Le cantonnement : comment faire ?

Le cantonnement : comment faire ?

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Le régime juridique du cantonnement sera étudié à travers ses conditions d'ouverture et ses titulaires, présentés de manière synthétisée (Sous-section I), et son étendue, sujet qui concentre bien des incertitudes (Sous-section II). En guise de conclusion, des modèles de clauses relatives au cantonnement seront proposés (Sous-section III).

Conditions et titulaires du cantonnement

– Conditions. – La condition première du cantonnement est une absence de volonté contraire du disposant. Les articles 1002-1 et 1094-1 du Code civil prévoient la faculté pour le testateur de s'opposer au cantonnement. La seconde condition est qu'il existe au moins un successeur acceptant (héritier ab intestat ou testamentaire universel). Si le successeur renonce, la faculté de cantonnement est exclue.
– Les libéralités éligibles au cantonnement. – Les titulaires et l'étendue des libéralités sujettes au cantonnement sont synthétisés dans le tableau suivant.
Typologie des libéralités Faculté de cantonnement Latitude du cantonnement
En indivision Un bien En démembrement
Legs universel (bénéficiaire autre que le conjoint)OUIOui controverseOUIOui controverse
Legs universel au conjoint survivantOUIOUIOUIOUI
Legs particulierOUIOui controverseOUI s'il existe plusieurs biensOui controverse
Legs à titre universel (libéralité d'une quotité)OUIOUINONOui controverse
Legs à titre universel (libéralité de tous les meubles, ou de tous les immeubles)OUIOui controverseOUIOui controverse
Institution contractuelle par contrat de mariage ou donation entre époux (disposition universelle avec réduction en nature automatique en présence d'enfant)OUIOUIOUIOUI
Institution contractuelle par contrat de mariage ou donation entre époux (disposition universelle sans réduction automatique)OUIOui controverseOUIOui controverse

Étendue du cantonnement

– Plan. – La question de l'étendue et de la portée du cantonnement cristallise les divergences doctrinales. La recherche du respect de l'intention du testateur conduit nécessairement à une interprétation restrictive du cantonnement afin de ne pas dénaturer les droits transmis, laquelle n'est pas celle qu'espérait la pratique. Nous analyserons le cantonnement en démembrement (§ I) et ses effets sur l'indivision (§ II).

Cantonnement et démembrement

– Libéralité au profit d'un ayant droit autre que le conjoint. – En présence d'une libéralité en pleine propriété (legs universel, à titre universel, ou particulier), consentie au profit de tout autre que le conjoint survivant, la doctrine majoritaire considère qu'il n'est pas possible de modifier la nature des droits transmis. Si la libéralité est en pleine propriété, il ne va pas de soi que le cantonnement puisse s'exercer en usufruit ou en nue-propriété.
Les auteurs et les praticiens s'accordent pour regretter ce point. Pour le professeur Murat, « donner une portée optimale à cette nouvelle institution (…) ne paraît en contradiction ni avec le droit des biens, ni avec les objectifs législatifs du nouveau droit des libéralités qui recherche, grâce aux volontés individuelles, la meilleure adaptation possible de la transmission en fonction des situations patrimoniales et familiales ». La lecture des travaux préparatoires de la loi de 2006 et la circulaire du garde des Sceaux du 29 mai 2007 vont en ce sens. Et l'intérêt d'un tel cantonnement s'impose comme une évidence. Déjà, en 2012, nos prédécesseurs de la troisième commission du 108e Congrès des notaires de France, à Montpellier, formulaient dans leur 6e proposition cette possibilité.
Nous appelons formellement de nos vœux une clarification législative sur cette éventualité.
– Libéralité au profit du conjoint. – La question nous paraît différente lorsque le gratifié est le conjoint, et ce, quelle que soit la disposition à cause de mort. La libéralité universelle en propriété en présence de descendants, avec réduction facultative, sera ajustée à l'une des quotités de l'article 1094-1 du Code civil. Il est évidemment possible dans ce cas, de choisir l'usufruit universel ou de cantonner le quart en propriété à certains actifs, tels que les meubles, et prendre l'usufruit du reste. Pareillement, s'il est gratifié par testament d'un legs particulier en propriété, excédant la quotité disponible en propriété, il pourrait à notre sens prendre le legs en usufruit. Rappelons également qu'à la demande d'un d'enfant non commun, une libéralité en propriété en vertu de l'article 1098 du Code civil peut s'exécuter en usufruit. Il serait étrange que le conjoint ne puisse réduire son émolument conformément à l'un des branches de l'article 1094-1 du Code civil.

La libéralité peut mentionner la faculté de cantonner en démembrement

En l'absence de clarification législative, il est conseillé de prévoir au sein même de la libéralité la faculté de cantonner en démembrement, actif par actif. Le testament comme la donation entre époux pourront expressément préciser la volonté du testateur sur ce point.
– La recherche d'un accord amiable. – Le notaire en pareille matière ne peut proposer de transaction dans la mesure où le cantonnement perdrait son caractère unilatéral et individuel. Le gratifié est le seul décisionnaire. En cas de doute sur les dispositions testamentaires, seule une interprétation du testament sur l'intention du disposant pourrait être tentée, tout en restant officieuse, car elle dépend exclusivement de la compétence judiciaire.

