– Une difficulté sensible en régime légal. – La détention de parts sociales par l'un des époux est à la source de nombreuses difficultés à l'heure de la mésentente conjugale, principalement lorsque l'époux en question est marié sans contrat, sous le régime de communauté légale. Il s'agit alors de s'interroger sur la nature des parts sociales, et par-delà sur les droits de chacun des époux sur lesdites parts au cours du régime (§ I) puis durant la période de l'indivision post-communautaire (§ II).
Dans le cadre du régime de la communauté légale
Dans le cadre du régime de la communauté légale
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Au cours du régime
– Parts sociales propres. – Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, les parts sociales peuvent appartenir en propre à l'un d'entre eux. C'est le cas pour celles acquises ou souscrites avant le mariage ou celles reçues par donation, succession ou legs (C. civ., art. 1405), mais aussi pour celles acquises ou souscrites en emploi ou remploi de biens propres par le jeu de la subrogation réelle (C. civ., art. 1407)680, sous réserve du respect des dispositions des articles 1434 et 1435 du Code civil. Néanmoins, en cas d'apport d'un bien propre en nature, le formalisme de l'emploi n'a pas lieu d'être681. En revanche, en cas d'apport de deniers propres ou d'acquisition de parts au moyen de fonds propres, les conditions des articles 1434 et 1435 du Code civil devront être respectées, afin d'emporter la qualification propre. Aussi le notaire liquidateur doit-il vérifier, dans les statuts ou dans l'acte acquisitif de parts, l'existence ou non de la clause de remploi. L'intervention du conjoint est-elle nécessaire pour reconnaître la nature propre des parts ? La pratique notariale a l'habitude de la prévoir, mais est-ce pertinent ? La double déclaration prévue à l'article 1434 du Code civil étant une déclaration unilatérale émanant de l'époux apporteur ou cessionnaire, elle n'est pas subordonnée au consentement du conjoint682. Néanmoins, l'intervention de ce dernier peut s'avérer utile pour éviter d'éventuelles contestations lors de la séparation. Dans ce cas, il intervient pour reconnaître la réalité du remploi. À défaut de respect du formalisme du remploi, les parts tomberont en communauté, sous réserve d'éventuelles récompenses au profit de l'époux apporteur ou cessionnaire.
Sur le terrain liquidatif, lorsque les parts sociales sont propres, il n'existe aucune difficulté : lesdites parts font l'objet d'une reprise en nature par l'époux apporteur, à charge, le cas échéant, de devoir une récompense à la communauté si celle-ci a participé minoritairement à l'apport en capital ou au paiement du prix de cession. S'agissant de la vie sociale, seul l'époux associé jouit des prérogatives découlant de sa qualité : droit à l'information, droit de participer aux assemblées générales, droit à participer aux bénéfices683, etc. L'article 1832-2 du Code civil684 n'est évidemment pas applicable en pareille occurrence.
La décision d'affecter le résultat en report à nouveau ou en réserve, un danger pour le conjoint de l'associé ?
Seul l'époux associé dispose du droit de voter l'affectation du résultat. Si l'assemblée décide de la distribution dudit résultat, ces fruits tomberont en communauté. En pratique comptable, les sommes seront créditées sur le compte courant de l'associé, dont la valeur est commune. Aucune difficulté n'apparaît en cours d'union, les fruits des propres étant communs. Mais un associé en instance de divorce pourrait être tenté, par exemple, d'influer sur le vote de ses associés afin que le résultat soit affecté en report à nouveau ou en réserves. Dans ce cas de figure, la quote-part du résultat revenant à l'associé resterait au sein de la société et ne constitue aucunement le fruit d'un propre revenant à la masse commune. Aussi cette manœuvre pourrait-elle se révéler un instrument pour un époux souhaitant conserver les fruits de son exercice professionnel à l'insu de son ex-époux. Ainsi, par le jeu de techniques sociétaires, l'époux commun en biens pourrait se retrouver « lésé ». Néanmoins, ces réserves ou ce rapport à nouveau viendront augmenter la valeur de la société, ce qui pourra influer sur une éventuelle prestation compensatoire.
