– Plan. – Si les futurs époux ne souhaitent pas adopter un régime de communauté, légal ou conventionnel, ils peuvent alors se tourner vers les régimes séparatistes prévus par le Code civil. Bien souvent, un régime séparatiste est adopté « par défaut », mais il a ses adeptes (Sous-section I). S'il peut s'agir d'un choix par conviction, il peut aussi n'être qu'une option de simplicité, par défiance ou rejet d'un régime communautaire. Pour autant, l'absence d'enrichissement commun des époux peut aller à l'encontre de leurs valeurs. Ils peuvent alors souhaiter atténuer la rigueur d'une séparation de biens pure et simple et combiner une volonté d'autonomie avec une participation à l'enrichissement du conjoint. Cet objectif peut être atteint, tout en demeurant dans le cadre d'un régime séparatiste, auquel est alors adjointe une société d'acquêts (Sous-section II).
La séparation de biens
La séparation de biens
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
La séparation de biens pure et simple
– Attraits du régime séparatiste. – Aujourd'hui, la plupart des futurs époux qui poussent la porte d'une étude avant de se marier pour établir un contrat de mariage optent pour le régime de la séparation de biens. Il constitue le premier des régimes conventionnels. L'individualisme conjugué à l'indépendance acquise par les femmes peut expliquer le recours plus important, de nos jours, au régime de la séparation de biens, lequel présente classiquement de nombreux attraits qui ne laissent manifestement pas insensibles nos jeunes générations.
La séparation de biens est le régime matrimonial dans lequel les patrimoines des époux restent autonomes et sont gérés par chacun d'eux de manière indépendante. Bien que certains auteurs y aient vu une « absence de régime matrimonial »342 ou encore des « rapports pécuniaires des conjoints (…) régis par les mêmes principes que ceux qui s'établissent entre personnes non mariées »343, nul doute que la séparation de biens est un véritable régime matrimonial, dont le dispositif s'est enrichi depuis la loi du 13 juillet 1965. Il reste coiffé par le régime primaire à l'instar de l'ensemble des régimes matrimoniaux.
Plusieurs avantages sont attachés à la séparation de biens, au premier rang desquels figure l'indépendance totale des époux. Chaque époux conserve la propriété et la gestion de ses biens, sous la seule réserve des actes relatifs au logement de la famille. L'article 215, alinéa 3, du Code civil protège le logement de la famille même si celui-ci est la propriété personnelle de l'un des époux. Quel notaire n'a pas déjà été témoin de l'incompréhension de cet époux à qui l'on demande l'intervention de son conjoint ?
La volonté de dissocier le plus complètement possible les relations affectives des intérêts patrimoniaux procède souvent d'une aspiration à une indépendance professionnelle et financière, mais également aujourd'hui d'un certain réalisme en assumant l'éventualité d'une désunion.
Au-delà de cette indépendance quant à l'actif, l'intérêt de la séparation de biens réside souvent dans la répartition du passif. Chaque époux n'est tenu que du passif né de son chef et le supporte définitivement, sans engager son conjoint, à la différence de la communauté344. La préservation du patrimoine du conjoint lorsque l'un des époux a une activité professionnelle comportant des risques financiers demeure encore aujourd'hui une raison principale à l'adoption d'un régime séparatiste.
Par ailleurs, la liquidation du régime matrimonial est en apparence facilitée, voire parfois inexistante puisqu'il n'y a pas de masse commune.
– Inconvénients du régime séparatiste. – Toutefois, les inconvénients d'un tel régime sont à la mesure des avantages qui peuvent être avancés.
D'une part, la simplicité est souvent illusoire. La communauté de vie entremêle inévitablement les intérêts pécuniaires des époux. Ces derniers, sauf à de très rares exceptions près, ne tiennent pas de comptes entre eux au quotidien, ce qui entraîne bien souvent une confusion de fait des biens, mobiliers surtout. Le régime matrimonial peut ainsi être difficile à liquider. Il est alors fait appel au droit des obligations, qui est inévitablement altéré par les nécessités du mariage345. Dans la pratique, la séparation du passif recule, comme celle de l'actif. Les créanciers exigent souvent un engagement solidaire des époux.
