– Vocation à une quotité d'un quart. – En présence de descendants du défunt, le conjoint est appelé à recueillir la propriété du quart des biens de la succession, que les enfants ne soient pas tous communs aux deux époux ou bien qu'ils le soient, et que le conjoint ait choisi cette branche de l'option prévue à l'article 757 du Code civil.
La liquidation des droits en propriété
La liquidation des droits en propriété
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Modalités spéciales de calcul. – Les modalités de calcul des droits ab intestat en pleine propriété du conjoint survivant sont édictées à l'article 758-5 du Code civil559. Ces mêmes règles s'appliquent dès lors qu'il a vocation à ne recueillir qu'une quotité de la succession, qu'il soit en concours avec des descendants ou bien en concours avec les père et mère du défunt ou l'un d'eux seulement. On note que la fraction arithmétique du quart en présence de descendants ne s'applique pas aux seuls biens existants, c'est-à-dire aux biens dont le de cujus est resté propriétaire jusqu'à son décès, à moins que le défunt n'ait consenti aucune libéralité, ni entre vifs, ni par décès. Dès lors que le défunt a consenti des libéralités, le notaire doit impérativement calculer ce à quoi le conjoint survivant peut prétendre en propriété au titre de ses droits légaux en appliquant la méthode liquidative prévue à l'article 758-5 du Code civil.
– Dispense d'application. – Il existe deux cas dans lesquels il n'est pas utile de procéder à la liquidation spéciale prévue à l'article 758-5 du Code civil. D'une part, lorsque le défunt n'a consenti aucune libéralité, ni de son vivant, ni à cause de mort. Les droits en propriété du conjoint survivant correspondent alors au quart des biens existants. D'autre part, et à l'inverse, lorsque les libéralités consenties par le défunt épuisent l'entière quotité disponible. Dans ce cas, le conjoint ne peut prétendre à aucun droit en pleine propriété au titre de la dévolution légale. Il pourra toutefois toujours bénéficier du droit temporaire au logement et, le cas échéant, du droit viager au logement s'il n'en a pas été privé par testament authentique.
– Présentation de la méthode liquidative. – Cette méthode reprend celle instaurée par la loi du 9 mars 1891 qui instaura le droit légal en usufruit du quart de la succession au profit du conjoint, et applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2001. Les droits du conjoint sont déterminés par comparaison entre deux données : les droits théoriques, calculés à partir d'une masse de calcul, et la masse d'exercice.
La méthode liquidative s'articule autour de trois opérations successives. La première opération consiste à déterminer la masse de calcul servant à calculer les droits théoriques du conjoint (§ I), la deuxième opération à déterminer la masse d'exercice (§ II). Ces deux opérations permettent de déterminer le montant des droits légaux du conjoint survivant (§ III). S'ajoute une troisième opération qui consiste à imputer, c'est-à-dire à déduire toutes les libéralités reçues du défunt pour déterminer les droits effectifs du conjoint survivant (§ IV).
La masse de calcul
– Plan. – Cette masse de calcul sert à déterminer l'assiette maximale des droits auxquels le conjoint peut prétendre. Nous étudierons la composition de cette masse de calcul (A) avant de calculer les droits théoriques du conjoint survivant (B).
Composition de la masse de calcul
– Biens existants après déduction du passif et des legs. – Selon l'alinéa 1 de l'article 758-5 du Code civil, cette masse comprend tous les biens existants au décès dont il y a lieu de déduire, d'une part, les dettes et charges de succession, même si le texte ne le prévoit pas expressément et, d'autre part les biens légués par le défunt. Sur ce dernier point, on note que cette masse de calcul se différencie de celle de l'article 922 du Code civil qui inclut les legs dans les biens existants en vue de déterminer la quotité disponible et la réserve héréditaire.
– Réunion fictive des donations rapportables et des legs rapportables. – À cette masse nette doit être réunie fictivement, d'une part, la valeur des donations rapportables consenties par le défunt. Il s'agit là d'une autre distinction avec la masse de calcul de l'article 922 du Code civil, qui prévoit quant à elle la réunion fictive de toutes les donations, qu'elles soient rapportables ou non rapportables. Cette réunion fictive s'effectuera en appliquant le principe de la dette de valeur comme pour la masse de l'article 922, c'est-à-dire en retenant la valeur du bien donné au jour du décès mais dans son état au jour de la donation. Doivent également être réunis fictivement, d'autre part, les biens légués mais uniquement en avancement de part successorale, autrement dit les legs d'attributions.
