– Un seul cas d'application. – Lorsque le défunt laisse à sa survivance des enfants tous communs avec son conjoint survivant, ce dernier a alors la possibilité d'opter pour l'usufruit de la totalité de la succession. Hormis cette configuration familiale, le conjoint n'a qu'une vocation légale en pleine propriété, et ce même s'il vient en concours avec d'autres héritiers que les descendants. Depuis la loi du 3 décembre 2001, il ne s'agit plus d'un usufruit de quotité mais d'un usufruit universel. Après avoir déterminé l'assiette de cet usufruit (§ I), on évoquera les règles d'imputation des libéralités reçues du défunt (§ II).
La liquidation des droits légaux en usufruit
La liquidation des droits légaux en usufruit
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
L'assiette de l'usufruit légal
– Biens existants, sous déduction du passif. – En dépit de son apparente simplicité, la formule légale de « l'usufruit de la totalité des biens existants » énoncée à l'article 757 du Code civil recèle certaines zones d'ombre. En effet, aucun texte ne définit la masse de calcul de cet usufruit. Aussi la doctrine a-t-elle dû apporter des éclairages à ce propos570.
Ainsi, en premier lieu, l'usufruit du conjoint se calcule et s'exerce sur tous les biens existants, c'est-à-dire ceux dont le de cujus est resté propriétaire jusqu'à son décès, sous déduction des dettes et charges de la succession.
– Exclusion des biens soumis au droit de retour. – Aux biens existants nets, doivent être déduits les biens faisant l'objet d'un droit de retour conventionnel. Les biens retournent alors dans le patrimoine du donateur par l'effet résolutoire de la clause contenue dans l'acte de donation et sont donc exclus des biens existants. Quant aux droits de retour légaux, ils ne jouent jamais en présence de descendants et ne peuvent donc interférer avec l'usufruit légal du conjoint survivant.
– Controverse au sujet des legs. – On relève que les notions de biens existants et de legs tantôt se recouvrent, tantôt se distinguent selon les textes. Ainsi, l'article 922 du Code civil relatif à la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve inclut les biens légués dans les biens existants. En revanche, l'article 758-5 distingue les biens légués des biens existants dans la détermination de la masse de calcul des droits en propriété du conjoint survivant. La question s'est donc posée de savoir si le conjoint pouvait exercer son usufruit légal sur les biens légués. Selon la doctrine dominante571, il y a lieu de distinguer entre les legs hors part et ceux consentis en avancement de part. Le legs hors part successorale est exclu de l'assiette de l'usufruit légal du conjoint car il manifeste la volonté d'exclure celui-ci. Mais qu'en est-il si ce legs est réductible ? Le conjoint pourrait-il exercer son usufruit sur la fraction réductible de celui-ci dans la mesure où son usufruit s'exerce sur la réserve des descendants ? La doctrine majoritaire572 considère que cette fraction réductible n'entre pas dans l'assiette de l'usufruit légal du conjoint du fait que l'action en réduction n'a vocation qu'à protéger les héritiers réservataires et non pas à assurer le plein exercice de son droit d'usufruit. En revanche, le conjoint devrait pouvoir exercer son usufruit sur les legs rapportables, également appelés legs d'attribution, ainsi que sur les biens légués par testament-partage, car, sauf volonté contraire du de cujus, ceux-ci n'ont pas vocation à déroger à la dévolution légale mais seulement à répartir les biens du testateur.
Les règles d'imputation des libéralités sur l'usufruit légal
– Difficultés d'application de l'imputation. – De la généralité des termes employés dans l'article 758-6 du Code civil, il résulte que les libéralités reçues par le conjoint survivant viennent s'imputer sur ses droits légaux, que ceux-ci soient en pleine propriété comme étudié précédemment ou en usufruit comme dans notre présente hypothèse.
Comment alors procéder à l'imputation des libéralités sur l'usufruit légal ? Comme l'a souligné le professeur Bernard Vareille, « l'imputation vise à éviter qu'un même avantage ne figure deux fois au même lot »573. Il est indéniable, d'une part, que le fait d'imputer signifie qu'il convient de « soustraire » et, d'autre part, qu'une valeur ne peut être soustraite que d'une masse où elle a été prise en compte. Or aucun texte ne prévoit de masse de calcul pour cet usufruit légal avec une réunion fictive des libéralités. Deux analyses sont alors proposées par la doctrine.
– Première thèse. – La première analyse consiste à considérer que seules les libéralités incluses dans l'assiette de l'usufruit légal du conjoint font l'objet d'une imputation574. Il s'agira alors uniquement du cas des legs rapportables consentis au conjoint puisque seul ce type de libéralité fait partie de l'assiette de son usufruit. A contrario, toutes les autres libéralités dont aurait été gratifié le conjoint ne s'imputeraient pas sur ses droits légaux en usufruit. Selon cette thèse, l'usufruit réversible qu'il tient d'une donation du de cujus ne viendrait donc pas en diminution de l'usufruit légal. Cette solution, très avantageuse pour le conjoint, est critiquée par les auteurs de la seconde thèse qui constatent qu'elle permet alors à ce dernier de « cumuler sa vocation légale avec ses libéralités, à l'exclusion – rarissime – de legs d'attribution, et ce dans la limite du disponible spécial entre époux.
– Seconde thèse. – La seconde analyse retient qu'en vertu de l'adage Ubi lex non distinguit, on ne saurait distinguer là où l'article 758-6 du Code civil ne distingue pas. L'imputation doit avoir lieu en toutes hypothèses quelle que soit la nature de la libéralité reçue par le conjoint survivant du de cujus
575. Pour concilier alors cette exigence d'imputation systématique avec le mécanisme de l'imputation, il y a lieu de procéder en deux temps. Dans un premier temps, il faut inclure fictivement toutes les libéralités reçues du de cujus dans l'assiette de l'usufruit. Cette opération se justifie par le raisonnement de l'imputation, lequel postule concrètement, comme on l'a vu, de « soustraire », ce qui conduit nécessairement, au préalable, à compter la libéralité dans la masse de base576. Ainsi, aux biens existants, il y a lieu de réunir fictivement toutes les libéralités faites au conjoint en prenant leur valeur d'assiette en pleine propriété. Sur cette masse donc en pleine propriété, on détermine la valeur de l'usufruit théorique. À cette fin, et par souci de simplification, il pourrait être appliqué le barème de l'article 669 I du Code général des impôts.
Deux hypothèses sont alors envisageables :
- soit la libéralité dont a été gratifié le conjoint577 est en usufruit. Celle-ci s'imputera alors sur l'usufruit théorique ainsi déterminé, et s'il reste un reliquat d'usufruit théorique, il pourra s'exercer sur les biens existants. À défaut, le conjoint ne pourra pas bénéficier d'un usufruit légal sur les biens existants ;
- soit le conjoint a été gratifié en pleine propriété et, dans ce cas, il sera déduit de l'usufruit théorique la valeur en pleine propriété du bien donné ou légué. Puis, s'il existe un reliquat d'usufruit théorique, on procédera à une conversion inverse pour déterminer l'assiette sur laquelle l'usufruit légal pourra s'exercer sur les biens existants.
Il résulte de cette seconde thèse que l'usufruit légal n'est pas systématiquement universel. Dans certains cas, compte tenu des imputations, il ne pourra plus s'exercer sur l'ensemble des biens existants. Pour écarter ce risque, la solution consistera à conférer par testament au conjoint survivant un usufruit conventionnel sur l'universalité de la succession.