– La séparation de biens pure et simple chasse l'avantage matrimonial. – La notion d'avantages matrimoniaux a-t-elle vocation à s'appliquer aux époux mariés sous un régime séparatiste ? Bien que le Code civil ne définisse pas l'avantage matrimonial, il est d'évidence qu'il découle nécessairement d'un profit qu'un époux est susceptible de retirer d'une convention matrimoniale par laquelle les époux se sont associés sur le plan patrimonial. Il ne saurait donc exister d'avantage matrimonial en présence d'une séparation de biens pure et simple, dans un régime qui n'a aucune vocation à associer patrimonialement les époux.
En dehors du régime de la communauté légale
En dehors du régime de la communauté légale
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Dans le régime de la séparation de biens
– La séparation avec société d'acquêts. – La séparation de biens peut connaître une certaine forme de communauté dont les aménagements peuvent sans doute être qualifiés d'avantages matrimoniaux, à l'instar des aménagements de la communauté légale. Ainsi de nombreux auteurs, privilégiant une interprétation extensive des textes, considèrent que les aménagements internes d'une société d'acquêts adjointe à un régime de séparation de biens, qui constitue une véritable communauté à part entière et est, comme telle, soumise aux règles de la communauté, peuvent être considérés comme un avantage matrimonial.
Cette position a été consacrée par la Cour de cassation qui a admis, aux termes d'un arrêt en date du 29 novembre 2017, que la séparation de biens avec société d'acquêts, pour peu qu'elle soit assortie de certaines clauses inégalitaires, était de nature à procurer un avantage matrimonial « à prendre en compte »389. Il en va ainsi lorsque les conjoints sont convenus de l'apport par l'un d'eux à la société d'acquêts d'un bien personnel attribué au dernier vivant, et que c'est l'autre qui survit, auquel cas l'avantage en question s'expose à l'action en retranchement en vertu de l'article 1527390, alinéa 2, du Code civil, en présence d'enfants non issus du couple.
Cet arrêt marque une évolution notable dans la mesure où il consacre clairement l'idée selon laquelle la notion d'avantage matrimonial est susceptible d'exister en dehors du champ classique des communautés conventionnelles. La solution doit être approuvée391. Dans les faits, il y a deux modèles de la société d'acquêts qui se côtoient392, selon que les époux ont voulu se limiter à introduire de façon savamment dosée une coloration communautaire à une véritable séparation de biens ou qu'ils ont entendu constituer, au moyen d'une large société d'acquêts, une communauté conventionnelle sous pseudonyme. Quoi qu'il en soit, dans un cas comme dans l'autre, l'insertion plus ou moins prononcée d'un îlot communautaire dans le régime séparatiste justifie l'application extensive de l'article 1527, alinéa 2, du Code civil.
Partant, outre la clause visée dans l'arrêt de la Cour de cassation, l'on peut également considérer comme un avantage matrimonial la clause qui aménagerait le régime des récompenses applicable à la société d'acquêts. Au-delà, la question se pose de savoir si toute clause destinée à aménager la composition de la société d'acquêts ne peut être considérée comme un avantage matrimonial. En effet, par principe, la composition de la société d'acquêts est calquée sur la composition de la masse commune au sein du régime légal. Elle devrait donc porter concrètement sur tous les biens acquis à titre onéreux au cours du mariage, quel que soit l'époux acquéreur, à moins qu'il n'ait employé des deniers propres. Partant, la clause qui viserait à limiter la composition de la société d'acquêts à certains biens seulement, tel le logement familial, doit s'analyser comme une véritable communauté conventionnelle et être considérée comme un avantage matrimonial393 ; l'avantage résultant ici du fait de ne pas voir un ou plusieurs de ses biens tomber en communauté394.