– Inclusion de l'ensemble des libéralités consenties au conjoint survivant. – Bien que non prévu par le texte, il convient d'y inclure également les libéralités faites au conjoint survivant. Comme on l'a vu, la loi de 23 juin 2006 a réintroduit dans le Code civil la règle du non-cumul des droits légaux et conventionnels du conjoint survivant et a rétabli, sous une nouvelle formulation à l'article 758-6 du Code civil, l'imputation des libéralités conjugales sur les droits légaux du conjoint. Imputer signifiant soustraire, la doctrine560 a fait remarquer, même si le texte ne l'évoque pas, que l'imputation implique en toute logique que les libéralités reçues par le conjoint soient incluses en amont dans la masse de calcul. En effet, il ne serait pas cohérent de soustraire une libéralité d'une masse où sa valeur ne figurerait pas. Par ailleurs le texte prévoyant, sans distinction, que toutes les libéralités faites au conjoint sont déductibles de ses droits légaux, qu'elles soient entre vifs ou à cause de mort, rapportables ou préciputaires, il y a donc lieu également de toutes les inclure sans distinction dans la masse de calcul. La Cour de cassation a confirmé ce raisonnement dans deux arrêts récents du 12 janvier 2022561, en utilisant cependant les termes malheureux de « rapport spécial » dû par le conjoint de ses libéralités conjugales pour exprimer cette réunion. La doctrine n'a pas manqué de souligner que ce « rapport », même si la Haute juridiction le qualifie de « spécial », ne peut se confondre avec le rapport des donations en avancement de part successorale à la masse à partager prévu à l'article 843, alinéa 1 du Code civil, qui a pour finalité de rétablir l'égalité entre les héritiers ab intestat.
– Controverse au sujet des donations-partages. – En ce qui concerne les biens compris dans une donation-partage, la doctrine est partagée sur leur inclusion ou non dans cette masse de calcul et la jurisprudence insuffisante pour dégager une solution claire. Selon les dispositions prévues à l'article 758-5 du Code civil, la masse de calcul est formée de tous les biens existants au décès, déduction faire du passif, auxquels sont réunies fictivement toutes les libéralités consenties « sans dispense de rapport ». Rappelons que les lots reçus par donation-partage ne sont pas rapportables par nature, même s'ils constituent des avances de part successorale (sauf clause de préciput).
Une partie de la doctrine562 relève que ce n'est pas tant le caractère rapportable de la donation qui doit être pris en compte que celui d'avance sur part successorale, considérant qu'« au nom de l'esprit de la loi, qui est de promouvoir la vocation successorale du conjoint survivant » (…) « en bonne logique, la donation-partage devrait faire partie de la masse de calcul de la vocation ab intestat en propriété du conjoint survivant »563. Ces auteurs soulignent que « l'article 758-5 ne vise que les « dispenses volontaires » de rapport et non les « exclusions légales » »564. Pour une autre partie de la doctrine565, « les biens qu'un héritier recueille par donation-partage diminuent assurément la vocation héréditaire des autres, puisqu'un héritier sous-alloti ou même carrément omis ne peut rien réclamer à ses cohéritiers, sauf, le cas échéant, ce qui est nécessaire pour former ou parfaire sa réserve. Inclure les biens ayant fait l'objet d'une donation-partage dans la masse de calcul des droits du conjoint survivant reviendrait à rendre la libéralité rapportable à son égard »566.
Un seul jugement du tribunal de grande instance de Paris s'est prononcé sur cette question et a tranché en faveur de l'exclusion de la donation-partage de cette masse de calcul. Il nous semble effectivement que cette interprétation doive être privilégiée, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, quant à la lettre du texte, le législateur a utilisé la terminologie et le critère du rapport et non ceux de l'avancement de part successorale. Donc par définition, la donation-partage, qui n'est pas rapportable, n'a pas lieu d'être incluse dans la masse de calcul.