Cantonnement et indivision

– Le cantonnement sans partage. – Lorsque la libéralité confère des droits exclusifs au gratifié, le cantonnement va pouvoir s'exercer de la manière la plus large possible. Il en est ainsi d'une libéralité universelle, non réductible ou réductible en valeur, ou bien d'une libéralité à titre universel portant sur une universalité d'actifs (tous les meubles, tous les immeubles), ou encore d'un legs particulier s'appliquant à plusieurs actifs. Dans ces hypothèses, aucune indivision n'est née entre le gratifié et les successeurs du de cujus. Le gratifié peut donc prélever des biens déterminés, sans que cela donne lieu à une opération de partage.
Lorsque la libéralité est de quotité, ou lorsque c'est une libéralité universelle réductible en nature, une indivision est née lors de l'ouverture de la succession, rendant impossible le prélèvement sans partage d'un actif déterminé, quand bien même sa valeur serait inférieure aux droits du gratifié. Il est néanmoins loisible au gratifié de recueillir une quotité réduite sans partage et de demeurer en indivision s'il le souhaite. Ce n'est pas le cantonnement qui a créé l'indivision et qui doit provoquer le partage, c'est le décès.
Lorsque la libéralité, bien qu'universelle, ne porte que sur une quote-part parce que l'indivision préexistait au décès, le gratifié peut prétendre à prélever la quotité sans partage. C'est le cas de biens indivis familiaux, ou issus d'une indivision post-communautaire. Si l'origine de l'indivision ne résulte pas de la succession du de cujus, la libéralité universelle rend possible un prélèvement sans partage. À titre d'exemple : le conjoint peut ainsi prélever la moitié de la maison dont il détient l'autre moitié. Le neveu peut prélever le tiers de la propriété du de cujus, dont les deux tiers sont détenus par son père et sa tante. Aucun partage n'est nécessaire.

Cantonnement et réduction en nature

Il est d'usage, en présence d'une libéralité universelle au profit du conjoint survivant, de diriger le gratifié vers une réduction en nature, lorsque la réduction est demandée. Or celle-ci diminue le champ des possibles du cantonnement, qui perd ainsi son caractère universel et rend obligatoire un partage. Il est préférable de conseiller le conjoint de prélever au titre du cantonnement les actifs en nature dans la limite des quotités de l'article 1094-1 du Code civil, auquel cas la réduction ne pourra être demandée.
– Cantonnement et droit de partage. – Selon la doctrine administrative : « Les conditions d'exigibilité de la taxe de publicité foncière ou du droit d'enregistrement résultant du 7o du 1 de l’article 635 du CGI et de l'article 746 du du CGI sont au nombre de quatre » : l'existence d'un acte, l'existence d'une indivision, la justification des parts de chacun et l'existence d'une véritable opération de partage. Pour s'assurer que le cantonnement n'opère pas un partage, il est donc essentiel de vérifier que la libéralité offre au gratifié des droits exclusifs sur le bien légué en tenant compte de la nature de la libéralité, d'une part, et des modalités de réduction, d'autre part. Il convient ainsi de préciser que si la libéralité est réductible, seule une réduction en valeur (et non en nature) offrira au gratifié une vocation exclusive sur le bien lui permettant un cantonnement le plus large possible, sans partage. Pour réduire le coût de l'opération, le notaire conseillera en amont au disposant de transmettre par voie de libéralités à caractère exclusif chaque fois que cela est possible et, en aval, guidera le gratifié sur les modalités de réduction en valeur.

Les clauses relatives au cantonnement

– Dix clauses pour un cantonnement réussi. – À titre de conclusion, nous soumettons une liste de variations rédactionnelles pour apporter au cantonnement, toute sa mesure. En l'absence de précisions, plus la libéralité a un objet étendu, plus la faculté de cantonnement sera libre.
– Les clauses de l'acte de cantonnement. – Aucune forme n'est imposée à l'instrumentum. Le cantonnement peut se constater dans l'acte d'option du conjoint survivant, dans l'acte de délivrance du légataire, dans l'acte de consentement à exécution du testament à la requête de tous les ayants droit, dans l'acte d'acceptation de la libéralité, dans l'attestation immobilière ou dans l'acte de partage. Seront constatés concomitamment l'option successorale, l'acceptation de la libéralité et son cantonnement en nature et en assiette. Il devra faire état le cas échéant des modalités de réduction en valeur ou par exception en nature. Bien que la faculté soit unilatérale, il est de bonne pratique de faire intervenir les cosuccesseurs pour, d'une part, constater que l'un d'entre eux au moins accepte la succession et, d'autre part, qu'ils prennent connaissance du cantonnement et dispensent de notification. Lorsque le gratifié est également héritier, l'acte devra constater sa renonciation à ses droits légaux.
Le « choix responsable » est l'idéal qui a guidé notre réflexion sur la vocation successorale. Il n'est pas fortuit que cette partie « Choisir les siens » se conclue par le cantonnement, qui porte cette notion à son paroxysme. Pour que le choix libre ne soit jamais une illusion, nous souhaitons que le notariat accompagne toutes les familles au plus proche de ces grandes orientations de vie. Pour clore cette partie sur un clin d'œil, nous rappellerons ces quelques mots : « La liberté consiste à choisir entre deux esclavages : l'égoïsme et la conscience. Celui qui choisit la conscience est l'homme libre » (Victor Hugo).