Le conjoint gratifié

Le conjoint gratifié

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le conjoint et le choix. – Le nombre d'options qui entourent les successibles manifeste la progressive libéralisation au sein de la dévolution légale et testamentaire. En succession ab intestat, aux côtés de l'option successorale, le législateur a progressivement introduit la notion de choix avec les articles 757 (option légale du conjoint), 764 (droit au logement)289 et 767 du Code civil (recours alimentaire). En succession volontaire, l'option de l'article 1094-1, alinéa 1 (quotités disponibles spéciales), celle de l'article 1098 (faculté de substitution de la libéralité en propriété en libéralité en usufruit par les enfants non issus des époux), celle des articles 1094-1, alinéa 2 et 1002 (cantonnement), celle de l'article 924 (réduction en valeur, réduction en nature) du Code civil s'inscrivent dans ce mouvement de contractualisation290. C'est en présence du conjoint que le législateur a laissé le plus de liberté. Combiné avec les outils des régimes matrimoniaux, l'éventail de solutions dont dispose le notaire est quasi infini. Nous étudierons ici plus particulièrement la quotité disponible spéciale (Sous-section I) avant d'aborder la libéralité matrimoniale la plus commune, la donation entre époux à cause de mort (Sous-section II)291.

La quotité disponible entre époux

Quantum

– Quotité disponible spéciale. – La quotité disponible spéciale consacre la faveur du législateur à l'égard du mariage. Ni le concubin ni le partenaire n'ont vocation au disponible spécial de l'article 1094-1 du Code civil. Elle ne s'applique qu'au profit du conjoint en présence de descendants. Elle est variable et peut prendre trois formes :
  • soit la quotité disponible ordinaire de l'article 913 du Code civil, se modulant en fonction du nombre d'enfants (une moitié en présence d'un enfant, un tiers pour deux enfants, un quart pour trois enfants ou plus). C'est un maximum. Le conjoint ne peut pas recevoir plus en propriété ;
  • soit un quart en propriété et trois quarts en usufruit. Cette quotité mixte est invariable. Elle empiète sur la part de réserve des descendants réduite à la nue-propriété. Seul le conjoint peut imposer aux descendants cette configuration292 ;
  • soit l'usufruit de la totalité des actifs. Cette troisième option est incluse dans la précédente. Elle est la plus fréquente en famille unie. Elle permet au conjoint de conserver son cadre de vie, de lisser la fiscalité successorale sur les deux décès, d'ouvrir la faculté de cantonner, sans priver les enfants de la première union de leur vocation totale.

Combinaison

– Arrêt du 26 avril 1984. – La combinaison du disponible spécial (QDS) avec le disponible ordinaire (QDO) pose un problème d'articulation dont la solution jurisprudentielle classique293 fixe l'état du droit en trois règles : 1) chaque gratifié est enfermé dans les limites de sa quotité ; 2) le défunt peut disposer au maximum de la QDO majorée de l'usufruit de la réserve ; 3) l'imputation des libéralités faites aux tiers se fait exclusivement sur la QDO, celles consenties au conjoint en propriété prioritairement sur la QDS, et celles consenties au conjoint en usufruit prioritairement sur l'usufruit de la réserve294.

La donation entre époux

Notion

– Définition. – La donation entre époux est « un acte par lequel l'instituant dispose, pour le temps où il ne sera plus, de tout ou partie de ses biens en faveur de l'institué qui l'accepte »295. Elle peut être faite par contrat de mariage, ce qui lui confère un caractère irrévocable, ou au cours du mariage, elle est alors révocable ad nutum 296. Seule cette dernière variété est pratiquée. La doctrine définit cette libéralité matrimoniale sous les termes « d'institution contractuelle », les notaires sous ceux de « donation entre époux » et le grand public l'appelle la « donation au dernier vivant ».
– Histoire. – La donation de biens à venir entre époux forme l'exception la plus commune de l'irrévocabilité des donations et de la prohibition des pactes sur successions futures. C'est le notariat, en l'absence de tout texte, qui est à l'origine de cette institution originale consentie pendant le mariage. Lorsque la loi du 9 mars 1891 crée le statut successoral du conjoint, elle abandonne la protection du survivant à l'appréciation de la volonté des époux en laissant libre cours à la créativité notariale. En 1958297, le survivant accède à la saisine, mais conserve des droits légaux successoraux d'un quart en usufruit. Palliant cette insuffisance, l'inventivité de la profession, source de droit selon les termes du professeur Malaurie298, a permis à la donation entre époux à compter des années 1960 de devenir la libéralité familiale la plus répandue, supplantant le testament. Ce succès a largement inspiré le législateur de 2001299. L'amélioration des droits du survivant rend-elle désormais cette institution obsolète ?

Intérêts

– Une donation entre époux, pour quoi faire ? – Il pourrait être logique à première vue de considérer que la donation entre époux n'a d'intérêt qu'en famille recomposée lorsque le conjoint n'est bénéficiaire que d'un quart en propriété selon les termes de l'article 757 du Code civil, pour lui conférer une vocation universelle en usufruit. Pourtant l'intérêt de l'institution contractuelle dépasse largement ce premier constat300. Elle ouvre le champ des possibles en permettant d'accorder plus, d'allouer moins et de transmettre différemment. La donation entre époux assure indéniablement un confort moral et financier au survivant tout en sauvegardant le plus souvent les intérêts des enfants.
– Mille et un intérêts. – La donation entre époux revêt un caractère plus attrayant que le testament, dont il n'a pas le côté morose. Ses intérêts sont multiples.
Tout d'abord, la donation permet de conférer plus de droits, en attribuant une vocation universelle exclusive au conjoint, qui même réductible lui accorde une liberté d'action et de saisine portant sur la totalité des actifs. Le principe de la réduction en valeur le rend propriétaire de tous les actifs et débiteur à l'égard des descendants d'une indemnité de réduction si ces derniers en font la demande, dans les limites de l'article 1094-1 du Code civil.
Ensuite, la donation peut aussi réduire les droits du survivant. Cette réduction peut se faire au choix du disposant en propriété ou en jouissance, ou à la demande du gratifié au moment du décès, qui pourra diminuer sa part en optant pour un cantonnement.
Enfin, la donation permet d'accorder des droits différents : la donation peut comprendre également une série de dispositions attractives assouplissant le règlement successoral et permettant d'assurer une transmission sur-mesure et ouvrant une infinité d'options.
– Mille et une options. – Les facultés sont si nombreuses qu'il serait ambitieux d'en dresser une liste exhaustive. Nous retiendrons les rédactions suivantes :
  • il y a celles, tout d'abord, qui fondent traditionnellement la classification des modèles de donation entre époux301 :
  • ensuite, il y a au sein de ces modèles des clauses tout à fait classiques, dont certaines n'ont aucune portée juridique :
  • il y a enfin des facultés qui ne sont pas assez usitées et qui devraient permettre un enrichissement de nos modèles :