Le principe fragilisé de la présomption de paternité

Le principe fragilisé de la présomption de paternité

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le déclin de la présomption de paternité. – La loi du 3 janvier 1972 a créé une égalité entre les filiations légitimes et naturelles781. Qu'ils soient légitimes ou naturels, les enfants entrent dans la famille de leur auteur et ont en principe les mêmes droits et devoirs782. À cette époque, le modèle que représentait la famille légitime n'est « plus imposé, mais simplement proposé : “à chacun sa famille, à chacun son droit” »783. La présomption de paternité a alors été fortement ébranlée ; le législateur ayant profondément modifié sa portée et réduit sa force. Par la suite, la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 a supprimé toute discrimination à l'égard des enfants adultérins784. Quant à l'ordonnance du 4 juillet 2005, en supprimant toute référence à la famille légitime et naturelle, elle a posé un principe d'égalité entre tous les enfants, qu'ils soient issus ou non d'un mariage. Dès lors, la présomption de paternité a été fortement critiquée « dans la mesure où elle maintient une distinction entre enfants nés dans le mariage et enfants nés hors mariage »785. Toutefois, certains auteurs avançaient, à l'époque, que sa suppression aurait porté une atteinte trop sévère au mariage et aurait permis d'ouvrir une porte au mariage pour les couples de personnes de même sexe. Cette présomption a finalement résisté aux différentes réformes du droit de la famille y compris lorsque le mariage a été étendu aux couples homosexuels, bien que le législateur ait refusé de leur étendre celle-ci786. L'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées par la loi du 2 août 2021 a rouvert le débat sur le devenir de la présomption de paternité.
– Vers une suppression de la présomption de paternité pour assurer une égalité parfaite entre tous les enfants ? – La suppression de la présomption de paternité a été proposée afin d'assurer une égalité parfaite entre tous les enfants, peu importe qu'ils soient nés pendant le mariage ou hors mariage787. Elle serait ainsi l'aboutissement des réformes entreprises en droit de la famille depuis 1972. Cependant, « il n'est pas certain que l'existence de la présomption de paternité limitée aux couples mariés préjudicie aux enfants qui naissent de parents non mariés »788. En effet, dès lors que la filiation est légalement établie, les enfants ont les mêmes droits et devoirs à l'égard de leurs parents. Le principe d'égalité entre les enfants n'interdit pas au législateur de prévoir des modes d'établissement différents de la filiation selon la situation matrimoniale des parents. L'inégalité dans le mode d'établissement de la filiation à l'égard de l'enfant en raison du mode de conjugalité de ses parents – présomption de paternité ou reconnaissance volontaire – ne porte nullement atteinte à l'égalité de statut entre les enfants. Par ailleurs, supprimer la présomption de paternité ferait disparaître, selon certains auteurs, le lien privilégié existant entre le mariage et la filiation. Le mariage a toujours été conçu comme le cadre privilégié de la procréation « dont dépend l'avenir de la société » et sa suppression « aboutirait à vider totalement le mariage de son sens »789. Pour ces diverses raisons, des auteurs ont plaidé, au lendemain de l'ordonnance du 4 juillet 2005, pour le maintien de la présomption de paternité, celle-ci ne créant pas, en réalité, de problème d'égalité entre les enfants.
– Vers une extension de la présomption de paternité pour assurer une stricte égalité entre tous les couples ? – Le mariage n'étant plus la seule forme d'union possible en France depuis 1999790, il a également été suggéré d'étendre la présomption de paternité à tous les couples stables pour assurer une stricte égalité entre eux. Ainsi, celle-ci pourrait s'appliquer à tous les enfants, qu'ils soient nés de parents mariés, pacsés ou en concubinage. Elle serait alors « fondée sur le seul fait d'une vie commune rendant vraisemblable la paternité »791. Cette proposition fait l'objet de critiques plus ou moins justifiées. Tout d'abord, pour les concubins, il serait difficile « de caractériser la stabilité du concubinage et [de] combiner le constat de cette stabilité avec le caractère automatique de la règle »792. On peut difficilement donner tort aux auteurs à cet égard. Ensuite, la présomption de paternité en mariage se justifie traditionnellement par l'existence d'une obligation de fidélité et de communauté de vie entre les époux. Néanmoins, si l'obligation de fidélité n'existe pas entre les partenaires, ces derniers doivent tout de même exécuter loyalement les obligations résultant du Pacs793. Par ailleurs, l'obligation de fidélité dans le mariage s'est étiolée au fil du temps de sorte que sa violation n'est plus, aujourd'hui, sanctionnée aussi rigoureusement794. Quant à la communauté de vie, l'article 515-4 du Code civil l'impose aux partenaires. Au-delà de ces obligations, « puisqu'il est de la nature des choses que les enfants nés de parents mariés aient été conçus par ces derniers, il paraît difficile d'admettre qu'il n'en va pas de même pour les partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou pour des concubins notoires »795. Il n'y a aucune raison de considérer que l'enfant issu d'un couple pacsé n'ait pas pour père le partenaire, en raison de l'absence d'une obligation de fidélité. En outre, dans la mesure où la présomption de paternité a été étendue aux enfants nés pendant le mariage, mais conçus antérieurement à celui-ci alors que ni l'obligation de fidélité, ni celle de communauté de vie n'existaient lors de la conception, on comprend difficilement que ces deux obligations justifient encore le maintien d'une telle présomption au profit des seuls couples mariés. Enfin, des auteurs considèrent qu'étendre la présomption de paternité reviendrait à supprimer la supériorité du mariage par rapport aux autres formes de vie de couple et que le Pacs, conçu initialement comme un contrat, deviendrait alors une institution fondant la famille. Toutefois, le mariage ne doit plus être présenté aux couples comme une institution supérieure aux autres modes de conjugalité. Les couples ont aujourd'hui le choix entre une structure conjugale inscrite dans le temps – le mariage – avec des droits et contraintes s'y rattachant, et des unions plus précaires que sont le Pacs et le concubinage, offrant une plus grande liberté avec moins de droits. En outre, le principe monogamique comme le principe exogamique, présents l'un et l'autre dès la création du Pacs, attestent, s'il le fallait, de sa dimension institutionnelle. Le choix doit donc s'opérer selon les attentes et objectifs de chaque couple. L'extension de la présomption de paternité à tous les couples n'aurait, en ce sens, pas pour conséquence de modifier profondément le mariage et le Pacs.