Ce régime est, d'autre part, souvent injuste. Il nuit à celui des époux qui n'a pas d'activité professionnelle alors qu'il aura assumé la charge matérielle du ménage et contribué indirectement à l'enrichissement de l'autre époux, ou encore à celui des époux qui a une activité professionnelle moins lucrative. De plus, un époux peut s'enrichir aux dépens de l'autre lorsqu'il gère les affaires de ce dernier. Il n'est alors comptable que des fruits existants.
Enfin, chaque époux dispose de la gestion personnelle de ses biens. Il n'existe pas, à l'instar de la communauté, de gestion concurrente qui permet à chaque époux d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes de gestion qu'il aurait commises.
– Un tempérament : la contribution aux charges du mariage. – Ces injustices sont tempérées par la jurisprudence récente relative à la contribution aux charges du mariage346. Selon l'article 214 du Code civil, auquel l'article 1537 renvoie, les époux contribueront aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives ». La convention matrimoniale peut en disposer autrement et prévoir une contribution précise (proportion libre), mais la clause peut se révéler inadaptée en fonction de l'évolution de la situation des époux, lesquels peuvent difficilement anticiper la contribution qu'ils seront en mesure d'allouer tout au long du mariage. Elle pourrait même être neutralisée par l'obligation de secours et d'assistance de l'article 212 du Code civil.
Le contenu des charges du mariage n'étant pas nettement déterminé par la loi, ses contours ont dû être précisés par la Cour de cassation347. Les dépenses qu'appelle normalement la vie familiale dépendent du train de vie du ménage.
L'article 214 n'autorise les époux qu'à fixer conventionnellement la répartition entre eux des charges du mariage et leur mode de contribution à ces charges. Il ne leur permet pas, en revanche, de décider ce qui relève ou non des charges du mariage, en application du régime primaire impératif.
S'agissant du mode de contribution, la Cour de cassation juge de manière constante depuis 2013 que l'époux séparé de biens qui prend en charge des échéances d'emprunt servant à l'acquisition d'un immeuble à usage familial participe de sa contribution aux charges du mariage348. Elle a néanmoins apporté quelques limites à sa jurisprudence en retenant qu'une dépense d'investissement locatif destiné à constituer une épargne ne relève pas de la contribution aux charges du mariage, ni davantage l'apport en capital provenant de biens personnels349, et, cela quand bien même elle serait destinée à financer l'acquisition ou la construction du logement familial ou d'une résidence secondaire, ou des dépenses d'amélioration350.
Cet esprit communautaire pénètre ainsi progressivement dans la séparation de biens au travers de certaines règles, issues notamment du régime primaire, qui ont pour objet de corriger ce que le régime peut avoir d'excessif et d'injuste pour l'un des époux. Toutefois, en étendant plus que de raison les charges du mariage, la Cour de cassation fait ainsi subir à la séparation de biens une communautarisation judiciaire à laquelle la convention de mariage des époux ne les destinait pas, au mépris de la volonté séparatiste des époux351.
La séparation de biens avec société d'acquêts
– Plan. – Le choix opéré par les futurs époux d'opter pour un régime de séparation de biens avec adjonction d'une société d'acquêts témoigne sans nul doute de l'expression de la liberté des conventions matrimoniales que leur offre la loi (§ I). Cette liberté n'est cependant pas illimitée (§ II).
L'expression de la liberté des conventions matrimoniales
– Plan. – Nous allons tout d'abord rappeler les généralités concernant la séparation de biens avec adjonction d'une société d'acquêts, ce qui permettra d'envisager sa finalité et les intérêts qui y sont attachés (A), avant d'aborder les précautions rédactionnelles que doit prendre le notaire dans un régime dont l'ensemble des conséquences n'est pas si aisé à maîtriser (B).
Généralités
– Objet et finalité. – Devant la rigueur du régime de la séparation de biens, mais rebutés par une communautarisation trop importante du régime légal, les futurs époux peuvent vouloir concilier une volonté d'autonomie et une association aux bénéfices du conjoint. Cette conciliation peut prendre la forme d'une séparation de biens avec société d'acquêts.