Ensuite, le contexte de son application milite également en ce sens. En effet, la liquidation des droits légaux en pleine propriété se pose particulièrement dans les familles recomposées et il est rarissime dans la pratique qu'un conjoint survivant disposant de l'option légale en présence d'enfants tous communs opte pour ce quart en pleine propriété. Or les familles recomposées présentent un fort particularisme. Le lien de mariage ou d'union entre le défunt et son conjoint survivant peut être long comme très court. L'entente entre le conjoint survivant et les enfants d'une première union est souvent moins harmonieuse que dans une famille « traditionnelle », et l'opposition d'intérêts entre eux souvent plus grande puisque la vocation en pleine propriété du conjoint survivant fera sortir définitivement de la famille du défunt une partie de ses biens. Outre le cadre d'une famille recomposée, on se trouve également dans un contexte où le défunt n'a pas ou peu gratifié son conjoint survivant. Difficile en présence de tant de variables de se convaincre de l'existence d'une volonté présumée du défunt. Dans ce contexte particulier, la volonté du défunt doit primer, elle ne peut être présumée en faveur de tel ou tel héritier.
Enfin, la finalité de la donation-partage postule également son exclusion de la masse de calcul des droits en pleine propriété du conjoint. En effet, cette institution est souvent présentée comme un règlement anticipé de succession, un formidable outil de simplification et de pacification, protégée des opérations comptables qu'entraîne la liquidation de la succession. Or l'article 1078 du Code civil ne prévoit le gel des valeurs des biens compris dans une donation-partage que « pour l'imputation et le calcul de la réserve », c'est-à-dire pour les opérations préalables à la réduction. Il n'y a pas lieu de considérer que le gel des valeurs s'applique dans le cadre de la liquidation des droits légaux du conjoint survivant. Autrement dit, pour cette liquidation, les biens compris dans la donation-partage devraient être réévalués comme toute autre donation rapportable. Le notaire liquidateur devra alors faire preuve d'une très grande pédagogie pour expliquer aux enfants que la prise de valeur de leurs lots depuis l'acte de donation-partage doit être retenue pour le calcul des droits légaux de leur belle-mère alors qu'elle n'est pas prise en compte pour eux et donc qu'il est nécessaire de réévaluer tous les biens compris dans celle-ci !
Calcul des droits théoriques
– Application du
quantum
d'un quart. – Une fois cette masse de calcul établie, il convient d'y appliquer le quantum de vocation successorale dont bénéficie le conjoint survivant, soit un quart en présence de descendant, pour déterminer ses « droits théoriques ». À ce stade des opérations, en effet, le résultat n'est encore que théorique, en ce sens que le chiffre déterminé n'exprime qu'un maximum, une limite.
– Comparaison avec une masse d'exercice. – Les droits théoriques ainsi obtenus doivent être comparés à une autre masse composée des seuls biens existants sur lesquels les droits du conjoint pourront effectivement et exclusivement s'exercer. Il s'agit de la masse d'exercice.
La masse d'exercice
– Assiette effective des droits du conjoint en pleine propriété. – L'établissement de la masse d'exercice permet de déterminer les biens sur lesquels vont effectivement s'exercer les droits du conjoint. Le second temps des opérations consiste donc à déterminer la composition de la masse d'exercice.
– Composition = Masse de calcul diminuée. – Selon l'alinéa 2 de l'article 758-5 du Code civil, la masse d'exercice est déterminée à partir de la masse de calcul de laquelle sont déduits la réserve, les libéralités rapportables et les biens soumis à un droit de retour.
– De la réserve globale. – Le montant de la réserve globale héréditaire doit être déduit de la masse de calcul précédemment déterminée. L'assiette des droits du conjoint se trouve par conséquent ramenée à la quotité disponible. Il suffit donc que le prémourant ait disposé de la quotité disponible en faveur d'autres que lui pour que celui-ci ne puisse prétendre à rien au titre de la dévolution légale.
– Des libéralités rapportables. – Sont également déduits les donations et les legs consentis en avancement de part successorale mais uniquement pour la fraction s'imputant subsidiairement sur la quotité disponible, car la partie de ces donations s'imputant sur la réserve est déjà comprise dans la réserve globale héréditaire précédemment déduite.
– Des droits de retour. – Les biens faisant l'objet d'un droit de retour, qu'il soit conventionnel ou légal, sont également exclus de la masse de calcul. Dans le premier cas, il résulte d'une clause dans l'acte de donation prévoyant sa résolution en cas de prédécès du donataire, et éventuellement de sa descendance, avant le donateur. Les biens donnés retournent alors automatiquement dans le patrimoine du disposant par l'effet résolutoire de la clause, comme si la donation n'avait jamais eu lieu. S'agissant des droits de retour légaux, il en existe trois. D'une part, le droit de retour au bénéfice des frères et sœurs, prévu à l'article 757-3 du Code civil et issu de la loi du 3 décembre 2001, lorsqu'à défaut de descendants du défunt, ils sont en concours avec son conjoint. D'autre part, celui prévu à l'article 738-2 du Code civil et issu de la loi du 23 juin 2006, au profit des père et mère du défunt lorsque celui-ci décède sans postérité en laissant son conjoint héritier. Quant au troisième cas, celui au bénéfice des ascendants de l'adopté simple mort sans postérité, il ne joue plus en présence du conjoint survivant depuis que la loi du 23 juin 2006 a modifié l'article 368-1 du Code civil.