Dans le régime de la participation aux acquêts
– La participation aux acquêts exclut-elle l'avantage matrimonial ? – La liberté offerte aux futurs époux de remodeler le régime de participation aux acquêts suggéré par le législateur, notamment en adoptant des clauses rompant, à la dissolution du régime, l'égalité de principe dans le partage des acquêts, a conduit à une interrogation qui a suscité de vifs débats doctrinaux, un arrêt de principe de la Cour de cassation, des inquiétudes de la pratique puis une intervention législative : est-il concevable de faire usage de la technique de l'avantage matrimonial, sous un tel régime, du fait qu'il aboutit à des résultats comparables, en valeur, à ceux de la communauté395 ?
– Position de la Cour de cassation. – La question posée a suscité de vives discussions pour les clauses qui aménagent les bases de calcul de la créance de participation. Ainsi en est-il notamment de la clause d'exclusion des biens professionnels, fréquemment insérée par la pratique notariale dans les contrats de participation aux acquêts, aux fins de préserver le patrimoine professionnel de l'un et/ou l'autre des époux396. Pareille clause a pour objet de soustraire l'actif et le passif professionnel du bénéficiaire du calcul de la créance de participation. Or, une telle stipulation peut se retourner contre ce dernier. Ainsi qu'il a été souligné, « il est bien difficile de dire, avant la liquidation, qui profitera de l'exclusion des biens professionnels puisque le passif professionnel est lui aussi exclu de la liquidation. Si ce passif est supérieur à l'actif professionnel, alors c'est l'époux non professionnel qui en tire profit »397. La question s'est donc posée de savoir si une stipulation qui était à l'origine envisagée comme devant procurer un véritable avantage à son bénéficiaire et qui se retourne contre lui, devenant ainsi un « inconvénient matrimonial »398, doit ou non être qualifiée d'avantage matrimonial et, partant, être soumise au régime de cette institution.
La Cour de cassation a levé les doutes à ce propos, en précisant, aux termes d'un arrêt remarqué en date du 18 décembre 2019399, « qu'une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d'entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce ». Si la solution, réaffirmée depuis lors400, présentait tous les atours d'une saine logique juridique, il n'en restait pas moins que les conséquences au moment du divorce de la qualification ainsi retenue demeuraient redoutables.
– Critiques formulées à l'encontre de la position de la Cour de cassation. – C'est peu dire que la décision de la Cour de cassation n'est pas passée inaperçue, recueillant un accueil glacial, pour ne pas dire hostile de la doctrine, tant universitaire que notariale. Au regard de cette pratique répandue et de l'utilité indéniable de cette clause, la décision de la Haute juridiction est apparue regrettable, à bien des égards.
S'agissant des contrats passés, nul doute que dans le choix de la participation aux acquêts par un époux professionnel, il avait été déterminant de croire son entreprise ou ses droits sociaux à l'abri de toute participation en valeur en cas de divorce. Or, cette conviction, au moment du choix du régime matrimonial, se révélait désormais, à l'heure de la dissolution, être un « mirage »401. Stipulée pour prévenir les conséquences du divorce, la clause n'y résistait pas. Ainsi, la précaution ou plutôt la protection prévue dans le contrat de mariage était totalement inefficace pour le cas précisément pour lequel elle était prévue ! Un rude coup était ainsi porté à la sécurité juridique.
Au-delà, l'on pouvait légitimement craindre que la solution adoptée risquât de porter un « coup fatal » à ce régime402, incitant les notaires à conseiller à leurs clients professionnels le régime très radical ou individualiste de la séparation des biens qui, alors, privera le conjoint de tout partage de richesses accumulées durant le mariage.
– Intervention du législateur. – La doctrine avait clairement identifié la difficulté, qui ne tenait pas tant à la position adoptée de la Cour de cassation, d'une parfaite orthodoxie juridique à défaut d'être pragmatique, que de la rédaction même de l'article 265 du Code civil403. D'ailleurs, la Haute juridiction elle-même l'avait souligné dans son rapport annuel pour l'année 2019, rappelant que « cette solution est inévitable, compte tenu de la lettre de l'article 265, alinéa 2, du Code civil », et invite le législateur à le modifier « de façon à consacrer la validité [en l'espèce, de la clause d'exclusion des biens professionnels] comme cela a pu être fait en 2006 à propos de la clause dite « alsacienne » de reprise des apports en régime de communauté »404.
