La propriété temporaire de l'usufruitier

La propriété temporaire de l'usufruitier

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– L'usufruitier plein propriétaire. – L'étude de la jurisprudence rendue en matière de baux commerciaux permet à notre avis de mieux comprendre la solution qui a été rendue par la Cour de cassation en 2012 s'agissant d'un droit d'usufruit. Les faits étaient relatifs à un contentieux fiscal : un père avait donné à sa fille la nue-propriété de terrains dont il s'était réservé l'usufruit, et avait construit des immeubles de rapport sur les terrains. L'administration fiscale opéra une rectification fiscale du vivant du donateur. Elle considérait que la réalisation des constructions par l'usufruitier matérialisait une donation indirecte au profit de la donataire. Elle soumit alors la valeur des travaux à un complément de droits de donation. En somme, l'administration avait une vision globale de l'opération : elle considérait que la donation portait de manière ostensible sur le terrain, et de manière indirecte sur les constructions.
Dans une décision rendue le 19 septembre 2012, la Cour de cassation annule la rectification fiscale pour le motif suivant : en cas de construction réalisée sur un fonds détenu en démembrement de propriété, le nu-propriétaire n'entre en possession des constructions qu'à l'extinction de l'usufruit, date à laquelle se produit l'accession à son profit525. Cette solution a été récemment confirmée en 2023 au sujet de la mise en œuvre de la garantie décennale : le nu-propriétaire d'un terrain, sur lequel l'usufruitier a édifié une construction nouvelle, n'est pas propriétaire de cet ouvrage de sorte qu'il ne peut exercer l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage526. L'arrêt de 2023 précise qu'une convention contraire peut exister entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, ce qui rappelle là encore la solution de l'arrêt Pocchiola en matière de bail.
– Absence d'enrichissement avant l'extinction de l'usufruit. – Il faut être très prudent sur la solution de 2012. La qualité de propriétaire dont dispose l'usufruitier ne protège pas indéfiniment le nu-propriétaire d'une requalification en libéralité indirecte. Tout risque de requalification, civile ou fiscale, est en principe écarté jusqu'à l'extinction de l'usufruit. En effet, et comme le précise la Cour de cassation dans sa jurisprudence de 2012, aucun enrichissement du nu-propriétaire ne se produit jusqu'à l'extinction de l'usufruit.
Le risque se présente lors de l'extinction de l'usufruit puisque c'est à cette date que le patrimoine du nu-propriétaire, devenu propriétaire, s'enrichit. La jurisprudence de 2012 a ainsi pour principal effet de localiser le moment où peut advenir un contentieux : la partie se joue lors de l'extinction de l'usufruit.
– Risque de requalification lors l'extinction de l'usufruit. – Lors de l'extinction de l'usufruit, le nu-propriétaire devient plein propriétaire en vertu de la règle de l'accession. Sur un plan purement technique, l'accession échappe aux droits de succession. Cependant, l'administration fiscale, ou un cohéritier si le litige est de nature civile, pourraient considérer que l'accession matérialise une donation indirecte au profit du nu-propriétaire. L'idée est la même que celle qui a été exposée préalablement en matière de travaux réalisés par l'usufruitier : il faut prouver l'intention libérale. Sans même avoir à sonder les cœurs et les esprits, il apparaît évident que le risque de contestation sera très élevé si l'usufruitier n'a retiré aucune utilité de la construction527.
Une attention toute particulière doit être portée aux hypothèses où le nu-propriétaire est une société. La requalification fiscale aurait pour effet d'appliquer le tarif entre tiers au taux de 60 %. À l'inverse, la démonstration de l'intention libérale sera plus difficile à rapporter s'il peut être établi que l'usufruitier a édifié une construction, non pour la transmettre au nu-propriétaire, mais pour se procurer des revenus supplémentaires528. L'arrêt du 19 septembre 2012 offre d'ailleurs des circonstances factuelles intéressantes : l'usufruitier était âgé de cinquante-neuf ans et les loyers qu'il avait encaissés avaient permis un retour sur investissement en moins de cinq ans.