– La fin d'une pathologie mentale. – Une personne transgenre est une personne dont l'expression de genre et/ou l'identité de genre diffèrent du sexe qui lui a été assigné à la naissance. La dysphorie de genre – ou le transsexualisme – a longtemps été considérée en France comme un trouble grave de la personnalité et du comportement. Elle n'est plus désormais une pathologie mentale depuis que le décret no 2010-125 du 8 février 2010 a supprimé « les troubles précoces de l'identité de genre » de la liste des affections psychiatriques717.
La parenté transgenre
La parenté transgenre
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Si le législateur est intervenu pour démédicaliser la procédure de changement de sexe à l'état civil, il l'a subordonnée à l'établissement d'une possession d'état du sexe revendiqué. Avant de s'interroger sur les conséquences au regard de la filiation d'un enfant conçu par une personne transgenre avant ou après son changement de sexe à l'état civil (§ II), il convient de rappeler brièvement les conditions légales pour parvenir à un tel changement (§ I).
Une possession d'état du sexe revendiqué
– Une consécration prétorienne conditionnée. – Le changement de sexe à l'état civil a longtemps été refusé aux personnes transgenres en raison du principe de l'indisponibilité de l'état des personnes718. Cependant, après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme719, la Cour de cassation a admis la rectification de la mention du sexe figurant sur l'acte de naissance d'une personne sous réserve de conditions très rigoureuses720. Parmi celles-ci, la personne transgenre devait « établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence »721. À défaut, le changement de sexe ne pouvait pas être opéré sur l'acte de naissance. En imposant cette condition d'irréversibilité en matière de transsexualisme, la Cour européenne des droits de l'homme a de nouveau condamné la France722. Toutefois, le législateur français était intervenu quelques mois auparavant pour modifier les règles quant au changement de sexe à l'état civil.
– Une intervention judiciaire. – Par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxi
e siècle, toute condition médicale a été supprimée pour opérer le changement de sexe sur l'acte de naissance723. Désormais, « toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification »724.
Les principaux faits dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, sont :
- que la personne se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;
- qu'elle soit connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;
- qu'elle ait obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué.
Seul le comportement social de la personne permet d'obtenir un changement de sexe à l'état civil, « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne [pouvant] motiver le refus de faire droit à la demande »725.
La demande de changement de sexe est présentée devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel soit la personne intéressée demeure, soit son acte de naissance a été dressé ou transcrit726. Elle relève de la matière gracieuse. Le ministère d'un avocat n'est pas obligatoire727. Le juge doit s'assurer du consentement libre et éclairé du demandeur. S'il fait droit à la demande de la personne intéressée, mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms, est portée en marge de son acte de naissance, à la requête du procureur de la République, dans les quinze jours suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée728.
Les éléments de fait permettant de caractériser la possession d'état du sexe ressemblent à ceux mentionnés à l'article 311-1 du Code civil pour la possession d'état en matière de filiation dont l'appréciation relève, quant à elle, désormais exclusivement du notaire729. On peut s'interroger sur la nécessité de caractériser, aujourd'hui, par voie judiciaire, une possession d'état du sexe730.
Ce changement peut entraîner des répercussions sur l'établissement de la filiation.
Les conséquences du changement de sexe au regard de la filiation
– Distinction chronologique. – Il convient de distinguer selon que l'enfant est né avant (A) ou après (B) le changement de sexe de son auteur731.
L'enfant né avant le changement de sexe de son auteur
– Droit commun de la filiation. – Les règles du droit commun de la filiation s'appliquent lorsque l'enfant est né avant que la personne transgenre ait effectué un changement de sexe à l'état civil. La filiation est donc établie par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété ainsi que par la reconnaissance conjointe732. L'article 61-8 du Code civil précise que « la modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans effet (…) sur les filiations établies avant cette modification ». Par ailleurs, « les modifications de prénoms corrélatives à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l'état civil des conjoints et enfants qu'avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux »733. Les partenaires n'étant pas expressément visés par cette disposition, la modification de prénoms corrélative à un changement de sexe d'une personne devrait être portée automatiquement sur l'acte de naissance du partenaire734.
