La phase judiciaire

La phase judiciaire

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Une requête aux fins d'adoption. – Selon l'article 1166 du Code de procédure civile, la demande d'adoption est portée devant le tribunal judiciaire par une requête signée par le ou les adoptants. C'est en réalité aux termes de celle-ci que le ou les adoptants manifestent expressément leur volonté de procéder à l'adoption, même s'il est habituel de les faire intervenir à l'acte de consentement à l'adoption signé par l'adopté1400. La requête doit préciser si la demande tend à une adoption plénière ou à une adoption simple.

L'adoptant placé sous protection juridique

Est réputé strictement personnel, « le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant »1401. N'est pas visé le cas de l'adoption par un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique. Néanmoins, il est admis que la liste des actes prévus à l'article 458 du Code civil n'est pas limitative, de sorte que le consentement donné par une personne faisant l'objet d'une mesure de protection juridique à l'adoption d'un tiers peut être considéré comme un acte strictement personnel1402. Dans la mesure où l'adoptant manifeste sa volonté d'adopter en signant la requête en adoption à déposer auprès du tribunal judiciaire, le majeur faisant l'objet d'une mesure de protection devrait pouvoir signer seul la requête à condition d'être lucide sur la portée de son engagement, quelle que soit la mesure mise en place, sans assistance ou représentation1403.
– Une appréciation souveraine du juge. – Pour prononcer l'adoption dont le jugement n'a pas à être motivé1404, le juge doit vérifier, dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal, si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant1405. Il dispose d'un pouvoir souverain en la matière. Le juge peut en effet refuser de la prononcer pour préserver la paix des familles, et ce, même si toutes les conditions légales sont réunies. Ces dernières doivent être appréciées au moment où le juge se prononce1406. S'il l'estime nécessaire, le juge peut faire « procéder à une enquête par toute personne qualifiée » et « commettre un médecin aux fins de procéder à tout examen qui lui paraîtrait nécessaire »1407. En outre, le mineur capable de discernement est entendu dans le cadre de cette procédure1408. Dans le cas où l'adoptant a des descendants, le tribunal vérifie si l'adoption n'est pas de nature à compromettre la vie familiale. S'ils n'ont pas à consentir à l'adoption et que leur opposition est en principe sans conséquence, « elle peut être révélatrice de la situation familiale de l'adoptant et des conséquences que pourrait avoir le prononcé de l'adoption »1409.
– L'intérêt de l'enfant. – L'intérêt de l'enfant, « notion à contenu variable »1410, se retrouve à nouveau au cœur de la mission du juge. Si, pour certains auteurs, « les tentatives de déjudiciarisation, que connaît le droit de la famille depuis quelques années, ne devraient pas (…) prospérer » en matière d'adoption1411, le 113e Congrès des notaires a proposé de « permettre l'adoption simple de l'enfant majeur du conjoint par acte notarié, sauf en présence d'enfant(s) mineur(s) de l'adoptant ou en cas d'opposition du ou des enfants majeurs de l'adoptant dûment informé(s) »1412. De son côté, le Conseil supérieur du notariat a proposé « d'autoriser l'adoption des enfants majeurs du conjoint par seul acte notarié, sans avoir besoin d'obtenir un jugement »1413. Cette proposition pourrait, a minima, prospérer dans l'hypothèse où l'adoptant n'a pas lui-même d'enfants.