Née de la pratique notariale, la société d'acquêts adjointe à un régime de séparation de biens n'est pas prévue par le Code civil. La liberté des conventions matrimoniales permet de l'adopter. La séparation de biens avec société d'acquêts est un régime hybride. Les règles de la communauté s'appliquent aux biens compris dans la société d'acquêts tandis que les biens personnels des époux obéissent aux règles de la séparation de biens. La masse commune est nécessairement soumise aux dispositions impératives régissant le régime de la communauté légale352.
Ce régime distingue trois masses de bien : les biens personnels de chacun des époux et les biens dépendant de la société d'acquêts. Le principe de liberté des conventions matrimoniales permet aux époux d'en dessiner librement les contours.
Aussi les clauses relatives à ladite société d'acquêts méritent-elles une rédaction rigoureuse pour répondre au mieux aux objectifs des époux. Or l'étude particulière des clauses rencontrées dans la pratique notariale, que ce soit dans les contrats de mariage ou dans les actes de changement de régime matrimonial, amène à faire deux constats :
- d'une part, la plupart des contrats sont trop lapidaires. Les clauses afférentes à la société d'acquêts sont souvent réduites, incomplètes. Elles ne prévoient pas par exemple la question des récompenses ou du remploi ;
- d'autre part, une grande partie des conventions matrimoniales contrevient à l'immutabilité du régime matrimonial ou à l'ordre public matrimonial.
Si les futurs époux ont la liberté de prévoir une société d'acquêts qui corresponde à leurs souhaits, celle-ci doit respecter le principe de l'immutabilité du régime matrimonial et l'ordre public matrimonial.
– La consistance de la société d'acquêts. – Une première formule de société d'acquêts peut être proposée. Dénommée « société d'acquêts à objet large », elle porte sur tous les biens acquêts, meubles et immeubles, présents et à venir. Son élaboration consiste à emprunter les règles de composition de la masse commune, puis d'en soustraire un ou plusieurs biens particuliers. Elle correspond à une communauté de biens réduite aux acquêts et ne présente pas de véritable intérêt par rapport à celle-ci. Toutefois, la masse commune que représente la société d'acquêts peut être plus étendue que celle du régime de communauté au moyen, par exemple, de biens acquis préalablement au mariage par le biais d'un apport dans la convention matrimoniale. Une autre formule de société d'acquêts semble plus avantageuse lorsque son objet est limité. Elle peut porter, par exemple, exclusivement sur les biens non professionnels. Elle assure alors une protection efficace des biens professionnels.
Ce régime peut répondre à de nombreuses hypothèses envisagées par les futurs époux. Ils peuvent, par exemple, souhaiter adopter un régime d'inspiration communautaire, sans pour autant vouloir faire tomber leurs biens professionnels, leurs gains et salaires, ou encore les revenus de leurs biens propres dans une communauté. Ils constitueront alors un îlot communautaire, plus ou moins large, permettant de créer une « communauté » plus réduite que le régime légal actuel, plutôt que d'adopter une communauté réduite aux acquêts dont seraient retranchés certains actifs353.
– La société d'acquêts à objet restreint. – Beaucoup de contrats vont prévoir une société d'acquêts à objets restreints. Cette bulle communautaire, ainsi circonscrite selon la volonté des époux, vient atténuer la rigueur de la séparation de biens pure et simple, notamment lorsque les revenus du couple sont inégaux, ou lorsqu'un seul d'entre eux travaille. Les époux vont pouvoir créer une masse commune que représente la société d'acquêts. Elle se limite fréquemment au logement de la famille et à son mobilier le garnissant. Il y a peu d'intérêt à inclure dans la société d'acquêts les biens professionnels, là où l'on cherche à les en exclure en régime de communauté.
Dans la pratique, beaucoup de contrats, souvent trop succincts, contreviennent souvent au principe d'immutabilité du régime matrimonial ou à l'ordre public matrimonial. Mais quelles sont les clauses à proscrire dans de tels régimes matrimoniaux ?
Précautions
– Quelques précautions pratiques. – Lors de l'élaboration du contrat, le notaire doit prendre garde aux difficultés d'interprétation de la volonté des époux, ce qui suppose des précautions rédactionnelles.