– Distinction selon la nature de la société. – À défaut pour l'époux sociétaire de pouvoir justifier de l'origine propre de son apport ou du financement du prix, les parts sociales acquises pendant le mariage vont donc être qualifiées de biens communs685. Concernant la situation de l'époux associé, les auteurs, comme les magistrats, ont toujours opéré une distinction selon la nature de la société. L'époux associé d'une société marquée par un fort intuitu personae ne paraît pas soumis aux mêmes contraintes que l'époux, actionnaire d'une société dont la personne des associés importe peu. Conformément au critère retenu par les articles 1424 et 1832-2 du Code civil, cette distinction est aujourd'hui fondée sur la négociabilité des parts686. Selon cette définition, sont qualifiées de parts négociables les actions dont la transmission s'opère selon le procédé simplifié de l'inscription en compte (B). Au rebours, les parts sociales autres que les actions reçoivent la qualification de parts non négociables687 (A).
Parts non négociables
– Distinction du titre et de la finance. – S'agissant des parts sociales non négociables, la doctrine a donné naissance, on le sait, à la distinction « du titre et de la finance ». Selon cette distinction, le titre d'associé est propre et seule la valeur des parts tombe en communauté. Autrement dit, si les parts ont été souscrites ou acquises pendant le mariage, leur valeur est commune. En revanche, le titre d'associé et les prérogatives qui y sont attachées demeurent propres à l'époux associé et lui reviennent exclusivement. Cette distinction entre la qualité d'associé et la valeur des parts sociales a été consacrée en son temps par la chambre commerciale de la Cour de cassation688, puis reprise par la première chambre civile689. La solution est aujourd'hui permanente690. Cette distinction permet à la fois de préserver les droits pécuniaires de la communauté et d'assurer l'autonomie de gestion de l'époux associé qui, notamment, a seul qualité pour percevoir les dividendes691. À ce propos, les hauts magistrats semblent ainsi « inviter à dissocier deux droits dont l'un appartient à la communauté (droit aux dividendes), et l'autre à l'époux qui a la qualité d'associé (droit de percevoir les dividendes) »692. Ils prévoient cependant un tempérament, en admettant que le titulaire du droit aux dividendes puisse autoriser son conjoint associé à en percevoir le montant à sa place693.
– Obligation d'informer son conjoint lors de l'acquisition des parts sociales. – Lorsqu'un époux souhaite réaliser l'acquisition de parts sociales à l'aide de fonds communs, l'article 1832-2 du Code civil lui impose d'en informer son conjoint. L'acte d'acquisition doit même contenir la mention que cette information a bien été délivrée. Si cette obligation d'information n'est pas respectée, le conjoint peut faire annuler l'acquisition des parts dans un délai de deux ans à compter du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans que l'action puisse être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté, en saisissant le juge aux affaires familiales (C. civ., art. 1427, al. 2).
– La revendication de la qualité d'associé par le conjoint. – Sous le régime de la communauté, le conjoint peut revendiquer la qualité d'associé, par une notification faite auprès de la société. Une fois cette revendication effectuée, le conjoint devient associé à part entière de la société pour la moitié des parts sociales détenues par le chef d'entreprise. Le conjoint dispose alors d'un droit à l'information concernant la société, d'un droit de participer aux assemblées, et il devient seul titulaire du droit de vote pour les parts sociales concernées.
Selon la Cour de cassation, la notification par un époux de son intention d'être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises par son conjoint peut intervenir tant que le jugement de divorce n'est pas passé en force de chose jugée694. Cette revendication de la qualité d'associé peut donc intervenir tardivement, ce compris durant la procédure de divorce, ce qui peut non seulement constituer un moyen de pression exercé à l'encontre de l'époux associé, mais aussi, ce qui plus ennuyeux encore, troubler la vie sociale de la structure sociétale695.
