La valorisation des parts sociales

La valorisation des parts sociales

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Le recensement des droits sociaux. – Lorsque l'un et/ou l'autre membre d'un couple détient des parts sociales ou des actions au sein d'une société, le notaire ne peut faire l'économie, préalablement aux opérations liquidatives, et afin d'apprécier les enjeux financiers découlant de l'existence de ces sociétés, d'une analyse exhaustive du patrimoine sociétaire du couple717.
Lorsque les droits sociaux constituent des biens communs ou indivis, ils font généralement l'objet d'un partage entre les deux membres du couple sauf, pour ces derniers, à opter pour un statu quo parfois judicieux sur un terrain économique, mais souvent rendu délicat par des rapports devenus naturellement tendus entre les deux associés du fait de la rupture. Quand la disparition de l'affectio conjugalis fragilise l'affectio societatis, la dissolution de la société est du reste parfois la seule issue envisageable. En tout état de cause, le recensement des droits sociaux constitue un préalable liquidatif indispensable pour que chacun puisse se positionner.
Lorsque les époux, partenaires ou concubins sont associés au sein d'une même structure sociale, mais que les parts sociales ou actions qu'ils détiennent leur appartiennent à titre de biens propres ou de biens personnels, il s'agit de s'interroger sur l'opportunité et la faisabilité d'une cession entre eux ou d'un rachat par la société dans le cadre d'une réduction de capital. Bien évidemment, là encore, rien n'empêche les associés de demeurer dans la société en dépit de leur rupture sentimentale, ce qui suppose un minimum d'entente entre eux.
Enfin, le notaire ne peut pas faire totalement abstraction, d'une manière générale, des droits sociaux susceptibles d'appartenir à l'un des membres du couple, au sein d'une structure dans laquelle l'autre membre n'a aucun intérêt, dans la mesure où il arrive parfois que la cession de tels droits puisse constituer le mode de règlement d'une soulte. Plus encore, entre époux, les droits sociaux doivent être pris en compte pour le calcul de la créance de participation lorsque le couple est marié sous le régime de la participation aux acquêts, mais aussi, quel que soit leur régime matrimonial, aux fins d'apprécier l'existence d'une éventuelle disparité en capital et/ou en revenus dans l'optique de la prestation compensatoire (C. civ., art. 270).
– L'auteur de la valorisation. – Une fois recensés les droits sociaux, il s'agit d'envisager leur valorisation. Les professionnels du chiffre recourent habituellement à trois méthodes d'évaluation pour ce faire718. Dans un cadre amiable, c'est l'expert-comptable de la société qui va fournir la valorisation de celle-ci. Dans un contexte plus tendu, et plus encore lorsque l'un des membres du couple est étranger à la société, il peut être judicieux, et ce malgré son coût, de confier cette estimation à un expert financier indépendant, ce qui va permettre d'évacuer les soupçons de partialité et donc d'une sous-valorisation de l'avis de valeur fourni par l'expert-comptable concerné. Lorsque le notaire intervient à la demande du juge, en qualité d'expert en cours de la procédure de divorce ou suite à une commise dans le cadre d'un partage judiciaire, cette faculté de nommer un technicien dans une spécialité autre que la sienne est du reste prévue par les textes (CPC, art. 278). Enfin, un tel procédé est prévu, en droit des sociétés, par l'article 1843-4 du Code civil, lequel dispose que « pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible ».
En pratique, il arrive souvent, lorsque la société en question est une société civile immobilière, que le notaire procède lui-même à la valorisation des parts sociales, laquelle consiste, au moyen d'une soustraction classique entre l'actif brut (essentiellement composé de la valeur des biens immobiliers et de la trésorerie de la société) et le passif social (souvent limité aux prêts grevant le bien, aux cautions locatives, aux dettes diverses, notamment fiscales et aux comptes courants d'associés), à définir l'actif net de la société, qu'il convient de répartir entre associés en proportion de leurs droits. Cette évaluation réalisée par le notaire lui-même est souvent un choix approprié, car les principales diligences portent sur l'immeuble et son revenu, et ses connaissances comptables, économiques et juridiques suffisent dans la majorité des cas, c'est-à-dire pour les sociétés présentant un bilan simple, à estimer la valeur des droits sociaux. Très souvent, le notaire va réaliser à la fois l'évaluation immobilière et l'estimation des parts, ce qui présente au surplus pour les parties un avantage économique. Attention toutefois, l'évaluation des parts de SCI peut parfois présenter des difficultés économiques, auquel cas il est conseillé au notaire d'avoir recours à un sapiteur, pour intégrer les contraintes comptables, financières et fiscales générées par l'évaluation en question, sous peine d'engager sa responsabilité en cas d'estimation erronée des parts719. Faut-il également souligner que la tâche est souvent rendue ardue par l'absence de tenue d'une véritable comptabilité dans les sociétés « familiales » ?
– La date de la valorisation. – En droit des sociétés, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée, à défaut de stipulations statutaires contraires, à la date la plus proche de celle du remboursement de ses parts720. En matière de séparation, la règle est que l'évaluation des biens doit être effectuée à la date de jouissance divise, c'est-à-dire à la date la plus proche possible du partage (C. civ., art. 829). Ainsi, la plus-value d'un bien indivis accroît à l'indivision. On retrouve une règle similaire pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts, dont les biens existants au sein de l'actif final, « sont estimés (…) d'après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci » (C. civ., art. 1574, al. 1er). Cette règle aboutit également à ce que la plus-value éventuelle prise par les acquêts entre la date de dissolution du régime et la date de sa liquidation, parfois quelques années plus tard, soit partagée entre les deux époux.
L'on constate en pratique que cette règle est souvent déjà mal vécue s'agissant des époux mariés en régime de communauté, notamment lorsqu'elle aboutit au partage de la plus-value acquise par un bien professionnel durant l'indivision post-communautaire, alors que cette plus-value est le fruit du labeur de l'un des ex-époux après le divorce. A fortiori, ce ressenti est plus prégnant encore dans le régime de la participation aux acquêts, dans la mesure où le bien en question n'est plus un bien commun, mais un bien personnel de l'époux concerné. S'agissant d'un régime destiné à consacrer une égalité en valeur et à permettre à l'un des époux de participer à l'enrichissement de son conjoint pendant le mariage, on a peine à comprendre pourquoi l'enrichissement de l'un devrait continuer à bénéficier à l'autre, une fois le régime matrimonial dissous. Au surplus, une telle règle ne peut que favoriser des attitudes dilatoires, plus rien n'incitant le conjoint de l'époux propriétaire à s'empresser de liquider alors que le temps faisant son œuvre il s'enrichit chaque jour à l'aune de l'activité déployée par son ex-conjoint. L'on pourrait certainement songer de lege ferenda, en s'inspirant du régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts franco-allemands, né de la loi du 28 janvier 2013721, que les biens existants portés au patrimoine final soient évalués à la date de dissolution du régime matrimonial et non au jour de la liquidation.