La créativité notariale au service des partenaires

La créativité notariale au service des partenaires

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Un devoir notarial d'information. – Les étapes de vie (achat, vente, succession des parents, donation, constitution de société, transmission de patrimoine, conseils en gestion de patrimoine, conseils en droit international, en création et transmission d'entreprise) sont l'occasion pour le notaire d'éclairer ses clients. Néanmoins, même informés, certains partenaires ne souhaitent pas se marier, par expérience d'un divorce douloureux, par conviction, par crainte de l'engagement, par refus de l'institution, par volonté de conserver une forme de liberté, etc. Comment accompagner ces couples et assurer alors au partenaire survivant une protection efficace ? Outre le recours classique à l'assurance-vie, mais aussi à certaines techniques contractuelles (convention d'indivision, tontine, etc.), il existe notamment un certain nombre de techniques successorales pour les partenaires qui ont acquis ensemble leur logement et qui entendent légitimement que le survivant d'entre eux puisse y loger et en profiter sa vie durant. Dans cette optique, les legs d'usufruit viager portant sur l'universalité du patrimoine ou sur le domicile sont très fréquents (Sous-section I). La constitution d'un droit d'usage et d'habitation est également une voie usuelle (Sous-section II).

Le legs en usufruit

– Legs en usufruit en présence d'ascendants héritiers. – Les ascendants ne sont pas réservataires. Si le legs consenti au partenaire ne porte pas sur un bien recueilli par donation, en l'absence de descendants et en présence des père et mère, il s'exécute sans réserve ni difficultés. Les héritiers du sang recueillent le reste. Le legs en usufruit de toute la succession ne s'analyse pas comme une libéralité universelle, mais comme un legs à titre universel, qui nécessite une délivrance de legs par les héritiers légaux, ou le légataire universel.
– Legs en usufruit et bien de famille. – La question est bien plus délicate si le bien légué en usufruit au partenaire est un bien de famille. Deux hypothèses rendent incertaine l'efficacité de la libéralité : le cas du droit de retour, tout d'abord, et l'application d'une disposition résiduelle, ensuite. S'agissant du droit de retour, il convient de distinguer le droit de retour légal et le droit conventionnel. Si le droit de retour légal des frères et sœurs est inopérant en présence d'une libéralité, ce n'est pas le cas du droit de retour des père et mère qui s'applique de manière impérative et du droit conventionnel qui s'impose pareillement et cumulativement. L'application du legs est donc soumise à la bonne volonté ante mortem (renonciation anticipée au droit de retour conventionnel) et post mortem (renonciation au droit de retour légal) des père et mère. Cette première difficulté est double. Elle repose la question, d'une part, de l'impossibilité de renoncer après décès au droit de retour conventionnel (sauf si le droit est optionnel, option dont la validité est discutée) et, d'autre part, de l'impossibilité de renoncer par avance au droit de retour légal impératif conformément à la prohibition des pactes sur successions futures. Il n'existe pas de solution pour remédier en amont à ces difficultés. Parce que les biens ne proviennent pas du patrimoine du de cujus, il ne lui est pas offert la liberté d'en disposer au profit de son partenaire, sans le consentement réitéré des parents.
La clause résiduelle d'une donation ou d'une disposition testamentaire a des effets similaires, elle prive d'effet le legs en usufruit. Le bien se retrouve dès le décès dans le patrimoine des seconds gratifiés, faisant échec au testament du premier gratifié. Mais la difficulté peut être résolue plus simplement, en amont au sein même de la libéralité originelle, si l'auteur le souhaite. Il serait envisageable de prévoir que la clause résiduelle ne fasse pas obstacle au legs en usufruit au profit du conjoint, du partenaire, ou du concubin notoire du premier gratifié.
– Legs en usufruit et frère et sœur. – Les frère et sœur et leurs descendants ne sont pas réservataires. Le droit de retour légal des frère et sœur ne s'applique pas en présence d'un partenaire ou concubin gratifié. Cela peut paraître une incohérence du droit de retour de l'article 757-3 du Code civil, qui semble à première vue mieux protéger les frère et sœur en présence d'un conjoint que d'un partenaire, mais en réalité, il ne peut en être autrement. L'article 757-3 est supplétif de volonté et ne s'applique qu'en l'absence de testament contraire. Or, le partenaire n'est pas un successible. S'il est ayant droit, c'est qu'il est légataire. Il est logique que la volonté du testateur s'applique, comme elle s'applique pour le conjoint et écarte le droit de retour. Le legs en usufruit consenti au partenaire s'exécute donc dans cette hypothèse sans difficulté, mais nécessite la formalité de délivrance.
– Legs en usufruit et descendants. – Les descendants sont réservataires. L'article 917 du Code civil offre une option individuelle aux héritiers réservataires, qui peuvent soit laisser la libéralité s'exécuter purement et simplement, soit abandonner la propriété de la quotité disponible. L'article 917 n'est pas d'ordre public et le disposant peut choisir de l'écarter. L'option réservée aux réservataires est soumise aux conditions suivantes : tout d'abord, la libéralité doit être d'un usufruit ou d'une rente viagère ; ensuite, le défunt ne doit avoir consenti aucune autre libéralité, fût-ce un simple don manuel ou un legs de somme d'argent et, enfin, l'article 917 ne doit pas avoir été écarté.
On peut regretter ces conditions jurisprudentielles restrictives dans la mesure où les raisons qui fondent le texte devraient permettre une application plus étendue. Le 102e Congrès des notaires de France et le rapport sur la réserve héréditaire ont relevé ces incohérences en soulignant l'intérêt de l'article 917 : « cette disposition, à la fois protectrice des réservataires et des légataires, a pleinement sa raison d'être dans notre législation ».
Il convient de souligner que l'excès est apprécié selon la méthode de l'imputation « en assiette », comme cela a été confirmé par un important arrêt de la Cour de cassation. La pratique consistant à convertir l'usufruit en capital avant l'imputation sur la quotité disponible n'est donc plus admise, restant réservée au conjoint marié.
En présence d'un héritier réservataire mineur, deux observations sont relevées. Tout d'abord sera nécessaire une autorisation du juge pour l'exercice de l'option avec désignation d'un administrateur ad hoc, dans la mesure où il y a conflit d'intérêts avec le parent survivant, administrateur légal, généralement bénéficiaire de la libéralité. Par ailleurs, cette autorisation n'est pas acquise, car le fait de laisser s'exécuter la libéralité excessive est souvent considéré comme une forme de renonciation à contester l'atteinte portée à la réserve de l'enfant.
– Le coup de poker de l'article 917. – Ce texte pourtant très astucieux est assez méconnu et sans doute insuffisamment appliqué. Il convient de distinguer deux hypothèses :
  • le testateur laisse l'option ouverte : maintenir la faculté de l'article 917 du Code civil, c'est parier sur l'avenir que les enfants préféreront exécuter la libéralité en usufruit plutôt que de perdre la quotité disponible en propriété. Comme tout pari, il comporte un risque, une part de hasard, celui de voir la libéralité réduite en nature, faisant naître une indivision sur les biens de la succession ;
  • le testateur écarte l'option : retirer la faculté de l'article 917, c'est garantir l'exécution de la libéralité en nature, en exposant le survivant du couple à la difficulté d'avoir à verser une indemnité aux enfants.
Les héritiers doivent choisir une position commune dans l'hypothèse d'une disposition attentatoire à leur réserve. Si les enfants choisissent d'agir en réduction, il convient de noter que sur le plan fiscal, « l'abandon de la propriété de la quotité disponible en échange d'un legs en usufruit excédant la quotité disponible ne constitue pas une mutation et se trouve seulement passible de l'impôt de partage ».