Parce que ce droit peut ainsi se transformer en un potentiel outil de menace ou de chantage, il peut être judicieux de prendre des précautions et d'obtenir ab initio du conjoint, lors de la signature des statuts ou de l'acquisition des parts, qu'il renonce par avance à sa possibilité de revendiquer – parfois de manière intempestive – la qualité d'associé696, sachant que le conjoint qui renonce par écrit, clairement et sans réserve à revendiquer la qualité d'associé ne peut revenir ultérieurement sur cette décision697.
Il faut admettre, s'agissant précisément du conjoint, que cette possibilité peut s'avérer précieuse, dans la mesure où elle lui confère la faculté de jouir des prérogatives de l'associé, notamment le droit à l'information698, ce qui peut lui permettre d'obtenir des informations financières primordiales sur la société concernée, notamment dans la perspective de vérifier la valorisation des titres sociaux, à des fins liquidative ou compensatoire.
Parts sociales négociables
– Biens communs par nature. – Parce que c'est l'immixtion du conjoint dans les affaires sociales que l'on craint et que cette appréhension est naturellement circonscrite aux sociétés dans lesquelles existe un fort intuitu personae, la distinction du titre et de la finance n'a pas vocation à s'appliquer aux parts sociales négociables, lesquelles constituent des biens communs en nature, sans aucune spécificité.
Partant, pendant la communauté, les actions dépendant du patrimoine commun sont soumises aux règles de la gestion exclusive (C. civ., art. 1421, al. 2) Elles peuvent donc être cédées sans l'accord du conjoint, même si elles sont communes699. La solution est plus souple que pour les parts sociales non négociables. Deux exceptions doivent cependant être mentionnées : d'une part, lorsque l'époux est propriétaire du logement familial à travers une SCI, il ne peut pas vendre cette société, et donc le domicile conjugal, sans l'accord de son époux (C. civ., art. 215, al. 3) et, d'autre part, le chef d'entreprise ne peut pas faire donation de ses actions à un tiers sans l'accord de son conjoint (C. civ., art. 1422).
– Absence obligation d'information du conjoint. – L'article 1832-2 du Code civil exclut expressément les parts sociales négociables de son champ d'application. Aussi l'acquisition d'actions par un époux, lors d'un apport en société ou à la suite de la cession des titres, s'effectue de manière similaire à l'achat d'un bien quelconque à l'aide de fonds communs. L'acquisition d'actions ne suppose donc pas, en principe, l'accord du conjoint, ni même de l'en informer. A fortiori, la loi n'accorde pas au conjoint la possibilité de revendiquer la qualité d'associé, qui est réservée à l'époux qui a acquis lesdites actions. Le conjoint peut donc parfaitement ignorer l'entrée en communauté des parts sociales négociables.
Au cours de l'indivision post-communautaire
– Distinction selon la nature de la société. – S'agissant des parts sociales communes, le basculement entre la communauté et l'indivision post-communautaire qui s'opère à la date des effets patrimoniaux du divorce700 ne modifie pas le postulat : il s'agit de distinguer le régime des parts sociales non négociables (A) et celui des parts négociables (B).
Parts non négociables
– Cession des parts sociales. – La valeur des parts sociales non négociables étant commune, une fois la communauté dissoute, lesdites parts sont donc naturellement soumises au régime de l'indivision post-communautaire. Toutefois, la Cour de cassation considère que le droit d'associé doit alors l'emporter sur le droit de propriété, de sorte que l'époux associé peut seul disposer de ces parts pendant cette période et que seule leur valeur au jour du partage doit être portée à l'actif de communauté, qu'il s'agisse d'une vente701 ou d'une donation702. Cette règle prétorienne surprend si l'on se place sous le prisme du droit des régimes matrimoniaux. En effet, pendant la communauté, les règles de la cogestion de l'article 1424 du Code civil s'appliquent, imposant le consentement du conjoint de l'époux pour la cession de ces parts, alors que pendant l'indivision post-communautaire, l'époux associé peut les céder seul. Ce constat pousse naturellement à s'interroger sur l'opportunité de maintenir en communauté la règle de la cogestion s'agissant de la cession de ses parts sociales par l'époux commun en biens703.