Mais alors qu'une proposition de loi prévoyait de compléter l'article 265 par un alinéa spécifique relatif à la clause d'exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts405, le législateur est allé au-delà de la clause d'exclusion des biens professionnels, et même du régime de la participation aux acquêts, pour retenir une solution qui répond aux vœux de la doctrine et des praticiens pour l'ensemble des avantages matrimoniaux qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial, quel que soit le régime matrimonial. La modification n'est spécifique ni à une clause particulière ni à un régime particulier. Le législateur a ainsi pris le parti d'unifier le droit applicable en posant une règle générale au lieu de multiplier les dispositions particulières destinées à régir telle ou telle clause des conventions matrimoniales qui auraient eu pour effet de complexifier la matière.
La loi du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille complète l'alinéa 2 de l'article 265 du Code civil en permettant aux époux de rendre un avantage matrimonial irrévocable en cas de divorce par une stipulation de leur contrat de mariage406.
Selon le nouvel article 265, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 31 mai 2024, « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial (…) sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est exprimée dans la convention matrimoniale ou constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus »407.
Cet ajout des termes « exprimée dans la convention matrimoniale » permet ainsi aux époux d'exprimer dans leur convention matrimoniale, c'est-à-dire dans leur contrat de mariage ou dans un acte d'aménagement ou de changement de régime matrimonial, leur volonté de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial. Les conventions matrimoniales prévues en cas de divorce vont ainsi pouvoir être respectées dès lors que leur maintien peut désormais être prévu ab initio. Le texte autorise les époux à paralyser par avance la révocation des avantages matrimoniaux à effet différé par une stipulation en ce sens dans la convention matrimoniale.
– Domaine d'application de l'article 265, alinéa 2, du Code civil. – Toute clause liquidative, en ce qu'elle constitue un avantage matrimonial qui prend effet à la dissolution du régime, obéit au nouveau régime instauré par l'article 265, alinéa 2, du Code civil. C'est dire que la portée du texte ne se limite pas au seul régime de la participation aux acquêts. Que l'on songe, par exemple, s'agissant du régime communautaire, à la clause de dispense de récompense en cas de divorce.
S'agissant toutefois, plus précisément, du régime de la participation aux acquêts, soulignons que le texte a vocation à s'appliquer, outre la clause symbolique d'exclusion des biens professionnels, aux clauses dites « de partage inégal », visées à l'article 1581, alinéa 2, du Code civil. Ainsi, la clause de minoration du taux de la participation aux acquêts jouant au profit de l'époux qui s'est le plus enrichi, c'est-à-dire concrètement la stipulation aux termes de laquelle l'époux qui s'est le plus enrichi ne sera débiteur de son conjoint que pour un tiers ou un quart, par exemple, de son excédent d'acquêts nets et non de la moitié, peut être analysée en un véritable avantage matrimonial et, comme tel, être susceptible de déchéance408.
La même analyse peut être faite à propos de la clause dite de « plafonnement d'acquêts » en ce qu'elle a pour objet de plafonner la créance de participation due par l'époux possédant des biens professionnels. En vertu de cette clause, le paiement de la créance de participation résultant de l'application normale des règles de calcul fixées par la loi ne peut être exigé qu'à concurrence d'un montant convenu par les époux dans le contrat de mariage.
– Application de la loi dans le temps. – Pour l'avenir, la refonte de l'article 265 du Code civil ne soulève pas de difficulté particulière. Il convient désormais au notaire, si tel est leur choix, de mentionner expressément dans la convention de mariage, initiale ou modificative, la volonté des parties de maintenir au moment du divorce l'avantage matrimonial qui ne prend effet qu'à la dissolution du régime matrimonial.