L'article 917, un outil formidable pour les partenaires pacsés

Le conseil est donc d'évoquer cette question avec les partenaires et de reprendre dans le testament soit l'application expresse de l'article 917, qui assure la preuve que la question a été évoquée avec le testateur, soit la non-application de l'article. Le notaire conseillera les disposants au cas par cas, en fonction de la configuration familiale.

Testament et article 917

Soit un défunt Taor, laissant trois enfants Melchior, Gaspar et Balthazar et sa partenaire Mina à qui il a légué par testament la totalité de l'usufruit de sa succession comprenant notamment un bien immobilier et les parts de société « Prince du sucre ». La quotité disponible est d'un quart, la réserve héréditaire globale des trois quarts. Trois hypothèses existent :

1) si Taor a écarté la faculté de l'article 917, la libéralité est réductible en valeur. La compagne est usufruitière de l'ensemble mais elle doit verser, en cas d'action en réduction, une indemnité aux enfants égale à l'usufruit de la réserve globale : soit 3/4 en usufruit ;

2) si Taor a souhaité maintenir l'option de l'article 917 et que les enfants choisissent d'appliquer le testament, sans opter pour l'abandon du disponible, la libéralité en usufruit est maintenue et chaque enfant reçoit 1/3 en nue-propriété (absence d'indemnité de réduction) ;

3) si Taor a souhaité conserver l'application de l'article 917 et que les enfants choisissent d'abandonner le disponible, la compagne et les trois enfants reçoivent chacun 1/4 en pleine propriété en nature (réduction des 3/4 en propriété en nature).

