, de prévoir une clause de reprise des apports et de reconnaissance d'une récompense ou d'une créance entre époux due par l'apporteur en cas de divorce.

Rééquilibrage des patrimoines entre époux communautaires

Avant le mariage, un des époux acquiert un immeuble locatif financé au moyen d'un prêt. Quelques mois après, il se marie sans contrat de mariage préalable. À compter de l'union, le remboursement des échéances du prêt personnel est pris en charge par la communauté, à charge de récompenses. Parallèlement, la communauté va encaisser les loyers de cet immeuble, sans récompenses, les fruits des biens propres tombant en communauté. Ensuite, le conjoint reçoit une donation de ses parents qu'il va utiliser pour partie pour réaliser des travaux sur le bien propre de son époux et pour partie pour les besoins de la vie quotidienne, générant ainsi une créance entre époux et une récompense à son profit. Ces époux rencontrent leur notaire pour lui exposer leur vision communautaire, estimant que l'immeuble locatif doit tomber en communauté, cette dernière ayant financé la quasi-totalité du prêt et perçu les loyers et souhaitant se protéger en cas de décès. Dans cette situation, il pourra être conseillé d'apporter l'immeuble à la communauté ainsi que les différentes créances et récompenses. Il semble paradoxal ici d'insérer une clause alsacienne de reprise en cas de divorce, car cette clause viendrait anéantir le souhait communautaire des époux. Il y aura lieu d'expliquer les enjeux et, en cas d'absence de clause alsacienne dans le changement, le notaire devra se prémunir de la preuve de son conseil auprès des clients.

– Rééquilibrage des patrimoines et transmission aux enfants. – L'objectif des époux peut être le rééquilibrage des patrimoines dans le cadre d'une transmission future aux enfants.
Grâce aux apports, il s'opère un rééquilibrage du patrimoine des époux. La transmission est ensuite possible aux enfants de l'époux qui n'était initialement pas propriétaire du bien. Naturellement, cela permet aussi d'optimiser l'utilisation des abattements des enfants ainsi que le barème progressif des droits de mutation à titre gratuit.
Le notaire doit cependant rester attentif au risque d'abus de droit prévu par l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales. Afin d'écarter un tel risque, il doit prendre soin de ne pas limiter son changement à l'ameublissement des titres de sociétés aux fins d'une transmission future. Il sera alors important d'apporter d'autres modifications au régime initial, notamment l'ameublissement d'autres biens, l'ajout d'avantages matrimoniaux, le traitement des flux financiers, etc.

Précautions rédactionnelles

Le notaire devra prendre soin de causer la volonté modificative des époux dans un exposé au sein de l'acte contenant le changement ou l'aménagement de régime matrimonial, et ce pour plusieurs raisons :
  • préparer une éventuelle opposition et faciliter l'homologation du changement de régime matrimonial ;
  • justifier les raisons de la volonté des époux à ce moment précis de leur union pour éviter une contestation ultérieure des époux en cas de regret ou de changement de situation, notamment lorsque l'un des époux engage une procédure de divorce quelques mois à peine après un passage en séparation de biens… ;
  • faciliter la compréhension par les enfants lors de la succession du premier, notamment lorsque le survivant n'est plus capable et donc ne peut plus exprimer les raisons de ce choix passé.