L'enfant né après le changement de sexe de son auteur
– Deux situations distinctes. – Les personnes transgenres ayant la possibilité de conserver leurs attributs reproductifs depuis 2016, il leur est possible de concevoir naturellement un enfant tout en ayant changé de sexe à l'état civil735. Néanmoins, le législateur n'a pas envisagé, ni en 2016, ni lors des débats ayant abouti à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, les modalités pour établir la filiation d'un enfant né après le changement de sexe de son parent à l'état civil, préférant laisser les magistrats se confronter à de telles difficultés736. Deux situations seront successivement envisagées737 : celle qui concerne la femme transgenre qui, n'ayant pas accouché de l'enfant, souhaite établir un lien de filiation maternelle à son égard (I) et celle qui concerne l'homme transgenre qui a accouché de l'enfant (II).
La femme transgenre qui n'a pas accouché
– La femme transgenre qui n'a pas accouché. – La situation de la femme transgenre qui, n'ayant pas accouché de l'enfant, souhaite établir un lien de filiation maternelle à son égard, a généré un contentieux devant les juridictions françaises. En l'espèce, un homme et une femme, mariés en 1999, ont deux enfants nés en 2000 et 2004. Par jugement en 2011, l'homme a obtenu son changement de sexe à l'état civil tout en conservant ses organes sexuels reproducteurs. Cette femme transgenre a alors conçu avec son épouse un troisième enfant né au cours de l'année 2014. Si la filiation a été établie à l'égard de la mère qui a accouché conformément à l'article 311-25 du Code civil, la femme transgenre a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de la reconnaissance prénatale de maternité qu'elle avait souscrite en 2014 auprès d'un notaire, lequel « avait mentionné la particularité de la situation et noté qu'il ne faisait que reprendre la déclaration de l'intéressée : “reconnaissance prénatale… déclarée être de nature maternelle, non gestatrice” » 738. Cette transcription sur l'acte de naissance lui a été refusée par l'officier d'état civil agissant sur instruction du procureur de la République. Ce refus était fondé sur l'impossibilité d'établir un second lien maternel en application de l'article 320 du Code civil.
– La solution rendue par le TGI de Montpellier. – La femme transgenre a alors saisi le tribunal de grande instance de Montpellier lequel a rejeté sa demande de transcription de la reconnaissance prénatale sur l'acte de naissance de l'enfant par jugement du 22 juillet 2016739. Elle a alors interjeté appel de ce jugement.
– La solution rendue par la cour d'appel de Montpellier
740
. – Aux termes d'un arrêt rendu le 14 novembre 2018, la cour d'appel de Montpellier a fait preuve de créativité. Si elle a rejeté la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité prénatale, elle a tout de même reconnu qu'il existait bel et bien un lien biologique avec l'enfant – celui-ci ne faisait d'ailleurs aucun doute et n'était contesté par aucune des parties – lequel devait être retranscrit sur l'acte de naissance. Les juges d'appel ont donc retenu, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, qu'un homme devenu femme à l'état civil et ayant conçu postérieurement à son changement de sexe un enfant avec son épouse, pouvait le reconnaître en qualité de « parent biologique ». Les juges ont ainsi créé une nouvelle catégorie à l'état civil. Pour eux, imposer à la personne transsexuelle de « reprendre » son ancien sexe pour lui permettre d'établir un lien de filiation avec l'enfant via une reconnaissance paternelle constituait une violation du droit au respect de sa vie privée. Un pourvoi en cassation a été formé.
– La solution rendue par la Cour de cassation
741
. – Par un arrêt du 16 septembre 2020, la Cour de cassation a tout d'abord rappelé que « la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l'état civil, le père ou la mère de l'enfant comme “parent biologique” ». Le raisonnement des juges du fond est censuré, ces derniers ne pouvant pas « créer une nouvelle catégorie àl'état civil ». Ensuite, concernant l'établissement du lien de filiation de la personne transgenre à l'égard de l'enfant, les hauts magistrats ont rapporté :
- que les dispositions des articles 311-25 et 320 du Code civil « s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption »742 ;
- et qu'il résulte des articles 313 et 316, alinéa 1er du Code civil, « qu'en l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père »743.
