La réincorporation de biens précédemment donnés : une fiscalité pénalisant les familles les moins fortunées

La réincorporation de biens précédemment donnés : une fiscalité pénalisant les familles les moins fortunées

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Absence de perception du droit de partage. – La donation-partage n'est pas soumise au droit de partage. Cette règle s'explique par une théorie fiscale séculaire qui est celle des dispositions dépendantes. Il faut considérer, selon cette théorie, que le partage n'est qu'une disposition accessoire de la donation. La doctrine administrative moderne reprend cette règle traditionnelle en affirmant que la donation-partage n'est pas soumise au droit de partage132.
– Les transmissions de patrimoine échelonnées. – Cependant, et c'est le cœur du problème, les Français ne disposent pas toujours de la possibilité de signer immédiatement une donation-partage. La situation la plus topique est celle d'une personne ne jouissant pas de richesses suffisantes pour pouvoir constituer immédiatement un lot au profit de chacun de ses enfants. Cette situation de fait, qui est invincible en raison de sa nature économique, conduira le plus souvent le donateur à procéder de manière échelonnée : à chaque fois que la surface économique de son patrimoine le lui permettra, il réalisera une nouvelle donation au profit d'un enfant qui n'avait pas été encore gratifié de façon à ce que chacun de ses descendants ait bénéficié en fin de compte d'une transmission de patrimoine. Il y a donc les familles aisées, qui peuvent dans un unique instrumentum transmettre plusieurs biens, et celles qui devront recourir à plusieurs instruments juridiques séparés parfois par une longue période.
– L'incorporation pour traiter en égalité toutes les familles. – Les notaires parviennent malgré tout à appliquer le régime juridique de la donation-partage dans une telle situation grâce au mécanisme de l'incorporation133. Il s'agit concrètement de recenser toutes les donations qui auront été réalisées par le donateur, et de les fusionner dans une unique donation-partage. Grâce à la technique de l'incorporation, toutes les donations qui avaient été réalisées de manière échelonnée dans le temps et qui auront été rappelées dans la donation-partage pourront bénéficier du régime juridique de la donation-partage : l'égalité voulue par le donateur sera préservée lorsque son décès surviendra134.
La mécanique de l'incorporation d'une donation au sein d'une donation-partage constitue un élément essentiel de la paix des familles. Sans elle, il serait extrêmement difficile de réaliser des donations-partages : combien de Français disposent-ils de la capacité patrimoniale et financière de donner un ensemble de biens à tous leurs enfants dans un seul et unique acte de donation-partage ? Le simple fait de se poser la question conduit à cette réponse inévitable : bon nombre de donations-partages réalisées par les notaires sont constituées au moyen de l'incorporation de donations antérieures.
– Alléger la fiscalité de l'incorporation. – Il est donc nécessaire de faciliter la mécanique de l'incorporation, car c'est elle finalement qui sera dans bon nombre de cas le vecteur de la paix des familles. Et c'est là que le bât blesse : l'article 776 A du Code général des impôts soumet l'incorporation au droit de partage dont le taux actuel de 2,5 % constitue un véritable frein.
Une situation des plus paradoxales se fait jour :
  • les concitoyens dont les capacités patrimoniales et financières leur auront permis de signer immédiatement une donation-partage n'auront pas été soumis au droit de partage ;
  • ceux dont les capacités financières plus limitées les auront contraints à procéder à des donations échelonnées dans le temps devront s'acquitter du droit de partage pour garantir la paix des familles.
La question de la suppression du droit de partage sur les opérations de réincorporation pourrait donc se poser afin de permettre à tous nos concitoyens de bénéficier du régime juridique de la donation-partage et de la paix familiale qu'elle procure.
À tout le moins, une diminution du taux du droit de partage, pour le ramener au taux de 1,10 % pourrait être envisagée. Il peut être rappelé à ce sujet que la législation fiscale n'hésite pas à faire un tel pas lorsqu'un objectif sociétal lui paraît supérieur à celui du rendement de l'impôt. On peut citer à cette occasion la loi no 2019-1479 de finances pour 2020, du 28 décembre 2019, qui a progressivement ramené le taux de 2,5 % à 1,10 % afin de faciliter les partages des intérêts patrimoniaux consécutifs à une séparation de corps, à un divorce ou à une rupture d'un pacte civil de solidarité (CGI, art. 746).
N'en doutons pas : la donation-partage s'inscrit dans un objectif sociétal d'une très grande envergure car elle est en mesure de s'adapter aux mutations profondes et durables qui caractérisent les familles françaises. Qu'on y songe : combien d'outils juridiques sont-ils capables d'accompagner les familles recomposées malgré leur extrême diversité ? Combien d'outils juridiques sont-ils capables de répondre aux innombrables défis qui sont provoqués par le vieillissement de la population française ? À toutes ces questions, la donation-partage offre des réponses adaptées. Toutefois, afin qu'elle soit ouverte au plus grand nombre et que les notaires puissent servir au mieux leurs concitoyens, il apparaît nécessaire de diminuer le coût fiscal de l'incorporation d'une donation antérieure.