En dehors du régime de la communauté légale

En dehors du régime de la communauté légale

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Dans les régimes séparatistes. – La détermination de la nature des parts sociales se pose en des termes radicalement distincts pour des époux mariés en régime de séparation de biens 710, pour des partenaires ou des concubins. En pareil cas, lorsque l'un des membres du couple entre en société au moyen d'un bien ou de deniers qui lui appartiennent à titre personnel, ce qui est généralement le cas, il devient seul associé et il est seul propriétaire des droits sociaux. Il n'a pas de compte à rendre à son conjoint, partenaire ou concubin, et n'a pas davantage à craindre l'immixtion de ce dernier dans les affaires sociales. Au moment de la rupture, les droits sociaux dont il est titulaire ne généreront, par principe, aucune discussion liquidative avec l'autre membre du couple. En revanche, il pourra en être tenu compte pour apprécier le principe et le montant d'une éventuelle prestation compensatoire, ce qui soulève du reste quelques difficultés.
Il arrive cependant parfois, ce qui demeure rare, qu'un couple crée ensemble une société, sans numéroter les parts attribuées à chacun, et en se plaçant ainsi sous le régime de l'indivision. En pareille occurrence, les parts sont réputées indivises à concurrence de moitié chacun, ce qui postule que les décisions collectives sont prises à deux, par le biais du mandataire choisi d'un commun accord (C. civ., art. 1844, al. 2), laissant poindre des difficultés, si ce n'est inéluctables, tout au moins probables en cas de rupture du couple.
Du reste, l'on constate en pratique que les clients assimilent parfois l'acquisition en indivision et celle par l'intermédiaire d'une société transparente, et oublient qu'ils ne sont pas propriétaires de l'immeuble en direct. Le liquidateur doit alors faire preuve de pédagogie en leur rappelant que l'immeuble appartient à la société et qu'en conséquence, les règles de l'indivision laissent la place au droit des sociétés. Deux conséquences en découlent : d'une part, il n'est pas possible d'emprunter des solutions de sortie au droit de l'indivision, l'article 815 du Code civil étant inapplicable. Il faut dont se référer aux règles du droit des sociétés et notamment aux statuts de la société concernée, lesquels peuvent parfois prévoir des cas d'exclusion ou de retrait en cas de divorce de l'un des associés. D'autre part, les parts n'étant pas indivises, elles ne pourront pas être intégrées dans un acte de partage ; elles doivent faire l'objet d'actes accessoires devant être régularisés pour parvenir à un règlement complet des intérêts patrimoniaux entre les deux membres du couple.
– En régime participatif. – La question se pose en des termes différents encore pour les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts. Dans ce cas, les parts, si l'on excepte l'hypothèse plutôt résiduelle d'une acquisition indivise, sont personnelles à chacun des époux. L'on retrouve ici la situation rencontrée entre époux séparés de biens. La particularité de la participation aux acquêts se situe, on le sait, dans la coloration communautaire qui est la sienne dans un ultime élan, au moment de la dissolution du régime, par le biais de l'existence d'une éventuelle créance de participation.
Dans l'optique du calcul de cette dernière, les parts sociales appartenant à l'un des époux vont apparaître dans son patrimoine originaire, si lesdites parts ont été acquises avant le mariage ou reçues au cours de celui-ci par acte à titre gratuit, et dans son patrimoine final si elle existe toujours au moment de la dissolution. En principe, aucun acquêt n'est censé apparaître de chef dans la mesure où classiquement il n'est pas tenu compte, dans le régime de la participation aux acquêts, des plus-values exogènes, liées à des circonstances économiques fortuites. Seules les plus-values endogènes, liées soit à des investissements de fonds réalisés par l'époux concerné, soit, depuis un arrêt récent de la Cour de cassation du 13 décembre 2023711, à l'industrie personnelle de l'époux concerné, sont susceptibles de venir accroître ses acquêts nets.
Dans l'hypothèse où lesdites parts ont été acquises pendant le mariage, l'enrichissement procuré à l'époux associé va être intégré à ses acquêts, au risque évident de devoir régler une créance de participation, ce qui aboutit de facto à un partage en valeur de l'outil professionnel, quand ce n'est pas, plus radicalement, à contraindre cet époux à vendre sa société pour faire face à la dette conjugale. Désireux d'évacuer cette conséquence, de nombreux époux, chefs d'entreprise, artisans, commerçants ou professions libérales, ayant choisi d'opter pour ce régime ont pris pour habitude, on le sait, d'insérer dans leur contrat de mariage une clause d'exclusion des biens professionnels714. Une telle volonté, provisoirement mise en échec par la Cour de cassation, est aujourd'hui à nouveau offerte aux époux participatifs, par l'effet de la loi du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille715, au travers de l'article 265, alinéa 2 du Code civil716. Cela étant, d'autres alternatives existent, qu'il appartient au notaire de proposer à ses clients désireux de protéger leur bien professionnel, qu'il s'agisse d'une communauté conventionnelle ou d'une séparation de biens avec l'adjonction d'une société d'acquêts à spectre large, d'où seraient exclus lesdits biens.

Le changement d'état lié à l'industrie personnelle d'un époux

La situation, classique, est la suivante : un des époux était associé au sein d'une société au jour de son union et cette dernière a prospéré au cours du mariage. Quelle est la valeur des parts sociales à retenir dans le patrimoine originaire ? Autrement dit, comment traiter le changement d'état des parts de société ?
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 2023 invite aujourd'hui le notaire liquidateur à rechercher la cause de la plus-value constatée, en précisant, ce qui est nouveau, que les plus-values résultant de l'industrie personnelle d'un époux ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de la créance de participation. À vrai dire, cette décision laisse perplexe à plus d'un titre.
Sur le terrain des principes, outre que son application au cas d'une société peut certainement être discutée712, il convient d'avoir à l'esprit que le législateur français s'est évertué, au travers de nombreuses règles, à ciseler le régime de la participation aux acquêts pour en faire une « communauté en valeur ». Or, l'on sait que dans le régime de la communauté légale, si les parts sociales constituent des biens propres, l'époux entrepreneur en exerce la reprise en nature au moment du partage des biens sans qu'aucune récompense ne soit due à la communauté en contrepartie de son éventuel travail en industrie713. C'est dire que la solution préconisée par la Haute juridiction aboutit à rendre le régime de la participation aux acquêts plus associatif encore que le régime de la communauté légale.
Surprenant sur le terrain des principes, la solution ne nous convainc pas davantage en opportunité. Tenir à l'écart un époux de la plus-value prise par la société du fait de la force de travail déployée par son conjoint pourrait paraître injuste s'il n'avait pas déjà bénéficié des fruits générés par l'exercice professionnel de ce dernier, lesquels, après avoir alimenté au gré du temps les caisses du couple, se retrouvent, pour le surplus, dans le patrimoine final de l'époux associé, et donc pris en compte dans ses acquêts nets à la liquidation du régime, en vue du calcul de la créance de participation.
La solution présente enfin un inconvénient qui ne saurait être occulté, lié à la difficulté de sa mise en œuvre pratique. En matière immobilière, il est possible de déceler la plus-value d'un bien liée à l'évolution du prix du marché, de sorte que toute plus-value supérieure peut éventuellement être imputée à l'industrie personnelle ou aux investissements réalisés par l'époux concerné. En revanche, il est de fait souvent quasiment impossible de démontrer les causes (souvent multiples) d'une plus-value sur un bien professionnel, notamment lorsque l'époux concerné n'exerce pas en son nom personnel, mais sous forme sociétaire.