Le principe consacré de la présomption de paternité

Le principe consacré de la présomption de paternité

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Il sera rappelé le domaine d'application de la présomption de paternité (Sous-section I), les limitations qui lui sont apportées (Sous-section II), et enfin les modes légaux de rétablissement de la filiation paternelle (Sous-section III).

Le domaine de la présomption de paternité

– La nécessité d'un mariage. – La mise en œuvre de la présomption de paternité suppose que le couple soit marié ou, plus précisément, que la mère à l'origine de la naissance de l'enfant soit mariée. Ainsi, « l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari »766. Si la présomption de paternité s'applique à l'enfant conçu et né pendant le mariage, elle concerne également l'enfant, né pendant le mariage, mais conçu avant celui-ci767.
– Une prise d'effet à la naissance. – La présomption de paternité ne prend effet qu'à la naissance de l'enfant. En conséquence, en cas de reconnaissance prénatale faite par un autre homme, la présomption de paternité ne l'emporte pas sur celle-ci. En raison du conflit de filiations et du principe chronologique posé à l'article 320 du Code civil, la reconnaissance sera discutée en justice avant de pouvoir établir la filiation à l'égard du mari768.
– Une présomption liée à l'adage mater semper certa est . – La présomption de paternité est intrinsèquement liée à la règle mater semper certa est. En effet, si l'acte de naissance désigne pour mère une femme mariée avec un homme, la filiation paternelle de l'enfant sera en principe établie de façon automatique par la présomption de paternité. Le mariage profite donc pleinement à l'enfant ; sa filiation étant établie simultanément à l'égard de ses deux parents, par l'effet automatique de la loi. Ce principe dit de l'indivisibilité de la filiation en mariage a d'ailleurs pour conséquence que si le lien de filiation maternelle est contesté puis annulé, cette annulation a pour conséquence d'anéantir automatiquement le lien établi à l'égard du père. Par ailleurs, la femme, ayant la possibilité de demander que son nom ne figure pas dans l'acte de naissance de l'enfant en vertu de l'article 57 du Code civil, peut empêcher ipso facto le déclenchement de la présomption de paternité. D'autres cas excluant sa mise en œuvre sont également prévus par le législateur.

L'exclusion de la présomption de paternité

– Deux exclusions de plein droit. – La présomption de paternité est écartée de plein droit dans deux cas expressément prévus par l'article 313 du Code civil.
– L'enfant déclaré dans l'acte de naissance sous le seul nom de sa mère. – La présomption de paternité est d'abord écartée « lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père ». La femme mariée peut en effet déclarer l'enfant sous son seul nom. La présomption de paternité est alors écartée sans avoir à saisir le juge. Il en découle, une fois n'est pas coutume, « une vision relativement matriarcale de la famille », la paternité du mari étant exclue par la seule volonté de la mère769.
– L'enfant conçu et né pendant la séparation du couple. – La présomption de paternité est ensuite écartée de plein droit « lorsque l'enfant est né plus de trois cents jours après l'introduction de la demande en divorce ou en séparation de corps ou après le dépôt au rang des minutes d'un notaire de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce ». Elle ne profite pas non plus à l'enfant né moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande en divorce ou de la réconciliation des époux. Elle ne sera pas non plus mise en œuvre si l'enfant naît plus de cent quatre-vingts jours après le rejet définitif de la demande en divorce dès lors que les époux ne se sont pas réconciliés. La séparation des époux et, par conséquent, l'absence de vie commune, fait présumer que la paternité ne résulte pas du mari. Si le nom du mari figure, par erreur, en qualité de père dans l'acte de naissance de l'enfant, il n'est pas nécessaire « d'engager une action en contestation de la paternité du mari »770. L'acte de naissance étant entaché d'une erreur matérielle, il peut être rectifié à l'initiative du procureur de la République dans les conditions de l'article 99, alinéa 4, du Code civil.

Le rétablissement de la présomption de paternité

– Le rétablissement de plein droit par une possession d'état. – Selon l'article 314 du Code civil, la présomption de paternité se trouve rétablie de plein droit en faveur de l'enfant conçu pendant une période de séparation légale ou déclaré à l'état civil sans indication du nom du mari en qualité de père si deux conditions sont réunies :
  • l'enfant a la possession d'état à l'égard de l'époux, laquelle doit être continue, paisible, publique et non équivoque771. La possession d'état à l'égard de la mère est indifférente ;
  • aucune autre filiation paternelle n'est établie à l'égard d'un tiers.
Des auteurs se sont interrogés sur la nécessité d'établir un acte de notoriété pour constater la possession d'état permettant de rétablir la présomption de paternité. Si certains d'entre eux ont considéré que celui-ci serait inapproprié772, la circulaire du 30 juin 2006 et celle du 28 octobre 2011 rappellent que « la possession d'état doit (…) être constatée par un acte de notoriété ou un jugement » et constitue « un mode d'établissement de la filiation utile principalement pour rétablir de plein droit la présomption de paternité du mari ». Ces deux textes ajoutent que « les époux peuvent demander la délivrance d'un acte de notoriété », laquelle constatera la possession d'état à leur égard et rétablira alors la filiation paternelle773. Toutefois, un auteur exprime « un doute (…) sur la réalité de l'intervention de la présomption de paternité dans l'établissement de la filiation paternelle »774. En effet, la possession d'état constitue en elle-même un mode d'établissement de la filiation. Elle repose sur le « vécu familial manifestant un engagement de nature parentale »775. La publicité de l'acte de notoriété est d'ailleurs faite en marge de l'acte de naissance de l'enfant sur instructions du procureur de la République de sorte que la filiation est bien établie à l'égard du père, époux de la mère, par la possession d'état constatée dans un acte de notoriété776. Pour l'auteur, « il n'y a guère de sens à dire que la présomption de paternité est rétablie par la preuve d'une situation, la possession d'état paternelle (…) est en soi suffisante pour établir la filiation »777. On peut dès lors penser que cette règle posée à l'article 314 du Code civil affaiblit d'une certaine manière la présomption de paternité.
– Le rétablissement facultatif par la reconnaissance volontaire. – Quant à l'article 315 du Code civil, il énonce que « lorsque la présomption de paternité est écartée dans les conditions prévues à l'article 313, ses effets peuvent être rétablis en justice dans les conditions prévues à l'article 329 ». Il est peu probable que l'époux agisse sur le terrain judiciaire pour rétablir les effets de la présomption de paternité. En effet, si les éléments de la possession d'état sont réunis, il lui suffit de demander l'établissement d'un acte de notoriété778. Surtout, l'article 315 précité prévoit que le mari a également la possibilité de reconnaître l'enfant conformément à l'article 316 du Code civil779. Cette reconnaissance sera sans doute préférée à l'acte de notoriété constatant la possession d'état pour des raisons de simplicité, de rapidité et de coût780. La filiation paternelle n'est alors pas établie par la présomption de paternité, mais bel et bien par la reconnaissance qui constitue un mode autonome pour établir la filiation. L'adage pater is est quem nuptiae demonstrant s'en trouve encore amoindri. Celle-ci étant fragilisée dans son principe, se pose alors la question de l'opportunité d'une telle présomption au xxi e siècle.