Si certains considèrent que la Cour de cassation « marque politiquement son opposition à la filiation transidentitaire »744, elle ne fait qu'appliquer le droit français de la filiation lequel repose sur les fonctions procréatrices de chaque parent : l'homme féconde, la mère accouche. En l'état actuel, le parent transgenre ne peut établir sa parenté à l'égard de l'enfant conçu après le changement de sexe que selon les règles de filiation liées à son genre originaire745.
– La solution rendue par la cour d'appel de renvoi de Toulouse
746
. – Statuant sur renvoi, la cour d'appel de Toulouse a refusé d'appliquer la solution retenue par la Cour de cassation. Aux termes d'un arrêt en date du 9 février 2022, les magistrats ont tout d'abord considéré que les règles d'établissement de la filiation paternelle n'avaient pas lieu de s'appliquer747. Ils se sont ensuite prononcés sur l'établissement de la filiation maternelle laquelle ne pouvait pas s'établir à l'égard de l'enfant :
- par l'effet automatique de la loi dans la mesure où la femme transgenre n'avait pas accouché de l'enfant ;
- ni par la reconnaissance maternelle volontaire puisque celle-ci a été jugée « impossible par l'autorité de la chose jugée s'attachant à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020 »748 ;
- ni même par le biais de l'adoption en raison du refus opposé par la mère ayant accouché, lequel n'a pas été jugé abusif749.
Quant à la possession d'état, si elle est évoquée par les juges en indiquant que celle-ci est avérée à l'égard de l'enfant, ils n'en tirent aucune conséquence quant à l'établissement de la filiation.
La décision a été prise d'écarter les modes d'établissement de la filiation non contentieux pour établir judiciairement un deuxième lien de filiation maternelle entre la personne transgenre et son enfant, et ce, indépendamment des dispositions de l'article 320 du Code civil et de l'avis rendu par le Conseil constitutionnel en date du 17 mai 2013, lesquels s'opposent expressément à ce que deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors procédure d'adoption750. Pour fonder leur décision, les magistrats ont considéré :
- que l'article 320 du Code civil dont l'objectif est de prévenir les conflits de filiation a été adopté à une époque où les personnes transgenres n'étaient pas affranchies de toute exigence médicale et que « la filiation maternelle dont se prévaut [la mère transgenre] n'a nullement vocation à anéantir celle de [la mère qui a accouché] » et qu'elle « tend au contraire à la compléter par la prise en compte de la notion de mère biologique non gestatrice et ne crée donc pas de conflit de filiations »751 ;
- que la maternité gestatrice n'est plus exclusive en droit français puisque la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique a créé la reconnaissance conjointe anticipée pour établir un second lien de filiation maternelle à l'égard de celle n'ayant pas accouché lors de la réalisation d'une AMP par un couple de femmes et que la mise en place de ce double lien maternel en dehors de toute procédure d'adoption ne crée pas pour autant un trouble à l'ordre public ;
- que « l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée respectivement consacré par la convention de New York et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, rend impérative la nécessité de permettre à l'enfant né d'un couple dont l'un de ses membres est transgenre, de voir sa filiation doublement établie à l'égard de ses parents, dès lors qu'il n'est pas contrevenu aux principes fondamentaux du droit national »752.
