La mise en œuvre de la réduction

La mise en œuvre de la réduction

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Plan. – Lorsque la liquidation successorale fait apparaître des libéralités excédant la quotité disponible et donc portant atteinte à la réserve, elles sont dites « réductibles ». Elles ne seront réduites que si la réduction est demandée et mise en œuvre. L'héritier réservataire lésé dispose alors d'une action spéciale, dite « action en réduction », pour obtenir la restitution de la part excédentaire de ces libéralités excessives afin de rétablir sa part de réserve. Avant d'envisager l'exercice de l'action en réduction (Sous-section II) et de préciser les modalités de la réduction (Sous-section III), nous rappellerons l'obligation spéciale d'information des héritiers réservataires quant à leur droit d'exercer l'action en réduction mise à la charge du notaire par la loi du 24 août 2021 (Sous-section I).

L'obligation d'information du notaire

– Consécration légale de l'obligation d'information. – La loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a créé une obligation spéciale d'information à la charge du notaire chargé du règlement de la succession en ajoutant un second alinéa à l'article 921 du Code civil. Ce texte dispose que : « Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d'un héritier sont susceptibles d'être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage ».
– Domaine de l'obligation d'information. – Cette obligation légale d'information s'applique aux successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021. Elle porte sur la possibilité de former une action en réduction. Bien que le texte ne le précise pas formellement, cette obligation d'information devrait s'étendre à l'action en retranchement prévue à l'article 1527 du Code civil ainsi qu'au droit de prélèvement compensatoire inséré à l'article 913, alinéa 3 du même code du fait de la même finalité de protection de la réserve de ces deux dispositions.
– Contenu de l'information. – L'information prévue à l'article 921 du Code civil est requise lorsque le notaire chargé du règlement de la succession constate une atteinte aux droits réservataires des descendants ou, à défaut, du conjoint survivant. Cela suppose qu'il ait procédé à la liquidation de la succession. Si tel est le cas, il devra alors informer « chaque héritier concerné et connu, individuellement (…) de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible ». Il ressort de ces termes que l'obligation d'information du notaire ne porte que sur le droit d'intenter l'action en réduction du fait de l'existence de libéralités excessives portant atteinte à la réserve et non sur le montant de l'atteinte à la réserve.
– Moment et formes de l'information. – L'information prévue à l'article 921 du Code civil doit être donnée « lors du règlement de la succession » et « le cas échéant, avant tout partage ». En pratique, le notaire devra s'en acquitter dès que possible. Bien qu'aucune forme particulière ne soit exigée par la loi, le notaire donnera cette information par écrit afin d'être en mesure d'apporter la preuve qu'il a bien respecté son obligation d'information. Pour des raisons probatoires, la lettre recommandée avec accusé de réception ou une remise contre récépissé s'imposera.

L'exercice de l'action en réduction

– Nécessité d'une demande. – La réduction, contrairement au rapport, n'opère pas de plein droit. Elle doit être demandée par les héritiers réservataires. En vertu de l'article 921 du Code civil, elle appartient aux héritiers réservataires acceptants ainsi qu'à leurs héritiers et leurs ayants cause à titre gratuit. L'action en réduction peut être également exercée par la voie oblique par les créanciers des réservataires (C. civ., art. 1341-1).
– Absence de formalisme. – La demande en réduction d'une libéralité excessive n'est soumise à aucun formalisme particulier. Toutefois, l'exercice de l'action en réduction étant facultatif, la volonté des héritiers réservataires de faire respecter leur réserve doit être non équivoque.
– Action individuelle divisible. – L'action en réduction ne doit pas nécessairement être exercée par tous les héritiers réservataires. Chacun d'eux dispose d'une action qui lui est propre, qu'il choisit ou non d'exercer. Chacun est donc libre d'y renoncer, que ce soit pour respecter la volonté du défunt ou pour toute autre raison personnelle. Si seulement certains héritiers réservataires demandent la réduction, la libéralité sera réduite uniquement dans la mesure nécessaire à parfaire leur réserve.
– La renonciation. Consentement à exécution. – La renonciation postérieure à l'ouverture de la succession à l'action en réduction n'est soumise à aucune forme particulière, contrairement à la renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR). Néanmoins, le notaire chargé du règlement de la succession constatera cette renonciation éclairée par un calcul préalable du montant de l'indemnité de réduction, et dressera un acte de consentement à exécution de la libéralité excessive.

Les modalités de la réduction

– Plan. – Après avoir rappelé les deux modalités de réduction (§ I), nous exposerons les effets de la réduction en valeur (§ II).

