La conformité du cautionnement à l'intérêt social

La conformité du cautionnement à l'intérêt social

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Conformité à l'objet social. – Il n'est pas surprenant de poser pour exigence que le cautionnement donné par une personne morale doive être conforme à son objet social. L'article 1849 du Code civil commande en effet au gérant d'agir dans les limites qui lui sont assignées par l'objet social. Pour autant, il est rare de constater dans l'objet des sociétés civiles, notamment familiales, la possibilité pour la société de se porter caution. Cette situation s'explique le plus souvent par la crainte des rédacteurs de statuts de conférer à la société un objet commercial360, lequel permettrait à l'administration fiscale de soumettre la société à l'impôt sur les sociétés dans le cadre d'une procédure de rectification.
Dans l'absolu, un tel risque n'est pas supposé se présenter. En effet, c'est à l'activité réelle de la société que l'administration fiscale doit en principe s'attacher pour démontrer la commercialité de son activité361. Cependant, la jurisprudence n'est pas toujours aussi nette362. Quoi qu'il en soit, l'objet social des sociétés civiles ne prévoit pas fréquemment la possibilité de se porter caution. La jurisprudence valide malgré tout l'opération s'il peut être établi une communauté d'intérêts entre la SCI et la personne cautionnée363. Un indice d'une telle communauté d'intérêts peut être fourni notamment en cas d'identité d'associés entre la SCI et la société cautionnée364.
La notion de communauté d'intérêts est bien trop mystérieuse et sujette à dispute pour qu'un praticien puisse s'en satisfaire. Aussi, il peut être conseillé au notaire de provoquer une assemblée générale autorisant à l'unanimité des associés l'opération de cautionnement365. Il nous semble que le notaire pourrait également faire intervenir tous les associés à l'acte de cautionnement en application de l'article 1854 du Code civil366. La conformité à l'objet social n'est toutefois pas suffisante : l'opération doit également être conforme à l'intérêt social.
– Conformité à l'intérêt social. – Le rôle joué par la notion d'intérêt social367 a connu une évolution spectaculaire s'agissant d'apprécier la validité d'un cautionnement donné par une société à responsabilité indéfinie. Jusqu'au début des années 2000, la notion d'intérêt social n'avait que peu de prise sur la question. En effet, pour qu'un cautionnement donné par une société civile soit valable, il suffisait de satisfaire l'une des trois conditions suivantes :
  • le cautionnement était prévu dans l'objet social ;
  • il existait une communauté d'intérêts entre la société et la personne cautionnée ;
  • le cautionnement avait été autorisé à l'unanimité des associés368.
La sécurisation du cautionnement était donc aisée à obtenir : il suffisait en pratique à un notaire d'obtenir un consentement unanime des associés pour acquérir la conviction de la validité du cautionnement donné par la société.
Cependant, au début de l'année 2000, la Cour de cassation a dépassé ce qui constituait une simple question de pouvoirs pour poser une exigence supplémentaire : la sûreté doit être conforme à l'intérêt social369. Malheureusement, la notion d'intérêt social, non définie par la loi, est très vague : la communauté d'intérêts à laquelle cette notion renvoie n'est pas même identifiée avec précision. S'agit-il de l'intérêt de la collectivité des associés ou de l'intérêt supérieur de la société ? La lecture de la jurisprudence est difficile pour un notaire qui souhaite délivrer son conseil à un établissement financier. Dans son état actuel, les tribunaux semblent considérer que l'intérêt social est violé lorsque la sûreté grève si lourdement le patrimoine de la société qu'elle l'expose à un risque de disparition370. Dans un tel cas, seule la démonstration d'un intérêt direct ou indirect retiré par la société permettrait de valider la sûreté.
Un tel intérêt a pu être reconnu dans une hypothèse où un prêt avait été consenti à un associé afin de lui permettre de souscrire à une augmentation de capital en numéraire de la société qui s'était portée caution371. Cette idée selon laquelle il faudrait systématiquement comparer le montant du cautionnement à la valeur du patrimoine détenu par une société pour en inférer une menace sur son existence peut questionner. D'une part, l'aptitude à être lié par des obligations ne dépend pas seulement des biens présents, mais également des biens à venir372. Par ailleurs, la vanité des poursuites ne menace pas l'existence d'une société, mais permet d'exercer une poursuite subsidiaire à l'encontre des associés373.
– Pour un retour au critère de l'unanimité des associés. – Il est regrettable que la validité d'une sûreté soit indexée sur une notion qui n'est pas même définie par la loi374. L'insécurité juridique qui domine la matière est assurément préjudiciable à l'obtention du crédit : un notaire ne peut que très difficilement confirmer à un créancier la possibilité de constituer une telle sûreté alors que, dans bien des configurations, il s'agit de la seule sûreté que le souscripteur de crédit pourra offrir à son créancier. On peut également se demander s'il est opportun, sur le terrain de la morale des affaires, d'accepter que des associés puissent revenir sur leur engagement et obtenir l'annulation d'une sûreté pour laquelle ils avaient pourtant donné un consentement unanime375.
L'unanimité des associés devrait à notre avis constituer le critère de validité de la sûreté ou, pour le dire autrement, devrait constituer le critère permettant de caractériser l'intérêt social de la société. Cette réflexion, qui est nourrie par l'absolue nécessité de sécuriser la constitution des sûretés, et donc de faciliter le crédit familial, peut recevoir un argument contraire d'une très grande valeur si l'on s'extrait des considérations exclusivement pratiques. En effet, de même qu'une société n'est pas constituée pour réaliser des donations, elle ne doit pas non plus être constituée pour faire le cadeau d'une sûreté sans contrepartie. La jurisprudence, lorsqu'elle exige que la société retire un avantage de l'opération, ne fait donc que rappeler l'objet légal d'une société.
On atteint ici le fond du problème : les manifestations d'entraide familiale peuvent durement éprouver les concepts propres au droit des sociétés au point de poser la question de leur compatibilité.