Le calcul de l'avantage matrimonial

Le calcul de l'avantage matrimonial

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Données du problème. – Il est clair désormais que les régimes communautaires n'ont plus le monopole de l'avantage matrimonial. Partant, si l'on constate que cette notion a vocation à s'appliquer, sauf exception, à tous les régimes matrimoniaux, il reste à définir dans certains cas les modalités de calcul de cet avantage, susceptible d'être révoqué en cas de divorce et d'être retranché en cas de décès pour les besoins de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil413.
– Régime juridique de l'avantage matrimonial. – Aux termes de l'article 1527 du Code civil, la loi qualifie l'avantage matrimonial comme un bénéfice acquis à titre onéreux à l'époux avantagé par l'effet de son contrat de mariage. L'époux ainsi enrichi échappe à l'application de toutes les règles régissant spécifiquement les donations. Il en résulte que les avantages matrimoniaux sont hors succession et donc exclus du rapport, et de la réduction. Leur régime diffère cependant en présence d'enfants non issus des deux époux. Ces derniers bénéficient de l'action en retranchement au décès de leur auteur, afin de préserver leur réserve. Dans ce cas, les avantages matrimoniaux sont traités « comme » des libéralités mais uniquement pour déterminer l'éventuelle indemnité due au titre de l'action en retranchement. L'article 1527, alinéa 2, du Code civil renverse la qualification onéreuse de l'avantage matrimonial dans un tel cas :
  • l'avantage est seulement réductible au même titre qu'une donation en cas de dépassement de la quotité disponible spéciale entre époux ;
  • l'assimilation de l'avantage matrimonial à une donation suppose qu'un ou plusieurs enfants non communs au conjoint avantagé décident d'agir en réduction de l'avantage matrimonial. Cette action est appelée en pratique « action en retranchement ».
– Titulaire de l'action en réduction. – La loi du 3 décembre 2001, parachevant l'égalité des filiations, a ouvert l'action en réduction à l'ensemble des enfants issus de lits différents, tant « naturels » que « légitimes »414. L'action en retranchement n'est ouverte qu'au seul bénéfice de l'enfant non issu des deux époux, indépendamment de son mode de filiation, et qui est privé de toute vocation successorale dans la succession du conjoint survivant415. Le dispositif issu de la loi de 2001 a été déclaré d'application immédiate pour toutes les successions non encore partagées.
– Bénéficiaire de la réduction. – L'action en réduction profite à l'ensemble des héritiers, y compris aux descendants communs lorsqu'elle est exercée, les biens retranchés rentrant dans la succession416.
– Identification de l'avantage matrimonial. – Afin de déterminer s'il peut ou non y avoir un avantage matrimonial au profit d'un époux, il convient tout d'abord de déterminer le bénéfice retiré. L'avantage matrimonial est un avantage économique, un profit par rapport à la situation patrimoniale qui serait celle du conjoint avantagé sans la convention dont résulte l'avantage, réservé à l'époux417, et découlant du seul fonctionnement du régime. En somme, il s'agit d'« un avantage patrimonial par rapport à la condition matrimoniale normale »418. Lorsque le gain retiré par un époux porte sur un bien propre de son conjoint, il s'agit d'une libéralité.
En dépit de la rubrique où figure l'article 1527 du Code civil, aucun avantage matrimonial n'est concevable sous le régime légal. Ainsi, les avantages qui résultent seulement d'une inégalité des revenus des époux et des économies faites sur ces revenus ne sont pas regardés comme des avantages matrimoniaux éventuellement réductibles en présence d'enfants non communs.
– Date d'évaluation de l'avantage matrimonial. – L'avantage doit être évalué à la date d'ouverture de la succession de l'époux désavantagé d'après l'état des biens au jour de la dissolution du régime dont il résulte (par application de l'article 922 du Code civil).
– Estimation globale de l'avantage. – C'est à la date de réalisation de l'avantage matrimonial que l'on analyse les conséquences produites par l'ensemble des avantages et non par chaque clause séparément. Un avantage peut être stipulé au seul bénéfice d'un époux. En revanche, lorsque les deux époux sont avantagés par les clauses du contrat, l'avantage matrimonial effectivement recueilli par l'un d'eux est égal à la différence entre ce que chacun des époux a reçu : les avantages sont alors appréciés dans leur ensemble et non séparément. Lorsque les diverses clauses, sources d'avantages matrimoniaux, se neutralisent partiellement, il faut analyser l'effet global qui en résulte pour savoir lequel des deux conjoints a recueilli un avantage matrimonial. L'avantage étant alors une valeur arithmétique, on ne peut préciser quel bien meuble ou immeuble le constitue : la réduction s'opérera en valeur. Le critère d'existence de l'avantage matrimonial est donc purement objectif, seul le résultat final du fonctionnement du régime choisi par les époux étant pris en considération.
– Le régime étalon des avantages matrimoniaux. – Comment désormais chiffrer un tel avantage matrimonial, pour les besoins de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil419 ?
L'on sait qu'en régime de communauté, il y a lieu de comparer les droits complets du conjoint sous le régime conventionnel à ceux qu'il aurait trouvés sous la communauté légale420. Autrement dit, les régimes retenus en vue de l'indispensable comparaison sont, d'un côté, le régime conventionnel et, de l'autre, le régime légal. Il faut ainsi reconstituer le patrimoine des époux, liquider le régime matrimonial, une première fois en tenant compte des avantages, puis une seconde fois en suivant les règles du régime légal. La comparaison des résultats déterminera si les stipulations du contrat ont avantagé un époux.