– La question des récompenses. – La coexistence de trois masses, une masse commune et les patrimoines personnels de chaque époux, peut conduire à des mouvements de valeur susceptibles de générer des récompenses. Tel est le cas du financement partiel d'un bien subrogé ou encore l'hypothèse de travaux en cours d'union. Il y a récompense toutes les fois où un patrimoine personnel s'est enrichi ou appauvri au profit de la société d'acquêts. En revanche, lorsque le mouvement de valeur s'opère entre les deux patrimoines personnels, il s'agit d'une créance entre époux, laquelle doit être liquidée dans les conditions similaires aux époux mariés sous le régime de séparation de biens.
La confusion des patrimoines, même limitée à un seul bien, est souvent définitive dans l'esprit des époux. C'est la raison pour laquelle, afin d'assurer leur volonté, le mécanisme des récompenses doit être expressément exclu dans la convention matrimoniale. À défaut, la masse commune se viderait.
– Financement de la société d'acquêts. – Lorsque les époux ont des revenus très différents, il peut être conseillé de prévoir dans le contrat de mariage que chaque époux a l'obligation de contribuer aux besoins pécuniaires de la société d'acquêts en proportion de ses facultés afin de prévenir toute difficulté de qualification sur la nature des versements effectués au sein du couple. Ainsi, en assumant cette charge, l'époux n'aura fait qu'exécuter la convention matrimoniale.
– Subrogation réelle. – En cas de vente d'un bien dépendant de la société d'acquêts, la subrogation réelle doit jouer de plein droit. Le contrat de mariage doit prévoir cette hypothèse et mention doit en être faite dans l'acte d'acquisition du nouveau bien. Le contrat doit prévoir que tout changement d'affectation reste extérieur à sa qualification. Il n'est pas possible de modifier la qualification d'un immeuble du seul fait de son changement d'affectation, sauf à procéder à un changement de régime matrimonial. Le produit de la vente comme le nouveau bien acquis doivent conserver leur nature d'acquêts. Sinon, il suffirait de vendre le bien pour vider la masse commune.
En cas d'apport de biens présents, la clause doit préciser que cela s'étend aux biens qui seront subrogés. De même, les revenus des biens apportés, ainsi que les sommes perçues en cas d'aliénation, lorsqu'ils sont réemployés, doivent conserver leur nature. En outre, le sort du passif éventuel doit être précisé au jour de l'apport.
– Outil de transmission et risque fiscal. – Si le régime séparatiste avec adjonction d'une société d'acquêts est un aménagement courant du régime matrimonial, il doit toujours être opéré avec précaution pour éviter de basculer dans des situations constitutives d'un abus de droit avec le risque d'une remise en cause de la part de l'administration fiscale.
En effet, cet aménagement peut révéler un double objectif : d'une part, protéger le conjoint moins aisé et permettre, d'autre part, une transmission aux enfants du couple en bénéficiant doublement de l'abattement prévu à l'article 779 du Code général des impôts. Or, en l'espèce, tout est question de temporalité. La réalisation d'une transmission à titre gratuit sans délai au bénéfice des enfants du couple pourrait être considérée comme abusive au sens du mini-abus de droit354. Dès lors qu'un laps de temps suffisamment raisonnable est respecté entre la mise en société d'acquêts et la transmission, la reconnaissance du caractère abusif du montage reste peu probable. Les caractéristiques économiques et patrimoniales de la solution préconisée pourront être mises en avant pour démontrer leur prépondérance face à l'avantage fiscal procuré. En revanche, le caractère principalement fiscal du montage peut plus facilement être démontré si l'époux propriétaire du bien propre mis en commun souhaite réaliser une donation, voire une donation suivie d'une cession, au bénéfice de ses enfants, immédiatement après la mise en société d'acquêts.
