– Plan. – Si la possession d'état est, pour certains auteurs, « un révélateur de la vérité biologique »1290, il sera tout d'abord rappelé que le lien biologique n'est pas une condition pour l'établissement de la filiation par possession d'état de sorte que le notaire n'a pas à s'interroger sur l'existence de celui-ci lors de la rédaction de l'acte de notoriété (Sous-section I). Néanmoins, le lien de filiation peut être anéanti en son absence. Il sera donc évoqué les modalités de la contestation de la possession d'état (Sous-section II).
La possession d'état au regard du lien biologique
La possession d'état au regard du lien biologique
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Le lien biologique n'est pas une condition pour l'établissement de la filiation par possession d'état
– Le lien de filiation doit-il être de nature biologique
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? – Dès lors que les faits sont suffisamment réunis pour révéler le lien de filiation et que la possession d'état présente les qualités nécessaires, le notaire est tenu d'établir l'acte de notoriété constatant celle-ci. Cependant, doit-il le recevoir à l'égard d'une personne qui sait pertinemment qu'elle n'est pas le parent biologique et dont cette information est portée à la connaissance de tous mais qui se comporte, aux yeux de tous, comme un parent ?
– L'avis de la Cour de cassation du 23 novembre 2022. – Des juges du fond ont été confrontés à une problématique similaire dans le cadre d'une action en constatation de la possession d'état sur le fondement de l'article 330 du Code civil1292. Ils ont interrogé la Cour de cassation dans les termes suivants : « dans la mesure où l'article 311-1 du Code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d'état est censée “révéler” le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, une filiation à l'égard d'un demandeur dont il est constant qu'il n'est pas le père biologique de l'enfant peut-elle être établie dans le cadre de l'action en constatation de la possession d'état prévue à l'article 330 du Code civil ? ». Dans un avis du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a précisé que « la circonstance que le demandeur à l'action en constatation de la possession d'état ne soit pas le père biologique de l'enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention » et qu'il « appartient au juge, en considération des éléments de l'espèce, d'apprécier si les conditions de la possession d'état posées par les articles 311-1 et 311-2 précités sont remplies »1293.
– Le fondement sociologique de la possession d'état. – La Cour de cassation réaffirme l'importance de la réalité sociologique pour établir la filiation. Cet avis est conforme aux décisions rendues dans le passé en matière de possession d'état au sujet de l'expertise biologique où il a déjà été jugé qu'une telle expertise est exclue dans le cadre des actions en constatation de la possession d'état car « l'objet de la preuve n'est pas le lien biologique de filiation, mais l'existence, et les caractères, de la possession d'état revendiquée »1294. L'objet de l'action en possession d'état n'est pas d'établir une vérité biologique. Il suffit de se comporter comme un parent et d'en rapporter la preuve pour établir le lien de filiation. Si les hauts magistrats se prononcent uniquement sur le fondement de l'article 330 du Code civil, c'est-à-dire dans le cadre où la possession d'état est constatée par jugement, cet avis peut être transposé au notaire chargé de constater la possession d'état1295. Ainsi, le juge comme le notaire n'ont pas à vérifier que la possession d'état est conforme à la réalité biologique. La possession d'état « fondée sur l'apparence d'une réalité biologique » correspond avant tout « à une réalité affective, matérielle et sociale »1296. Même en l'absence de lien biologique, lequel ne constitue pas « un obstacle au succès de [la] prétention »1297, il est possible de recourir à la possession d'état pour établir un lien de filiation. Encore faut-il, comme le rappelle la Cour de cassation, que ses conditions soient réunies, lesquelles doivent être appréciées tant par le juge que par le notaire.
– Critiques. – Pour certains auteurs, la solution adoptée par les hauts magistrats dans cet avis du 23 novembre 2022 est regrettable. Ils suggèrent que la pratique pourrait consister pour le notaire comme pour le juge à « s'opposer à la délivrance d'un acte de notoriété (art. 317) et au constat judiciaire de la possession d'état (art. 330) dès lors qu'il est acquis que la réalité affective n'est pas conforme à la réalité biologique »1298, d'autant plus qu'il est possible de contester la filiation établie par possession d'état.
La contestation de la possession d'état
– L'acte de notoriété fait foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire
1299
. – Selon l'article 335 du Code civil, « la filiation établie par la possession d'état constatée par un acte de notoriété peut être contestée par toute personne qui y a intérêt en rapportant la preuve contraire, dans le délai de dix ans à compter de la délivrance de l'acte »1300. Celui qui conteste la possession d'état constatée dans l'acte de notoriété doit rapporter la preuve, par tous moyens, que les faits relatés sont insuffisants pour caractériser une possession d'état ou que celle-ci ne présente pas les qualités requises par l'article 311-2 du Code civil. En outre, la doctrine majoritaire admet qu'il est tout à fait possible de rapporter la preuve de l'absence de lien biologique entre le parent et l'enfant pour obtenir l'anéantissement du lien de filiation créé par possession d'état1301, ce qui a également été affirmé par la circulaire du 30 juin 20061302. Ainsi, si l'expertise biologique n'est pas de droit pour constater la filiation par possession d'état, elle l'est, en revanche, pour contester celle-ci devant les tribunaux1303. L'existence d'un vécu entre l'enfant et le parent prétendu a certes une place importante pour établir la filiation par possession d'état. Néanmoins, cette réalité sociologique cède devant la réalité biologique lorsqu'il s'agit d'agir en contestation de la filiation.
– La réalité biologique l'emporte-t-elle toujours sur la réalité sociologique en cas de contestation de la possession d'état ? – Ces propos doivent toutefois être nuancés aujourd'hui depuis l'avis rendu par la Cour de cassation en date du 23 novembre 2022. En effet, en l'absence de précision de la part des hauts magistrats, certains auteurs se demandent s'il est toujours possible de recourir à l'expertise biologique pour anéantir une filiation créée par possession d'état puisque celle-ci repose sur « une réalité affective, matérielle et sociale »1304. En conséquence, « seule la démonstration d'une absence depossession d'état, dans sa composante et/ou ses caractères, pourrait emporter la disparition du lien de filiation »1305. Ces auteurs en doutent néanmoins, car une telle position aurait pour conséquence de rendre « la possession d'état plus solide que la présomption de paternité et la reconnaissance qui peuvent, elles, tomber pour contrariété à la vérité biologique »1306. Si cette solution devait l'emporter, l'acte de notoriété constatant la possession d'état établirait une filiation quasiment inattaquable, d'où l'importance pour le notaire de l'établir avec toute la rigueur qu'impose la profession. La responsabilité du praticien sera engagée « s'il est démontré qu'il a commis une faute en ne vérifiant pas suffisamment les éléments établissant la possession d'état qui lui ont été présentés »1307.