– Une filiation maternelle fondée sur une action judiciaire inexistante en droit français. – En établissant judiciairement un deuxième lien de filiation maternelle à l'égard de la femme transgenre, la cour d'appel de Toulouse a fait « œuvre prétorienne, créant [ainsi] une nouvelle action judiciaire tendant à établir la filiation maternelle, vraisemblablement qualifiable d'action en reconnaissance ou déclaration judiciaire de maternité »753. En effet, il n'existe, en droit français, qu'une seule action judiciaire tendant à établir une filiation maternelle – l'action en recherche de maternité – laquelle est réservée uniquement à l'enfant qui est tenu de prouver qu'il est celui dont la mère prétendue a accouché754. En l'état, cette action judiciaire n'aurait eu aucune chance d'aboutir si elle avait été envisagée puisque la personne transgenre n'a pas accouché de l'enfant. Le ministère public n'ayant pas formé de pourvoi en cassation, cette solution s'impose au cas d'espèce. Mais il semble peu probable qu'une telle action judiciaire, non prévue par le Code civil, puisse prospérer à l'avenir sans une intervention législative. Par ailleurs, elle laisse à penser qu'il est désormais possible d'établir un double lien de filiation maternelle ou paternelle par voie judiciaire755. L'article 320 du Code civil qui pose le principe chronologique de la filiation ne s'appliquerait-il qu'aux modes d'établissement non contentieux de la filiation ? Une réponse négative s'impose.
L'homme transgenre qui a accouché
– Refus d'établissement de la filiation paternelle
756
. – Pour l'homme transgenre qui a conservé son utérus et qui a accouché de l'enfant, la filiation doit-elle être établie en application de l'article 311-25 du Code civil ou selon les modes d'établissement de la filiation paternelle757 ? En Allemagne, un homme transgenre a accouché d'un enfant et a demandé à être reconnu comme le père de celui-ci, ce que les autorités allemandes lui ont refusé. Saisie du litige, la Cour fédérale allemande a considéré qu'« à l'instar d'une large majorité des systèmes juridiques existant dans le monde, le droit allemand en matière de filiation reposait sur l'établissement d'un lien entre les fonctions procréatrices des parents et leur sexe, assignant le rôle de la personne qui accouche à une femme (la mère) et le rôle de la personne qui féconde à un homme (le père) »758. L'Allemagne ne permet donc pas à un homme transgenre qui a accouché de voir sa filiation paternelle établie. La Cour européenne des droits de l'homme a par ailleurs jugé, dans un arrêt du 4 avril 2023, qu'une telle réglementation ne portait pas atteinte aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, et ce en raison de la large marge d'appréciation concédée aux États membres du Conseil de l'Europe en ce domaine759. De la même manière, en France, seule une filiation maternelle pourrait être établie entre l'homme transgenre qui a accouché et l'enfant.
– Le droit de la filiation inadapté à la parenté transgenre. – Comme les propos précédents en attestent, le droit de la filiation est actuellement inadapté pour établir un lien de filiation entre l'enfant et la personne transgenre et confirme « l'absence de reconnaissance de la parenté » transgenre en France760. En permettant aux personnes transgenres de procréer après un changement de sexe à l'état civil, le législateur n'est pas allé au bout du raisonnement juridique. Or, il ne revient pas aux magistrats de tenter d'établir, tant bien que mal, une filiation à l'égard de l'enfant conçu après le changement de sexe de son parent à l'état civil. Cette tâche incombe au seul législateur qui doit poser un cadre juridique pour la mise en place d'un tel lien afin de concilier à la fois l'intérêt supérieur de l'enfant de voir ce lien établi et celui de la personne transgenre de voir sa nouvelle identité reconnue761. Ces nouvelles règles pourraient s'inscrire dans le cadre d'une réforme plus générale du droit de la filiation.
Reconnaissance et parenté transgenre
Si le notaire est sollicité pour rédiger une reconnaissance de paternité ou de maternité afin d'établir un lien de filiation à l'égard de l'enfant alors qu'un tel lien existe déjà vis-à-vis de l'autre parent dans la branche concernée, il devra, à notre sens, refuser de recevoir l'acte. En effet, l'article 320 du Code civil ne permet pas, en l'état actuel, d'établir un double lien de filiation paternelle ou maternelle en dehors de l'adoption ou de la reconnaissance conjointe anticipée. En outre, si une reconnaissance à titre conservatoire peut être admise762, elle ne saurait l'être ici dans la mesure où le lien de filiation préétabli n'a pas vocation à être contesté en justice. Par contre, si aucun lien de filiation n'est établi à l'égard de l'enfant, le notaire sera en mesure de recevoir la reconnaissance. Il avertira néanmoins son auteur des difficultés que l'autre parent rencontrera pour établir son propre lien de filiation.