Il s'agit là d'une situation assez courante d'un chef d'entreprise en fin de carrière, qui avait initialement choisi le régime de séparation, bénéficiant ainsi d'une totale indépendance et protégeant les biens de son conjoint en cas de faillite de l'entreprise, et qui souhaite désormais faire profiter sa famille de sa réussite. Le dirigeant pourrait être tenté d'apporter les titres de son entreprise à une société d'acquêts afin de les rendre communs et de procéder immédiatement à une donation aux enfants, avant leur cession, leur faisant alors profiter d'une économie fiscale tant au regard des droits de donation (chaque parent étant codonateur des biens devenus communs) qu'au regard de l'impôt sur le revenu (la donation gommera les plus-values). Ce montage facilite la transmission à titre gratuit de l'outil professionnel au profit des enfants du couple. Néanmoins, depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle procédure de « mini-abus de droit » par la loi de finances pour 2019355, il convient de démontrer que les actes n'ont pas pour motif principal, et non plus exclusif, d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale qui aurait normalement dû être supportée sans les actes concourant à l'opération susvisée. Outre une temporalité suffisante entre les opérations, il est recommandé de préciser dans les actes les motivations autres que fiscales pouvant les justifier356. En tout état de cause, la remise en cause d'un tel montage nécessitera un examen approfondi des circonstances de fait.
Les limites à la liberté des conventions matrimoniales
– Plan. – L'on peut constater, et regretter, que dans les clauses usitées dans un régime de séparation de biens avec société d'acquêts, certaines d'entre elles contreviennent au principe de l'immutabilité (A) alors que d'autres heurtent l'ordre public matrimonial (B).
Séparation de biens avec société d'acquêts et immutabilité
– Le principe de l'immutabilité du régime matrimonial. – Le principe de l'immutabilité du régime matrimonial interdit aux époux de modifier librement, en cours de régime, la composition respective de la masse commune que constitue la société d'acquêts et de leur patrimoine personnel par leur seul accord de volonté en dehors de la procédure de changement ou d'aménagement de régime visé à l'article 1397 du Code civil. Bien que le principe de l'immutabilité du régime matrimonial ait cédé quelque peu du terrain, la qualification d'un même bien ne peut pas changer au cours du régime matrimonial. En cours de régime, un bien personnel ne peut pas appartenir à la société d'acquêts et, inversement, un bien dépendant de la société d'acquêts ne peut pas devenir un bien personnel indivis entre les époux.
– Clauses ne respectant pas le principe de l'immutabilité du régime matrimonial. – Certaines clauses sont encore fréquemment prévues en régime de séparation de biens avec sociétés d'acquêts alors qu'elles ne respectent pas le principe de l'immutabilité du régime matrimonial.
– La société d'acquêts différée. – Il s'agit d'une clause fréquente relative au logement futur de la famille, dont la consistance ne serait déterminée qu'au jour de la dissolution du régime matrimonial. Cette clause est généralement rédigée de la manière suivante : « À ce régime, les futurs époux conviennent d'adjoindre une société d'acquêts comprenant exclusivement les biens et droits acquis pendant le régime et par lesquels sera assuré, au jour de sa dissolution, le logement de la famille et les meubles meublants garnissant ce logement à la même époque ». Il est tout à fait possible de prévoir une société d'acquêts comprenant le logement de la famille des époux, qu'il s'agisse d'un logement présent ou d'un logement futur. Mais il n'est pas possible de stipuler les termes « au jour de sa dissolution ». En effet l'apport d'un bien, que ce soit un bien présent ou un bien futur, fait dépendre ce bien de la société d'acquêts, soit au moment de l'adoption du régime, soit au moment de son acquisition. Or, il n'est pas possible de ne connaître l'étendue de la société d'acquêts qu'à sa dissolution, c'est-à-dire au moment de sa disparition. Dans cette hypothèse, seul le dernier logement de la famille au jour de la dissolution de la société d'acquêts dépendrait de celle-ci. Le bien pourrait, par exemple, appartenir personnellement à l'un des époux, ou être indivis entre eux en cours d'union et dépendre, lors de la dissolution du régime, et alors qu'il est devenu le logement de la famille, de la société d'acquêts. La qualification du bien au regard du régime matrimonial doit être appréciée au jour du mariage ou au jour de l'acquisition. Le bien ne peut changer de qualification au cours du même régime matrimonial en dehors de la procédure de changement de régime matrimonial sous peine de contrevenir au principe de l'immutabilité du régime matrimonial.
