Le principe théorique en droit français : le mort saisit le vif

Le principe théorique en droit français : le mort saisit le vif

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Fondements textuels. – Le concept de saisine n'est pas directement défini dans le Code civil, ce qui peut paraître étonnant pour une institution consubstantielle à notre système. En dépit de cette lacune, de nombreux articles du Code civil font référence aux modalités d'attribution de la saisine : l'ancien article 777 et les actuels articles 1054, 1006 et, depuis la loi du 3 décembre 2001, sous le chapitre premier « De l'ouverture de la succession, du titre universel et de la saisine », l'article 724.
– Précisions sur la notion de saisine et de transmission. – Le droit coutumier nous a laissé l'adage suivant : « Le mort saisit le vif, son hoir le plus proche, habile à lui succéder »375. Très longtemps liée à l'idée de la continuation de la personne du défunt, la saisine revêt aujourd'hui une réalité plus subtile. Il y a lieu de distinguer la « transmission » des biens qui se fait de plano 376, de la « saisine » proprement dite. Si la transmission de plano concerne tous les ayants droit, la saisine n'est accordée qu'à certains d'entre eux. Les héritiers sont les continuateurs de la personne du défunt et de son patrimoine sans formalité, ni manifestation de volonté. Les héritiers pourront accepter ou même renoncer à la succession. Dans ce dernier cas, ils anéantiront la transmission déjà réalisée. La saisine quant à elle porte sur les modalités d'exercice des droits sur les biens héréditaires. C'est cette distinction assez artificielle entre la propriété et la possession377 qui confère à la notion un caractère théorique.
– Les deux systèmes : réaliste et personnaliste. – Pour comprendre l'importance de la saisine successorale, il faut se référer à l'étude comparée des grands systèmes de droit, où deux mécanismes se côtoient : le système de la succession aux biens et le système de la succession aux personnes378. Le droit anglo-saxon notamment consacre le premier modèle « réaliste », tandis que le droit français, « personnaliste », retient le second en distinguant entre les héritiers saisis et ceux qui ne le sont pas.
– Le modèle anglo-saxon : la succession aux biens. – Dans cette première conception, le patrimoine n'est pas transmis immédiatement activement et passivement aux héritiers. Le décès ouvre une période de liquidation au terme de laquelle un actif net sera éventuellement transmis, après apurement des dettes. La succession conserve une sorte de personnalité juridique autonome des ayants droit. Les systèmes contemporains font intervenir un intermédiaire qui joue le rôle d'un « syndic de faillite379 » avec la double mission de vérifier les qualités héréditaires et d'administrer la succession, activement et passivement. L'héritier n'est tenu que dans les limites des forces de la succession, intra vires hereditatis. Le système est fondé sur un contrôle judiciaire.
– Le modèle continental : la succession à la personne. – Dans le second système inhérent au mécanisme successoral continental, la transmission porte sur l'universalité du patrimoine, sans liquidation préalable du passif. C'est même originairement la personnalité juridique du défunt qui se trouvait confondue avec celle de ses ayants droit380. La succession n'a pas d'autonomie ni d'identité et la transmission instantanée ne porte pas sur un actif net, mais sur l'ensemble du patrimoine, droits et obligations, biens et dettes. Cette autre conception reconnaît des pouvoirs aux successeurs. Ils sont propriétaires des biens dont ils ont la jouissance et l'administration. La succession est réglée sous le contrôle et les instructions des héritiers, qui sont tenus au-delà des forces de la succession, ultra vires successionis. Le tribunal, sauf exceptions381, ne contrôle pas la qualité des héritiers.
– Un modèle mixte : Le système de l'hérédité jacente – 382 . – Aux côtés de ces deux systèmes, certains pays européens (Italie, Portugal, Espagne, Autriche) ont adopté un système mixte dont la version la plus élaborée se trouve en Autriche. Cette hérédité jacente, « c'est-à-dire gisante, qui attend qu'on la prenne et la ravive »383, organise la période intermédiaire comme le font les pays de common law, tout en reconnaissant la continuité de la personne, sans l'institution de la saisine.