L'entraide familiale matérialisée dans la donation

L'entraide familiale matérialisée dans la donation

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– La répartition contractuelle des travaux. – Les notaires qui établissent une donation en nue-propriété constatent le plus souvent le peu de marges financières dont disposent les nus-propriétaires. Du reste, ce constat peut être opéré dès la signature de l'acte : dans bien des cas, le donataire ne peut payer les frais liés à la donation sans être mis dans une position économique délicate. La première manifestation d'entraide familiale dont les notaires sont les témoins réside dans la prise en charge des frais d'acte et des droits de mutation à titre gratuit par le donateur.
Sur le plan fiscal, l'administration admet de longue date que cette entraide ne forme pas une libéralité indirecte513. La deuxième manifestation d'entraide familiale réside dans la prise en charge des grosses réparations par l'usufruitier. En effet, les dispositions de l'article 605 du Code civil ne sont pas d'ordre public, si bien qu'il est possible de déroger à la clé de répartition que ce texte prévoit514. La pratique notariale s'appuie également sur les dispositions de l'article 599, alinéa 2 du même code pour autoriser expressément l'usufruitier à réaliser des travaux d'amélioration, tout en rappelant dans l'acte qu'il ne pourra pas être indemnisé à ce sujet.
Ces clauses sont devenues des clauses habituelles dans les actes de donation, ce qui n'est pas illogique quand on pense à la fois à l'intérêt que l'usufruitier peut tirer de la conservation ou de l'amélioration d'un immeuble, et à l'impécuniosité récurrente des nus-propriétaires. Pour autant, la charge des gros travaux doit être discutée systématiquement avec les parties au contrat de donation.
– De l'utilité de la dépense pour l'usufruitier. – Faire preuve de créativité en adaptant la charge des travaux comporte une part de risque : les avantages financiers qui peuvent résulter de la prise en charge des travaux par l'usufruitier agitent le spectre de la libéralité indirecte. Certes, le financement des travaux par l'usufruitier aura conduit à une diminution de son épargne (et donc à une baisse de l'actif successoral), mais il aura contribué à une augmentation du patrimoine du nu-propriétaire, celui-ci étant le bénéficiaire final de la plus-value.
Cette plus-value dont le nu-propriétaire sera le bénéficiaire final excède bien souvent la dépense faite par l'usufruitier. Sur le plan fiscal, l'intérêt est manifeste : les droits de donation auront été perçus sur la valeur du bien avant réalisation des travaux, tandis qu'aucun droit de succession ne sera perçu lors de l'extinction de l'usufruit515. Autrement dit, et pour reprendre l'expression du doyen Aulagnier, les travaux auront été réalisés « hors succession »516.
Cependant, ces travaux ne sont pas toujours « hors succession ». Ils peuvent faire l'objet d'une requalification en libéralité indirecte si la preuve d'une intention libérale est rapportée517. Cette preuve sera plus facile à rapporter si la dépense ne représentait aucune utilité pour l'usufruitier. Toutes les circonstances de fait seront prises en compte, notamment la durée de l'usufruit : si l'usufruitier jouit des améliorations pendant une longue période, l'intention libérale sera plus difficile à caractériser que s'il réalise des travaux à un âge avancé518. Une jurisprudence récente, non publiée au bulletin civil, donne une illustration du risque : après avoir relevé que l'usufruitier n'avait retiré aucune contrepartie dans les travaux d'amélioration qu'il avait réalisés, la Cour de cassation a décidé que les travaux qu'il avait supportés devaient être rapportés à la succession519.
Le notaire doit donc être vigilant et s'assurer que l'usufruitier réalise les travaux avant tout dans son propre intérêt et non dans celui du nu-propriétaire. Les marqueurs de cet intérêt peuvent procéder d'une amélioration des conditions de vie de l'usufruitier grâce aux travaux d'amélioration apportés à l'immeuble, d'un accroissement de son revenu locatif, etc. En somme, l'aide familiale doit être intéressée avant d'être désintéressée.
– Le risque fiscal. – Sur le plan fiscal, le notaire doit veiller à éviter les situations caricaturales qui exposeraient ses clients à un risque de rectification fiscale sur le fondement de l'abus de droit fiscal. Là encore, les circonstances factuelles seront déterminantes : l'âge de l'usufruitier, le délai séparant les trois événements que sont la signature de la donation, la réalisation des travaux et le décès de l'usufruitier seront scrutés avec la grande attention par l'administration fiscale. Il sera difficile de faire jaillir un intérêt pour l'usufruitier si celui-ci, en fin de vie, rénove intégralement une propriété.
Dans un autre ordre d'idées, il faut conserver à l'esprit que la prise en charge des travaux par l'usufruitier comporte toujours un revers de la médaille s'agissant de l'imposition des plus-values immobilières des particuliers : lors de la revente du bien, le nu-propriétaire, devenu plein propriétaire suite au décès de l'usufruitier, ne peut pas prendre en compte le montant des travaux supportés par l'usufruitier, ne les ayant pas lui-même supportés520. Le nu-propriétaire, devenu plein propriétaire, est donc imposé sur l'intégralité de la plus-value que l'usufruitier a apportée au bien immobilier.