La détermination des droits réels du conjoint survivant
– Comparaison entre les droits théoriques et la masse d'exercice. – Les droits réels du conjoint survivant en propriété correspondent à la plus faible des deux sommes entre ses droits théoriques et la valeur de la masse d'exercice. Ce montant va permettre de déterminer une fraction à appliquer sur la valeur totale des biens existants à la date du décès.
– Conséquences de ces modalités de calcul. – On s'aperçoit que, grâce à la dualité des masses établies précédemment, le conjoint survivant est susceptible de recueillir plus que le quart de l'actif existant. Il peut même résulter de ces calculs que le conjoint survivant recueille tous les biens existants. Cette hypothèse peut se retrouver notamment lorsque les biens transmis par donation-partage, recouvrant l'essentiel du patrimoine du défunt, ont été intégrés dans la masse de calcul. Dans ce cas, et si les biens existants comprennent des biens immobiliers, il y aura lieu d'en tenir compte dans la rédaction de l'attestation de propriété immobilière. À l'inverse, le conjoint survivant peut finalement n'avoir aucun droit en propriété et être exhérédé, notamment lorsque le défunt a consenti un legs universel au profit d'une personne autre que lui, puisqu'il n'a pas la qualité de réservataire lorsqu'il est en concours avec des descendants.
– Réévaluation au partage. – Dans le silence des textes, la majorité des auteurs estiment que la masse de calcul et la masse d'exercice doivent être évaluées à la date du décès. Les droits du conjoint ainsi déterminés en valeur au décès sont ensuite réévalués en valeur au partage. Il y a lieu pour cela de reporter aux biens existants estimés à la date du partage la fraction précédemment obtenue de quotité des droits du conjoint sur les biens existants établie à la date du décès.
L'imputation des libéralités entre époux sur les droits légaux en pleine propriété
– Imputation des libéralités en pleine propriété. – Le troisième temps des opérations liquidatives consiste à imputer les libéralités que le conjoint a reçues du défunt. Lorsque ces libéralités sont en pleine propriété, l'imputation se fait aisément sur les droits légaux qui sont eux-mêmes en pleine propriété. Il suffit de déduire la valeur des biens donnés ou légués des droits légaux réels tels que précédemment déterminés.
– Imputation des libéralités en usufruit. – La règle d'imputation est plus délicate lorsque la libéralité a été consentie en usufruit et qu'elle doit s'imputer sur les droits légaux en pleine propriété, donc de nature différente. Ce sera le plus souvent le cas dans les familles recomposées, lorsque le conjoint, héritier légal d'un quart en pleine propriété, est gratifié d'une libéralité en usufruit. À défaut de texte, comment procéder alors à l'imputation ? La Cour de cassation a récemment répondu à cette question567 en consacrant la méthode dite de la « conversion » de l'usufruit, qui était d'ailleurs d'usage avant la réforme de 2001568. L'usufruit donné ou légué sera alors converti en pleine propriété, puis sa valeur ainsi capitalisée sera imputée sur les droits légaux en pleine propriété du conjoint. Il pourra être utilisé le barème d'évaluation de l'usufruit prévu à l'article 669 du Code général des impôts, mais rappelons que celui-ci ne s'impose que pour la détermination des droits des héritiers sur le plan fiscal, donc uniquement dans la déclaration de succession. Une évaluation économique de l'usufruit pourra être retenue par les parties dans le partage civil.
– Résultat de l'imputation. – Trois situations peuvent alors se présenter. Soit les libéralités faites au conjoint sont inférieures à ses droits légaux, il a droit dans ce cas au complément dans la limite de ses droits légaux. Soit la libéralité est égale à ses droits légaux, auquel cas il ne reçoit que sa libéralité. Soit les libéralités qui lui ont été consenties excèdent ses droits légaux. Dans cette hypothèse, non prévue par le texte, la Cour de cassation a précisé qu'il pourra en conserver l'excédent sans être tenu au versement d'une indemnité, mais dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux prévue à l'article 1094-1 du Code civil569.