– Perception des dividendes. – À la dissolution de la communauté, il y a lieu de transposer la solution donnée par la Cour de cassation s'agissant du sort des dividendes en cours de régime, en dissociant le droit exclusif de l'époux associé à percevoir les dividendes, et le droit de son conjoint sur la valeur de ces dividendes. En effet, il convient ici de rappeler que les bénéfices et dividendes perçus par l'époux associé pendant l'indivision post-communautaire constituent des fruits accroissant à l'indivision (C. civ., art. 815-10)704. En d'autres termes, il doit restituer à son conjoint la moitié des dividendes perçue par ses soins jusqu'au partage. Bien évidemment, cette restitution doit cependant tenir compte de la fiscalité supportée par l'associé en contrepartie des sommes reçues à ce titre. Il n'empêche qu'une telle restitution peut générer des tensions lors des opérations liquidatives, l'époux associé ayant quelques difficultés à admettre que le fruit de son travail puisse être partagé avec son ex-conjoint, parfois plusieurs années après le divorce705.
Parts négociables
– Application de principe des règles de l'indivision. – Une fois la communauté dissoute, les actions communes sont soumises au régime de l'indivision post-communautaire. Partant, chacun des époux indivisaires des actions devrait en conséquence recevoir la qualité d'actionnaire et exercer les droits qui y sont attachés selon les règles de l'indivision, de sorte que le conjoint de l'époux actionnaire serait alors en mesure de s'immiscer dans les affaires sociales. C'est pourquoi la jurisprudence préconise des solutions qui visent à permettre à l'actionnaire d'agir seul pendant l'indivision post-communautaire, tout en préservant les droits de son conjoint, qu'il s'agisse de la cession des actions ou de la perception des dividendes.
– Cession des actions. – En toute logique, la cession des actions devenues indivises devrait nécessiter l'accord des deux époux en vertu de la règle de l'unanimité (C. civ., art. 815-3), à défaut de quoi cette cession serait inopposable au conjoint, qui pourrait en revendiquer la propriété entre les mains du cessionnaire. Les magistrats du quai de l'Horloge adoptent toutefois une interprétation plus nuancée en précisant que « (…) durant l'indivision post-communautaire, l'aliénation d'actions indivises par un époux seul est inopposable à l'autre, de sorte que doit être portée à l'actif de la masse à partager la valeur des actions (…) »706. Et la Haute juridiction de préciser qu'en cas de cession irrégulière des actions au cours de l'indivision post-communautaire, c'est la valeur de ces dernières « au jour du partage (…) qui doit être portée à l'actif de la masse à partager »707, sans qu'aucune distinction ne soit à opérer selon l'origine de la plus-value ou moins-value prise par les titres depuis leur aliénation.
In fine, la solution ici consacrée est donc identique à celle préconisée pour les parts non négociables. Partant, et à l'instar d'un auteur, nous avouons peiner à comprendre « la restriction aux seules parts sociales de la distinction du titre et de la finance. N'est-il pas paradoxal de refuser aux actions, appelées à circuler plus librement, un principe destiné précisément à faciliter les cessions ? Pourquoi accepter d'anticiper les effets du partage des parts sociales, et le refuser pour les actions ? Pourquoi, en somme, traiter si différemment ce qui se ressemble tant ? »708.
– Perception des dividendes. – Au regard du droit de l'indivision, la perception des dividendes peut s'analyser comme un acte d'administration soumis à la règle de majorité des deux tiers prévue à l'article 815-3 du Code civil. Il en résulte concrètement que l'époux actionnaire est censé obtenir le consentement de son conjoint pour percevoir des dividendes. En pratique, l'on éprouve pourtant quelques réticences à imaginer que le conjoint de l'époux associé puisse ainsi s'immiscer dans les orientations stratégiques de la société, en refusant, le cas échéant, de consentir à une distribution de dividendes souhaitée par les actionnaires. Une telle solution interpelle d'autant plus que, s'agissant des parts sociales non négociables, l'époux détenteur desdites parts dispose d'une plus grande liberté de manœuvre709.