– Au-delà de la présomption de paternité, une présomption de maternité ? – En ouvrant l'AMP avec tiers donneur aux couples de femmes, le législateur a créé un nouveau mode d'établissement de la filiation : la reconnaissance conjointe anticipée796. Elle permet d'établir la filiation entre l'enfant issu d'une AMP et la mère qui n'a pas accouché797. Ce nouveau mode fait l'objet de critiques. Il est considéré, par certains auteurs, comme discriminatoire, car la filiation d'un enfant issu d'une AMP s'établit différemment selon que le couple est composé de personnes de sexe différent ou de même sexe798. Il a pu être suggéré d'instaurer, à l'instar de certaines législations étrangères, une présomption de maternité, calquée sur le modèle de la présomption de paternité. Cette dernière, considérée finalement comme une règle ayant bien vieilli, inspire pourtant d'autres législations pour établir un lien de filiation à l'égard des couples de parents de même sexe. En France, la doctrine s'oppose toujours à la présomption de maternité dans le cadre de cette configuration familiale, car elle ne rend pas vraisemblable une situation qui ne l'est pas ab initio 799. On peut alors s'interroger sur l'existence d'une présomption de coparenté fondée sur l'existence d'un projet parental pour tous les couples de personnes de même sexe ou de sexe différent, quel que soit leur mode de conjugalité.
– La présomption de paternité n'est plus adaptée aux réalités familiales contemporaines. – S'interroger sur l'opportunité de la présomption de paternité au xxi e siècle, c'est en réalité se questionner sur l'institution même du mariage. Celui-ci a bien changé depuis les années 1960. Il n'est désormais plus la seule forme de conjugalité possible en France et le nombre de Pacs n'a cessé de croître depuis sa création en 1999. Il est d'ailleurs la forme d'union plébiscitée par les jeunes couples comme constituant une longue phase de fiançailles, voire par des couples plus âgés après la fin d'un précédent mariage. En outre, le mariage n'est plus une étape obligatoire pour vivre à deux et encore moins pour procréer. Dès 2006, les naissances hors mariage ont dépassé les naissances en mariage, et en 2022, 65,2 % des enfants nés vivants sont nés hors mariage800. Le mariage n'a donc plus, dans les faits, la finalité procréative que d'aucuns lui prêtaient autrefois, même si lors de sa célébration, il est à la fois fait lecture aux futurs époux des articles 213 et 371-1 du Code civil et remis un livret de famille, contrairement au Pacs801. La filiation se détache désormais du mariage et, de manière générale, du couple. Il n'est même plus nécessaire d'être en couple pour devenir mère puisqu'une femme peut désormais faire « un bébé toute seule »802, le législateur ayant accordé aux femmes non mariées la possibilité de recourir à une AMP avec tiers donneur. C'est dire que le mariage – et le couple – ne fonde plus – de façon exclusive – la famille803.
En cela, la présomption de paternité se justifiait à une époque où le mariage et la filiation légitime étaient indissociables. Cependant, elle est devenue, au fil du temps, une simple « technique probatoire qui ne vaut que par son caractère pratique et non par une quelconque transcendance familiale du mariage »804. Rien ne justifie plus aujourd'hui de maintenir la présomption de paternité qui favorise le père marié en lui évitant de réaliser une démarche particulière consistant, lors de la naissance de l'enfant, en une reconnaissance volontaire qui ne s'impose qu'aux partenaires et concubins. En ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ainsi que l'AMP aux couples de femmes et à la femme non mariée, le statut conjugal du couple devrait désormais être totalement indifférent pour fonder une famille et établir la filiation à l'égard d'un enfant805. Pour cette raison, l'extension de la présomption de paternité à tous les couples ne semble pas être opportune, car elle reviendrait finalement à lier la filiation à la vie de couple alors que « le temps est venu de dissocier clairement la filiation de la conjugalité » en raison notamment du nombre croissant de familles monoparentales806. Sa suppression pourrait permettre d'assurer une égalité entre tous les couples, quelle que soit la forme de leur union, et de « rompre (…) avec la logique d'imitation qui soulève d'importantes difficultés lorsque l'enfant concerné est né d'une insémination artificielle dans le cadre d'un couple de même sexe »807. Dans tous les cas, la présomption de paternité que nous connaissons actuellement est un « mécanisme conçu pour un modèle ancien qui ne correspond plus aux réalités familiales contemporaines »808. Il n'est pas certain qu'elle puisse résister encore longtemps à une réforme plus globale du droit de la filiation.