La délégation-partage

La délégation-partage

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Un partage de l'autorité parentale. – Dans le cadre de la délégation-partage, le ou les parents souhaitent être assistés dans l'exercice de l'autorité parentale sans pour autant le perdre. Le terme de « délégation » est mal employé à l'article 377-1, alinéa 2, du Code civil puisque le pouvoir relatif à l'autorité parentale n'est pas réellement délégué. En effet, si le juge autorise le partage de cet exercice, il n'en demeure pas moins que les parents continuent à l'exercer ensemble. Par ailleurs, si la délégation est demandée uniquement par l'un des deux parents – elle suppose alors nécessairement l'accord de l'autre s'ils exercent, en commun, l'autorité parentale1509 –, seul le parent demandeur s'engage envers le délégataire, la délégation-partage n'ayant aucune incidence sur l'autorité parentale de l'autre.
– Un besoin d'éducation de l'enfant. – Pour la délégation-partage, le législateur impose que celle-ci ait pour finalité « les besoins d'éducation de l'enfant ». Ne sont pas visés expressément les actes relatifs à la surveillance de l'enfant, ni même ceux relatifs à sa protection. En conséquence, le ou les délégants partagent uniquement les fonctions éducatives avec le délégataire. Par ailleurs, « la présomption de l'article 372-2 est applicable à l'égard des actes accomplis par le ou les délégants et le délégataire »1510. En conséquence, chacun des délégants et délégataire est réputé agir avec l'accord de l'autre pour tous les actes usuels de l'autorité parentale.
– Un outil peu utilisé pour le beau-parent. – La délégation-partage a été conçue initialement par la loi du 4 mars 2002 pour organiser l'autorité parentale au sein des familles recomposées. En effet, si un beau-parent peut être autorisé, de manière ponctuelle, à accomplir un acte usuel de l'autorité parentale, la délégation-partage est l'outil prévu par la loi lorsqu'il souhaite les réaliser au quotidien. Elle permet « aux beaux-parents de s'investir dans la vie quotidienne ou l'éducation de l'enfant sans que les parents renoncent pour autant à l'exercice de l'autorité parentale »1511. Cependant, elle est peu utilisée en pratique dans les familles recomposées, car elle repose, a minima, sur l'accord des deux parents de l'enfant1512, ce qui nécessite une bonne entente entre eux malgré la séparation.
– Un outil « détourné » par les couples de personnes de même sexe. – En revanche, ce dispositif a été très utilisé par les couples de personnes de même sexe, à l'époque où l'adoption ne leur était pas ouverte, pour « officialiser », d'une certaine manière, la situation du parent d'intention à l'égard de l'enfant. Même si la délégation-partage n'emporte nullement la création d'un lien de filiation, elle a permis la reconnaissance des familles homoparentales avant la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. En effet, les juges du fond ont admis le partage de l'autorité parentale dans les couples de personnes de même sexe dans une large mesure1513, de même que la Cour de cassation aux termes d'un arrêt rendu, pour la première fois, le 24 février 20061514. Tout en consacrant l'homoparentalité, les hauts magistrats ont encadré la délégation-partage de l'autorité parentale, dans les couples de même sexe, en imposant la réunion de quatre conditions cumulatives :
  • le parent délégant doit être seul titulaire de l'autorité parentale1515 ;
  • le délégant et le délégataire doivent vivre une union stable et continue1516 ;
  • la délégation doit être justifiée par l'existence de circonstances particulières ;
  • la délégation doit être conforme à l'intérêt de l'enfant.
Or, par une décision du 8 juillet 2010, la Cour de cassation a refusé de prononcer une délégation-partage dite « croisée » de l'autorité parentale, considérant que « si l'article 377, alinéa 1er, du Code civil ne s'oppose pas à ce qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale en délègue tout ou partie de l'exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, c'est à la condition que les circonstances l'exigent et que la mesure soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant »1517. Les hauts magistrats ont invité les juges du fond à apprécier, de manière beaucoup plus rigoureuse, les conditions liées à l'exigence de circonstances particulières. En outre, il doit être démontré que la délégation de l'autorité parentale est demandée non pas dans l'intérêt des parents, mais bel et bien dans celui de l'enfant1518. Si cet arrêt n'a pas constitué un revirement de jurisprudence, il aurait dû porter « un coup d'arrêt à la délégation-partage de l'exercice de l'autorité parentale » dans les couples de personnes de même sexe1519. Néanmoins, quelques juridictions du fond ont résisté, faisant « fi de la qualification des circonstances particulières, ne justifiant la mesure qu'à travers l'intérêt des enfants »1520. Ce dispositif reste cependant très fragile et soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond.
– Un outil opportun pour les familles « plurielles » ? – En ouvrant la parenté aux couples de personnes de même sexe, on aurait pu imaginer que « la délégation-partage d'autorité parentale (…), palliatif mobilisé par les familles homoparentales et leurs conseils pour créer un cadre juridique minimal, [serait] voué à rejoindre progressivement l'histoire du droit de la famille »1521. Or, il n'en est rien puisque ce procédé est désormais sollicité pour organiser les familles plurielles et protéger les enfants au sein de celles-ci. Dans le cadre d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en date du 22 février 20131522, les juges du fond ont prononcé une délégation-partage de l'exercice de l'autorité parentale, sollicitée par les deux parents d'un enfant, lequel a été conçu dans le cadre d'un projet parental à trois. De même, deux autres jugements rendus par le tribunal judiciaire de Paris, le 7 janvier 2022, reflètent ces nouvelles configurations familiales1523. Une femme en couple avec une autre femme a conçu un enfant avec un homme, lui-même en couple avec un autre homme. L'autre femme a également conçu un enfant avec l'autre homme. Chaque membre des deux couples se trouve finalement être parent d'un enfant. Une convention organisant les modalités d'exercice de l'autorité parentale a été conclue par les parents de chaque enfant sur le fondement de l'article 373-2-7 du Code civil. Puis, ils ont sollicité une délégation-partage de l'exercice de l'autorité parentale au profit de leur conjoint afin qu'ils puissent s'investir, de manière officielle, dans l'éducation quotidienne des enfants, au même titre qu'eux, considérant qu'ils avaient, tous les quatre, construit ensemble et progressivement un projet de coparentalité. Le juge aux affaires familiales de Paris y a fait droit en évoquant simplement que « les circonstances précitées exigent qu'il soit fait droit à la demande de délégation-partage de l'autorité parentale dès lors que celle-ci correspond à la pratique actuelle des quatre adultes »1524. D'une certaine manière, est consacrée « une famille à quatre parents »1525. Si la jurisprudence évolue en prenant en considération les mutations de la société, des auteurs relèvent que de telles configurations familiales peuvent accroître les conflits familiaux entre tous les adultes responsables de l'enfant et conduire les juges à des situations inextricables1526. Par ailleurs, si la délégation-partage permet d'organiser l'exercice de l'autorité parentale pendant la minorité de l'enfant, elle ne répond pas à toutes les problématiques. Pour l'enfant, deux des quatre adultes qui gravitent dans son entourage ne sont pas ses parents légaux. Seul l'un d'entre eux pourra l'adopter, en la forme simple et à sa majorité, s'il existe une volonté de créer un lien de filiation1527. Par ailleurs, s'ils souhaitent transmettre leur patrimoine à cet enfant, ces adultes seront considérés comme de parfaits étrangers à l'égard de l'enfant avec toutes les incidences civiles et fiscales1528.