Dans le régime de la participation aux acquêts, deux méthodes sont principalement susceptibles d'être préconisées421 : soit prendre pour référence le régime légal de la communauté d'acquêts 422 ; soit s'en remettre plutôt au régime conventionnel de la participation aux acquêts « ordinaire », c'est-à-dire celui prévu aux articles 1569 et suivants du Code civil. En doctrine, la tendance était de privilégier le modèle de base de la participation aux acquêts, pour demeurer dans la cohérence raisonnée du système participatif lui-même423. C'est en ce sens que la Cour de cassation s'est prononcée, dans sa décision du 18 décembre 2019424, en précisant que la comparaison devait se faire entre la participation aux acquêts type visée par les textes et la participation aux acquêts éventuellement aménagée par les époux.
Si l'on considère que c'est le régime de la participation aux acquêts ordinaire qui constitue le mètre-étalon de l'avantage matrimonial, la démarche à suivre pour déceler, le cas échéant, ce dernier, consiste à effectuer deux calculs suivis d'une soustraction :
  • une liquidation du montant des droits effectifs du survivant sous le régime amendé ;
  • une seconde liquidation, purement comptable, de ce que seraient ses droits théoriques sous le régime de la participation aux acquêts tel que défini par la loi ;
  • après quoi, le montant de la différence sera traité comme une donation pour les besoins de la réunion fictive, puis des imputations, enfin de la réduction éventuelle conformément à l'article 1527, alinéa 2, du Code civil425.
Mais quid en régime de séparation de biens ? Si la Haute juridiction a admis que la séparation de biens avec société d'acquêts pouvait contenir un avantage matrimonial, elle n'a fourni aux praticiens aucune indication sur les modalités de liquidation de celui-ci. Faut-il se référer au modèle légal de la séparation de biens pure et simple ou à celui de la communauté réduite aux acquêts ? Se penchant sur cette délicate question, et après avoir rappelé que la séparation de biens avec société d'acquêts pouvait présenter un double visage, selon l'ampleur de la société constituée, le professeur Vareille estime qu'il faudrait « sans doute (…) retenir la séparation de biens type pour la séparation de biens tempérée par une société d'acquêts ; et, pour finir, le régime légal encore pour une fausse séparation de biens avec société d'acquêts »426. Cette première voie permettrait de distinguer si les époux ont construit une société à objet large en partant du modèle fourni par le régime légal, et la comparaison avec ce dernier s'imposerait, ou si, en revanche, ils ont pris pour base le régime de séparation de biens en optant pour une société à objet restreint, auquel cas c'est avec ce dernier qu'il devrait être comparé427.
Toutefois, il est classiquement enseigné que l'avantage matrimonial résulte de la comparaison entre les règles énoncées au contrat de mariage et le régime de la communauté légale, au motif que seul ce régime peut être source d'avantage matrimonial428.
Une dernière approche voudrait que la comparaison soit faite avec le régime de séparation dont le régime se rapproche davantage429.
Les positions doctrinales divergent430. Néanmoins à défaut de règle clairement établie, les parties devront se mettre d'accord sur le régime étalon à retenir.
Le professeur Vareille précise, à juste titre, que de manière plus générale, « il faudrait réécrire l'article 1527, alinéa 2, et décider, une fois pour toutes, en quoi consiste l'avantage matrimonial, selon chacune des trois grandes catégories de régimes : communauté, séparation de biens, participation aux acquêts. Cela nécessiterait que soit désigné pour chaque modèle le bon régime de référence, l'étalon incontestable »431.
Une fois l'avantage matrimonial identifié et calculé, l'enfant non commun peut renoncer à exercer l'action en retranchement.
– Renonciation temporaire à l'action en retranchement. – La loi du 23 juin 2006, par ajout d'un troisième alinéa à l'article 1527 du Code civil, permet aux enfants non communs de renoncer à exercer l'action en retranchement contre le conjoint survivant bénéficiaire d'avantages matrimoniaux pouvant excéder la quotité disponible entre époux selon un formalisme strict avant l'ouverture de la succession de l'époux survivant432. La renonciation prévue est temporaire et l'exercice de l'action est seulement reporté au décès du conjoint survivant. L'hypothèque légale spéciale du copartageant de l'article 2402 du Code civil ainsi que la faculté de demander l'établissement d'un inventaire des meubles et d'un état des immeubles préservent leurs droits433.
La question de la possibilité de renoncer définitivement à l'action en réduction s'est posée. En se fondant notamment sur les travaux préparatoires de la loi du 23 juin 2006434, il apparaît que le législateur a eu pour objectif de transposer à l'action en retranchement la faculté de renonciation anticipée ouverte pour l'action en réduction. L'enfant d'un autre lit pourrait renoncer à l'avance à l'exercice de l'action en retranchement dans les relations avec son beau-parent, de la même manière qu'un présomptif héritier peut renoncer à l'avance à la protection de sa réserve au profit de quiconque435. L'action en retranchement n'étant rien d'autre qu'une application particulière de l'action en réduction, les articles 929 et suivants du Code civil doivent pouvoir être transposés à l'action en retranchement. Une réponse ministérielle conforte cette analyse436. Il faut toutefois préciser que la fiscalité applicable à la renonciation à l'action en retranchement n'a pas été prévue par le législateur. Des auteurs soulignent que dans la mesure où la renonciation à l'action en réduction n'est pas assimilée à une libéralité437, il devrait en être de même de la renonciation prévue à l'article 1527 du Code civil438.