La migration des patrimoines vers les personnes morales

La migration des patrimoines vers les personnes morales

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– L'organisation des patrimoines sous forme de sociétés civiles. – Les sociétés civiles ont rencontré un immense succès ces dernières décennies. Il en résulte que de très nombreux actifs immobiliers sont détenus sous la forme de sociétés civiles immobilières. Pour se convaincre de cette circonstance, il suffit de penser aux innombrables acquisitions de logements réalisées par le biais de SCI (peut-être parfois par effet de mode), mais également aux SCI constituées de manière quasi automatique par des commerçants afin d'acquérir leur local professionnel. La constitution d'une SCI est bien souvent encouragée par la banque qui finance l'acquisition d'un immeuble professionnel car elle présente l'avantage de loger la dette bancaire dans une structure ad hoc. Plutôt que d'être noyée parmi toutes les dettes de l'exploitation, la dette bancaire bénéficie d'une quasi-exclusivité sur le patrimoine détenu par la société civile. Ces deux exemples expliquent le vif succès rencontré par les sociétés civiles ces dernières décennies.
Ce phénomène a produit un effet de vase communicant : la délocalisation des actifs vers les SCI a conduit à une diminution patrimoniale des personnes physiques, et par corollaire, à une diminution de leur capacité à répondre efficacement d'une dette. Il s'agit là sans doute de l'un des inconvénients majeurs du recours massif aux sociétés civiles immobilières. En effet, le créancier qui souhaitera obtenir un cautionnement pourra être confronté au fait que le patrimoine personnel des personnes désignées initialement pour se porter caution n'est pas suffisamment volumineux pour jouer son rôle de garantie, à l'inverse de celui qui est détenu par leur société. Le créancier n'aura alors pas d'autre choix que de demander à la société de se porter garante des engagements du débiteur, car seule cette société disposera d'une surface patrimoniale apte à répondre aux conséquences de la dette.
– Intérêts pour le créancier d'un cautionnement donné par une société civile. – Il n'en demeure pas moins que le cautionnement donné par une société civile peut présenter des avantages certains pour le créancier. Le premier d'entre eux réside dans le fait que le créancier échappe à la protection des cautions en cas de procédure collective du débiteur principal. Pour mémoire351, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le créancier ne peut pas poursuivre les cautions personnes physiques pendant la durée de la période d'observation352 et ne peut pas davantage les poursuivre pendant la durée du plan353. Pour bien se représenter l'état de mortification dans lequel se trouve le créancier, il suffit de se souvenir que la période d'observation dure douze mois en sauvegarde354 et dix-huit mois en redressement judiciaire355, et qu'un plan peut durer dix années, voire quinze années lorsque le débiteur est un agriculteur356. Peut-on imaginer une sûreté plus inefficace que le cautionnement d'une personne physique en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ?
L'intérêt du cautionnement donné par une personne morale est de permettre au créancier d'échapper à ce dispositif protecteur : le créancier pourra ainsi poursuivre la caution dès le premier incident de paiement et l'ouverture d'une procédure collective ne paralysera pas son droit de poursuite. Le second intérêt d'un cautionnement donné par une société civile réside dans le fait que le créancier se voit doté en réalité de deux sûretés : la première (le cautionnement) lui permet d'agir contre la société caution, et la seconde (la responsabilité indéfinie des associés) lui permet d'agir à titre subsidiaire contre les associés357, après avoir préalablement et vainement poursuivi la société358. La vanité des poursuites est une chose très aisée à établir en cas de liquidation judiciaire : dans un tel cas, il suffit au créancier de déclarer sa créance pour que la vanité de sa poursuite préalable soit établie359.