Deux modalités de réduction

– Réduction en nature ou en valeur. – La réduction d'une libéralité excessive peut s'opérer selon deux modalités différentes ; en nature ou en valeur. Lorsque la réduction a lieu en nature, le bien qui a fait l'objet de la libéralité réductible est restitué par le gratifié dans la masse à partager, en tout ou en partie selon que la réduction est totale ou partielle. Lorsque la réduction a lieu en valeur, le gratifié conserve le bien donné ou acquiert le bien légué mais verse une indemnité de réduction aux réservataires destinée à parfaire leur réserve. La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié les règles applicables en la matière.
– Dispositif antérieur au 1er janvier 2007. – Le Code civil de 1804 avait choisi le principe de la réduction en nature. L'héritier réservataire qui agissait en réduction revendiquait alors un droit sur tout ou partie des biens donnés ou légués. La loi no 71-523 du 3 juillet 1971 a ensuite adopté une solution mitigée faisant une place à la fois à la réduction en nature et à la réduction en valeur. Les modalités de la réduction dépendaient alors de deux critères : la qualité du gratifié (successible ou non successible), et la nature de la libéralité (donation ou legs).
– Principe de la réduction en valeur pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007. – La loi du 23 juin 2006 a généralisé le domaine de la réduction en valeur et simplifié par là même les règles de détermination des modalités de réduction. Ainsi, en vertu de l'article 924 du Code civil, la réduction en valeur s'applique désormais à toutes libéralités qui excédent le disponible quels que soient leur bénéficiaire, leur nature et « quel que soit cet excédent », y compris, donc, en présence d'une libéralité universelle. Dorénavant, les réservataires lésés n'ont plus de droit à une quote-part du corps héréditaire mais seulement à un droit de créance.
– Deux exceptions maintenues de réduction en nature. – La réduction en nature ne peut plus avoir lieu désormais que dans deux hypothèses : d'une part, si le gratifié la demande, et ce, à condition qu'il soit encore propriétaire du bien donné ou légué et qu'il n'en ait pas modifié l'état juridique (C. civ., art. 924-1, al. 1) et, d'autre part, en vertu de l'article 924-4 du Code civil, lorsque le bien donné ou légué a été aliéné sans le consentement du donateur et des réservataires et que le gratifié est insolvable. Dans ce cas, la réduction en nature peut être demandée à l'encontre du tiers détenteur par le biais de l'action en revendication.

Les effets de la réduction en valeur

– Plan. – En cas de réduction en valeur, le donataire ou légataire conserve la propriété des biens donnés, même en présence d'un legs universel, sans risque de créer une indivision avec les héritiers réservataires et donc de devoir partager avec eux, mais il doit leur verser une indemnité de réduction. Les héritiers réservataires se trouvent donc allotis de leur réserve au moyen d'une somme d'argent et non plus au moyen de biens successoraux. On verra, dans un premier temps, le montant de cette indemnité de réduction (A) puis les modalités de son règlement (B).