Le prix de la course et la pluriparenté

Le législateur a interdit les adoptions multiples si ce n'est par deux époux, deux partenaires ou deux concubins1414, ou dans des cas expressément prévus par la loi1415. Par un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a refusé qu'un enfant puisse être adopté par ses deux beaux-parents en se fondant sur l'article 346 du Code civil dans sa version antérieure à la loi du 21 février 2022. En l'espèce, une personne a été adoptée par son beau-père, nouveau conjoint de sa mère. Sa belle-mère, épouse de son père, a déposé par la suite une requête en adoption simple. Si cette demande a été accueillie par la cour d'appel pour « conforter juridiquement une situation familiale et des liens affectifs anciens et bien établis », estimant que « le refus de cette deuxième adoption aboutirait à une discrimination entre les deux « beaux-parents » », les hauts magistrats cassent cette décision au motif que « le droit au respect de la vie privée et familiale n'interdit pas de limiter le nombre d'adoptions successives dont une même personne peut faire l'objet, ni ne commande de consacrer par une adoption, tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et bien établis »1416. Cette décision a été approuvée par la majorité des auteurs, laquelle était inévitable au regard de l'ancien article 346 du Code civil. Pour la doctrine, une telle adoption n'avait certainement pas pour but « de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu » mais avait davantage une finalité successorale1417. D'autres auteurs ont considéré, au contraire, que « cette situation est discriminatoire, puisqu'entre les deux beaux-parents, cela revient à favoriser « le prix de la course » »1418.
Si l'adoption a été pensée avec la loi du 19 juin 1923, comme « un mode de protection de l'enfant abandonné »1419, elle est davantage utilisée, ces dernières années, comme un outil de reconstruction des familles permettant de donner encore plus « de famille » à une personne qui en a déjà1420. Cantonner l'adoption à l'enfant abandonné, c'est faire fi de l'évolution de la société au regard des familles recomposées, voire des nouvelles configurations familiales dites plurielles. En 2017, Mme la Garde des Sceaux avait été interrogée par un parlementaire sur une possible « évolution législative ou réglementaire » concernant les couples souhaitant réaliser une adoption simple croisée. Par une réponse ministérielle du 11 décembre 2018, elle avait indiqué qu'il « ne peut pas y avoir deux adoptions simples successives » et qu'il « n'est donc pas possible d'envisager par exemple qu'un enfant né d'un couple soit ensuite adopté par chacun des conjoints des parents après la séparation de ceux-ci »1421. Pour justifier sa solution, elle se fonde sur les règles relatives à l'autorité parentale et sur le transfert de celle-ci à l'adoptant1422. C'est oublier que l'adoption peut être prononcée pour une personne majeure de sorte que les règles relatives à l'autorité parentale ne seraient pas nécessairement un obstacle à l'adoption croisée.
L'adoption dite croisée ou multiple est-elle, en réalité, la solution adaptée aux différentes configurations familiales ? Si l'on se place du côté du beau-parent, ce dernier n'a pas nécessairement la volonté de devenir parent. Il souhaite la concrétisation d'un lien juridique avec l'enfant tout en conservant sa place de beau-parent, aux côtés des parents de l'enfant. Or, en l'absence d'une reconnaissance juridique du beau-parent en droit français, l'adoption est l'outil couramment utilisé pour créer un lien de filiation sans être, en pratique, le mieux adapté à la situation. Il est rare d'entendre l'adopté, lors des rendez-vous dans le cadre d'une adoption simple par un beau-parent, l'appeler « papa ». Si l'objectif « non avoué » de l'adoption est de permettre une transmission à titre gratuit à moindre coût entre l'adoptant et l'adopté, il est alors nécessaire de réfléchir, à nouveau, à la place juridique du beau-parent en droit1423. Il n'est effectivement pas concevable que seul l'un des deux beaux-parents – le plus rapide – puisse adopter. À ce titre, en Belgique, la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 25 mai 2023, no 83/2023, a considéré que l'article 347-1 de l'ancien Code civil [belge] « viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il s'oppose à ce qu'une personne majeure qui a déjà bénéficié d'une adoption simple par un beau-parent bénéficie également, (...), d'une adoption simple par son beau-parent dans l'autre ligne parentale ». Comme en Belgique, il serait peut-être temps pour la France de reconnaître une « beau-parenté bilatérale ». Quant au parent d'intention et aux familles dites plurielles, l'enfant est conçu dans le cadre d'un projet parental commun. Les personnes qui ont participé à ce projet se considèrent toutes comme « les parents » de l'enfant qui en est issu. L'adoption n'est pas l'outil adapté pour ces familles et n'est d'ailleurs pas celui retenu dans les États ayant consacré le principe de la pluriparenté. Dans les provinces de Colombie-Britannique ou d'Ontario au Canada, la pluriparenté résulte d'un contrat conclu avant la conception de l'enfant « entre le ou les parents d'intention et la future parturiente [la femme qui accouche de l'enfant] ou le donneur de gamètes, ainsi qu'avec leur conjoint s'ils vivent en couple »1424. Elle peut aussi être consacrée, postérieurement à la naissance de l'enfant, par une décision de justice1425.
Accepter l'adoption croisée en France reviendrait à avoir une vision différente de l'adoption qui n'aurait plus pour unique finalité « de donner une famille à un enfant »1426. Mais l'adoption ne paraît pas être le meilleur outil pour répondre aux attentes tant des beaux-parents que des familles dites plurielles. La pluriparenté est d'ailleurs un phénomène de société difficile à aborder pour ceux qui voient le modèle biparental comme le modèle traditionnel de référence pour un enfant. Au Québec, la Cour supérieure a reconnu, par décision du 25 avril 2025, le droit des enfants québécois d'avoir plus de deux parents. Il a ainsi été décidé que les dispositions du Code civil québécois discriminent les familles pluriparentales. Si la pluriparenté venait un jour à être reconnue en France, elle pourrait, comme en Colombie-Britannique, découler d'un contrat, auquel cas le notaire pourrait être le professionnel le mieux placé pour le recevoir.
– Mesures de publicité. – Dans les quinze jours de la date à laquelle la décision prononçant l'adoption est passée en force de chose jugée, le procureur de la République fait procéder :
  • à sa mention en marge de l'acte de naissance de l'adopté en cas d'adoption simple ;
  • à sa transcription sur les registres de l'état civil du lieu de naissance de l'adopté en cas d'adoption plénière.
Dans le cadre d'une adoption plénière, l'acte de naissance originaire de l'enfant est revêtu de la mention « adoption » et est considéré comme nul1427. La transcription du jugement d'adoption sur les registres de l'état civil tient lieu d'acte de naissance à l'adopté. Elle énonce « le jour, l'heure et le lieu de naissance, le sexe de l'enfant ainsi que ses noms de famille et prénoms, tels qu'ils résultent du jugement d'adoption, les prénoms, noms, date et lieu de naissance, profession et domicile du ou des adoptants. Elle ne contient aucune indication relative à la filiation d'origine de l'enfant »1428, ce qui rend très difficile, voire impossible l'accès à ses origines pour l'adopté1429.

Dépôt du jugement d'adoption au rang des minutes du notaire

En pratique, il est recommandé de déposer la grosse du jugement au rang des minutes du notaire ayant reçu les actes de consentement à l'adoption pour en assurer la conservation et délivrer aux adoptant(s) et adopté les copies nécessaires.
– Tierce opposition. – Il est toujours possible de former une tierce opposition au jugement d'adoption1430. Cette action est ouverte pendant trente ans à compter du jugement1431. Elle n'est recevable qu'en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants ou au conjoint, partenaire ou concubin de l'adoptant1432.