– L'apport de compte bancaire. – Cette clause est fréquemment stipulée relativement aux comptes bancaires joints des époux. La clause est généralement prévue de la manière suivante : « Les époux conviennent d'adjoindre à leur régime de séparation de biens une société d'acquêts comprenant les sommes et valeurs déposées sur tout compte joint ouvert au nom des époux ». Dans cette hypothèse, il est laissé aux époux la faculté d'abonder ou non les comptes joints au moyen de leurs comptes personnels. Par définition, les montants des comptes joints seront fluctuants, au gré de la volonté des époux. L'un d'eux pourrait alors accroître volontairement le patrimoine de la société d'acquêts, dans le but d'avantager son conjoint ou au contraire le vider. Le raisonnement est le même que celui tenu au sujet de la société d'acquêts différée. Il ne paraît pas possible d'apporter des « enveloppes »357, telles que compte joint, compte-titres, etc., dans la mesure où leur consistance n'est pas déterminée au jour de l'apport et ne le sera qu'au jour de la dissolution. Une telle faculté laisse ainsi aux époux la liberté d'en faire varier le montant à leur guise, ce qui est contraire au principe d'immutabilité du régime matrimonial. En revanche, le montant du compte bancaire ou des titres, à un instant donné, peut être apporté.
Séparation de biens avec société d'acquêts et ordre public
– Le principe de l'ordre public matrimonial. – Au-delà du principe de l'immutabilité du régime matrimonial, la liberté des époux dans la rédaction de leur convention matrimoniale trouve ses limites dans l'ordre public matrimonial. Or, cet ordre public matrimonial commande de prévoir un régime matrimonial dans lequel la qualification des biens est fixée au regard de critères objectifs.
À l'instar des clauses ne respectant pas le principe de l'immutabilité du régime matrimonial, certaines clauses stipulées dans le régime de la séparation de biens avec société d'acquêts ne respectent pas le principe de l'ordre public matrimonial.
– La société d'acquêts à géométrie variable. – Poussant la liberté à son paroxysme, certains auteurs ont pu émettre la possibilité de prévoir une clause à géométrie variable358. Une telle clause est aujourd'hui fréquemment stipulée lors de la constitution d'une société d'acquêts, selon laquelle « les futurs époux conviennent d'adjoindre à ce régime de séparation de biens une société d'acquêts comprenant les biens et droits immobiliers acquis durant le régime, et pour lesquels les époux auront expressément déclaré dans l'acte authentique au moment de l'acquisition, agir pour le compte de la société d'acquêts existant entre eux ». Cette clause permet aux époux de composer la société au fil de leurs acquisitions et donc d'influer, de manière subjective, au gré des acquisitions, sur la nature du bien.
La question de la validité d'une telle clause se pose au regard de son caractère potestatif, puisque l'inclusion ou non dans la masse commune ne peut pas être le fait de la seule volonté des époux.
La majorité des auteurs a émis les plus grandes réserves, considérant que la clause est vouée à la nullité. En effet, « il n'y a de régime qu'en présence d'un système stable, autrement dit un ensemble cohérent où tout se tient ».
D'autres auteurs ont réhabilité cette clause359.
Le périmètre de la société d'acquêts doit être défini au regard de critères objectifs. À notre sens, il ne paraît pas possible pour les époux ou l'un d'eux de décider, en cours de régime, lors de chaque acquisition, si le bien acquis entre dans la société d'acquêts ou dans son patrimoine personnel, en fonction de ses intérêts du moment.
– L'apport à la société d'acquêts de l'usufruit d'un bien dont l'époux apporteur détient la pleine propriété. – Certains ont pu proposer l'apport à la société d'acquêts de l'usufruit d'un bien immobilier, dont l'un des époux a la pleine propriété. En effet, un époux peut vouloir tout à la fois conserver la propriété d'un bien et partager sa jouissance ou, du moins, qu'à son décès son conjoint puisse en jouir librement et de manière exclusive. Or, il convient de rappeler que la société d'acquêts, comme la communauté, ne dispose pas d'une personnalité juridique distincte de celle des époux.