Montant de l'indemnité de réduction

– Dette de valeur. – En vertu de l'article 924-2 du Code civil, l'indemnité de réduction est calculée en valeur partage selon le même mécanisme de la dette de valeur que pour le rapport. Par conséquent, en cas de réduction totale d'une libéralité, l'indemnité de réduction s'élève à la valeur entière du bien donné ou légué au jour du partage. En cas de réduction partielle, c'est-à-dire lorsqu'une fraction seulement de la libéralité excède la quotité disponible, un calcul proportionnel doit être opéré. L'indemnité de réduction se calcule alors en deux temps : la portion réductible de la libéralité excessive est calculée en valeur décès à l'issue des opérations préalables de contrôle de l'intégrité de la réserve (I), laquelle est ensuite réévaluée en valeur partage pour déterminer le montant de l'indemnité de réduction (II).
Détermination de la portion et de la fraction réductibles au décès
Principe
– Produit en croix. – La portion réductible correspond au dépassement de quotité disponible après imputation des libéralités. À partir de cette portion réductible, on détermine la fraction réductible de la libéralité excessive comme suit :
Fraction réductible =Dépassement de la quotité disponible
Montant de la libéralité au décès
La réduction proportionnelle des legs
– Principe. – Selon l'article 926 du Code civil, la réduction des legs excédant la quotité disponible, ou le reliquat de cette quotité après imputation des donations, « sera faite au marc le franc, sans aucune distinction entre les legs universels et les legs particuliers ».
– Méthodologie en cas de réduction proportionnelle de legs particuliers. – On additionne le montant total légué, comme s'il s'agissait d'une seule libéralité, puis on le compare à la quotité disponible pour obtenir le montant du dépassement. Ce dépassement, rapporté au montant total légué permet de déterminer la fraction réductible des legs :
Dépassement de la quotité disponible
Montant total légué
On applique ensuite ce taux de réduction à chaque legs.
– Méthodologie en cas de réduction proportionnelle d'un legs à titre universel et de legs particuliers. – On procède comme en présence de plusieurs legs particuliers en faisant la somme de l'émolument de chacun des légataires pour déterminer la fraction réductible, et l'on applique cette fraction à l'émolument de chacun des légataires.
– Méthodologie en cas de réduction proportionnelle d'un legs universel et d'un legs à titre universel et/ou particulier. – Le légataire universel ayant vocation à recueillir toute la succession, son émolument théorique est l'intégralité de la succession. Cet émolument théorique se distingue de son émolument effectif qui s'entend déduction faite des legs à titre universel et legs particuliers, soit :
Émolument effectif = toute la succession déduction faite des legs à titre universel et legs particuliers = (x).
On applique ensuite le taux de réduction sur l'émolument effectif (x) du légataire universel comme sur l'émolument du légataire particulier ou à titre universel.
Montant de l'indemnité de réduction au partage
– Principe. – Afin d'obtenir le montant de l'indemnité de réduction au jour du partage, on applique la fraction réductible à la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage, soit :
Indemnité de réduction = fraction réductible (taux de réduction) × valeur au partage des biens donnés ou légués.
À noter que ce principe s'applique même pour les biens reçus par donation-partage. L'évaluation dérogatoire de l'article 1078 du Code civil ne concerne que les opérations préalables de détection de l'atteinte à la réserve, et non le calcul du montant de l'indemnité de réduction.
– Cas particulier. Aliénation du bien. – Si le gratifié a aliéné le bien avant le partage, l'indemnité de réduction se calcule d'après sa valeur à l'époque de l'aliénation ou, en cas de subrogation, d'après la valeur du bien subrogé à l'époque du partage, en faisant abstraction dans les deux cas des modifications imputables au gratifié intervenues sur le bien.
– En l'absence de partage. – En présence d'un legs universel réductible en valeur, la Cour de cassation a jugé que l'indemnité de réduction doit, en application de l'article 924-2 du Code civil, être évaluée à la date où elle est liquidée, à défaut de partage dans ce cas.

Modalités de règlement de l'indemnité de réduction

Moment du règlement
– Principe et octroi de délais. – L'indemnité de réduction est payable au moment du partage. Toutefois, des délais de paiement peuvent être accordés au débiteur gratifié, soit conventionnellement par les héritiers réservataires, soit par le disposant, soit également par le juge. Dans les deux derniers cas, l'article 924-3 du Code civil encadre les conditions dans lesquelles le crédit peut être octroyé. Le disposant ou le juge ne peuvent accorder un délai de paiement que dans l'hypothèse où la libéralité a pour objet un bien susceptible d'attribution préférentielle, lequel délai ne peut excéder dix ans à compter du décès, et l'indemnité de réduction est alors soumise au mécanisme d'indexation prévu pour les soultes (C. civ., art. 828). Enfin, le dernier alinéa dudit article prévoit qu'« en cas de vente de la totalité du bien donné ou légué, les sommes restant dues deviennent immédiatement exigibles ; en cas de ventes partielles, le produit de ces ventes est versé aux cohéritiers et imputé sur les sommes encore dues ».
Garantie de paiement
– Privilège spécial immobilier. – L'article 2402, 4o du Code civil prévoit un privilège spécial immobilier en garantie du règlement de l'indemnité de réduction lorsque la libéralité porte sur un immeuble.
Modes de paiement
– Règlement en moins prenant. – Dès lors que le gratifié débiteur a des droits dans le partage successoral, le règlement de l'indemnité de réduction se fera en moins prenant à hauteur de ses droits. Autrement dit il lui sera attribué, dans le partage, l'indemnité de réduction qu'il doit à la succession, laquelle s'éteindra à due concurrence de ses droits par confusion.
– Règlement en argent. – Lorsque le règlement en moins prenant n'est pas possible, soit totalement, parce que le gratifié débiteur n'a aucun droit dans la masse à partager ou qu'il n'y a pas de masse à partager en présence d'un legs universel, soit partiellement, lorsque ses droits dans celle-ci sont inférieurs au montant de l'indemnité de réduction, il devra alors régler son montant en argent pour la totalité ou pour le complément. On note que le défunt pourrait fournir les fonds nécessaires à ce paiement au moyen d'un contrat d'assurance-vie, par principe non comptabilisé dans la succession.