– Legs en usufruit et droit aux fruits. – À compter de quelle date l'usufruitier pourra-t-il profiter de son legs ? Cette question est importante, dans la mesure où la réponse intuitive n'est pas celle de la loi. Il convient de distinguer le legs d'un usufruit total qualifié de disposition à titre universel, du legs de l'usufruit d'un bien, qui est un legs particulier. Le premier ne pose pas de difficulté. Le partenaire institué légataire à titre universel en usufruit aura droit d'exercer la jouissance sur les biens de la succession dès le jour du décès, si la demande en délivrance est faite dans l'année, conformément à l'article 1005 du Code civil. En revanche, le partenaire, légataire particulier de l'usufruit du logement, n'a en principe le droit d'exercer cette jouissance que du jour de la demande en délivrance, ou du jour où elle lui aura été volontairement consentie. Cette solution le rend débiteur d'une indemnité d'occupation pour la période intermédiaire, sauf à considérer qu'en occupant les lieux, il a demandé tacitement dès le décès délivrance de son legs. Or, l'intention du défunt est bien évidemment d'accorder un droit sans délai. Le législateur pourrait modifier sur ce sujet le droit aux fruits du légataire particulier soit en ajoutant à l'article 1015 un alinéa 3 : « Lorsque la libéralité est d'un usufruit », soit en alignant le droit aux fruits du légataire particulier sur celui du légataire universel et à titre universel.

Legs particulier de l'usufruit d'un bien

Le conseil notarial est de prévoir, dans la rédaction du testament, que le légataire exercera le legs et aura droit aux fruits dès le jour du décès conformément à l'article 1015 du Code civil.

La constitution d'un droit d'usage et d'habitation

– La constitution d'un droit d'usage et d'habitation à titre onéreux. – Les partenaires peuvent de leur vivant constituer un droit d'usage et d'habitation viager, réciproque le cas échéant, sur leur logement. La constitution peut se faire à titre onéreux selon deux méthodes. La première d'entre elles est une constitution effectuée ab initio lors de l'acquisition conjointe du bien par les partenaires. Les précautions de rédaction à observer sont identiques à celles relatives à une acquisition en démembrement avec constitution d'un usufruit successif. La seconde méthode est une vente par le partenaire plein propriétaire (ou nu-propriétaire) d'un droit d'usage et d'habitation éventuel à son conjoint. Le schéma nécessite une valorisation précise du droit et le versement d'une contrepartie financière, sous peine de voir l'opération disqualifiée en donation indirecte. Dans les deux cas, lors du décès, le survivant pourra conserver son cadre de vie, sans pouvoir néanmoins ni louer le bien, ni céder son droit. D'un point de vue fiscal, celui-ci ne sera pas taxable aux droits de mutation à titre gratuit, mais aux droits de vente et échappera à la présomption fiscale de l'article 751 du Code général des impôts. Le détenteur du droit d'usage reste assujetti à l'impôt sur la fortune immobilière, dans les mêmes conditions que l'usufruitier.
– La constitution d'un droit d'usage et d'habitation à titre gratuit. – Les partenaires peuvent aussi prévoir de se protéger par libéralité. Le propriétaire donne à son compagnon ou sa compagne, de son vivant, un droit d'usage et d'habitation éventuel (ou un usufruit éventuel) qui s'ouvrira à son propre décès. L'opération doit revêtir les formes d'un acte notarié. Le mécanisme échappe à l'article 751 du Code général des impôts. On peut supposer qu'il soit taxé comme un usufruit successif lors de son ouverture au décès et qu'il soit par conséquent exempté de droits de mutation entre partenaires. D'un point de vue civil néanmoins, il obéit à toutes les règles de la réduction comme un legs de droit d'usage et d'habitation.
– Le legs d'un droit d'usage et d'habitation. – La constitution d'un droit d'usage à cause de mort par voie testamentaire est une autre voie. Néanmoins la disposition est moins attractive, en l'état du doit positif, qu'un legs d'usufruit dans la mesure où, selon la jurisprudence actuelle, le legs de droit d'usage (tout comme la donation) semble s'imputer en assiette et non en valeur, ce qui le soumet au risque de réductibilité, tout en lui ôtant l'intérêt de l'application certaine de l'article 917 du Code civil. Un auteur propose de prévoir une réduction en valeur par l'insertion d'« une clause excluant l'application de l'article 917 du Code civil tout en indiquant que, si les héritiers réservataires demandent la réduction de la libéralité, le partenaire reçoit le reste de la quotité disponible ».
De lege ferenda, le 116e Congrès des notaires de France avait proposé l'introduction d'un article 1099-2 dans le Code civil, prévoyant que même si le de cujus laissait des descendants, il pourrait disposer en faveur de son partenaire d'un droit d'habitation sur le logement pour une durée viagère ou limitée. La libéralité échapperait dans ce cas à la réduction. La solution avait pour avantage de laisser la question à l'appréciation de la volonté des époux, ce qui est une solution préférable à l'instauration d'un droit légal supplétif de volonté. Elle permettrait d'éviter les stratégies d'évitement plus ou moins efficaces (tontine, attributions préférentielles démembrées notamment).