Le mandat d'éducation quotidienne

Lors du 99e Congrès des notaires, la première commission a émis le vœu que « les deux parents puissent conférer à un tiers le pouvoir d'accomplir, concurremment avec chacun d'entre eux, des actes usuels de la vie courante de l'enfant »1529. Ce pouvoir devrait pouvoir être établi en la forme authentique permettant ainsi qu'il soit immédiatement exécutoire sans validation judiciaire. Quant au 113e Congrès des notaires, il a rappelé la proposition formulée dans le rapport Filiation, origines, parentalité consistant en la création d'un mandat d'éducation quotidienne qui permettrait de prévoir, de façon plus générale, que les actes usuels de l'autorité parentale puissent être exercés par le beau-parent1530. Il pourrait être étendu au profit du parent d'intention ainsi que dans les familles plurielles. Ce mandat pourrait être rédigé par acte sous seing privé – sans aucune homologation judiciaire – ou par acte notarié. Les auteurs du 113e Congrès ont proposé que « le mandat d'éducation quotidienne puisse avoir une portée distincte selon qu'il est établi sous seing privé ou par acte authentique », de la même façon que le mandat de protection future. Le « mandat établi sous seing privé serait limité aux actes usuels de l'autorité parentale » alors que celui réalisé par acte notarié « pourrait étendre la liste des actes pouvant être effectués par le beau-parent »1531.