Mais quid des contrats passés, qui n'ont pas encore donné lieu à liquidation ? Sont-ils soumis ou non aux nouvelles dispositions de l'article 265, alinéa 2, du Code civil ? Autrement dit, le notaire chargé de liquider un régime participatif entre deux époux ayant signé, sous l'empire de la loi ancienne, un contrat de mariage contenant une clause d'exclusion des biens professionnels, ou tout autre type de clauses liquidatives, doit-il ou non appliquer de telles clauses ?
Pour répondre à cette question, il faut déterminer l'application dans le temps de la loi nouvelle. Or, la loi du 31 mai 2024 ne contenant aucune disposition transitoire concernant l'entrée en vigueur de son article 3 portant modification de l'article 265 du Code civil, il convient de se référer aux principes généraux qui gouvernent les conflits de lois dans le temps, édictés à l'article 2 du même code et complétés par la jurisprudence de la Cour de cassation. De prime abord, ces principes devraient conduire à soumettre les effets futurs des contrats de mariage conclus avant le 2 juin 2024 au droit antérieur à la loi du 31 mai 2024, en application du principe de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Une telle analyse conduirait à admettre que la clause d'exclusion des biens professionnels est soumise à l'article 265 du Code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation dans sa version antérieure à la loi du 31 mai 2024.
À vrai dire, bien qu'elle apparaisse parée, de prime abord, de tous les atours d'une saine logique juridique, nous ne pouvons pas souscrire à cette analyse, en ce qu'elle fait manifestement fi de la ratio legis, pour ne retenir qu'une application aveugle et dogmatique de la règle. En effet, il doit être ici rappelé que le principe de survie de la loi ancienne se justifie par le respect de la sécurité juridique. Le contrat est « un îlot de stabilité au milieu des courants législatifs »409. En d'autres termes, il s'agit d'éviter que l'apparition d'une loi nouvelle ne vienne déjouer les prévisions des parties qui ont contracté sous l'empire d'une loi ancienne, sans tenir compte des changements pouvant affecter celles-ci dans le futur. Il s'agit ainsi d'assurer l'efficacité des prévisions contractuelles sur lesquelles les parties elles-mêmes se sont entendues. Or, lorsque des époux ont inséré une clause d'exclusion des biens professionnels en cas de divorce dans leur contrat de mariage, en amont de la position adoptée par la Cour de cassation, le 18 décembre 2019, il ne saurait être raisonnablement soutenu qu'ils imaginaient à l'époque qu'une telle clause était condamnée par la loi ou, pour le dire autrement, que la loi « ancienne », applicable au moment de l'établissement de leur contrat de mariage, ne validait pas la clause litigieuse. C'est pourquoi, selon nous, la survie de la loi ancienne ne saurait trouver à s'appliquer sauf à aboutir à déjouer les prévisions des parties, ce qui est précisément l'inverse de la raison d'être de la règle.
Nous ajouterons que si le législateur est intervenu au travers de la loi du 31 mai 2024, c'est précisément pour sauver les contrats passés dont les prévisions avaient été déjouées par une jurisprudence, certes fondée juridiquement, mais dont les effets déplorables avaient été mis en lumière tant en doctrine qu'en pratique. Les travaux préparatoires qui ont précédé la réforme et les commentaires doctrinaux qui l'ont suivie ne laissent aucun doute à ce sujet410. Conclure à l'absence d'application de la loi nouvelle aux contrats passés, ce serait donc non seulement ignorer la raison d'être de la règle de survie de la loi ancienne, mais aussi méconnaître les raisons profondes qui ont conduit le législateur à intervenir sur cette question, dans la droite ligne des demandes formulées tant par le 116e Congrès des notaires de 2020411 que par la Cour de cassation dans son rapport annuel412.