Aspects civils

Aspects civils

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Une structure très peu contraignante. – L'impression générale qui se dégage, à l'évocation des aspects civils du régime de la société en participation, est celle d'une structure très peu contraignante, que ce soit au stade de sa constitution (§ I), de son fonctionnement (§ II) ou de sa dissolution (§ III).

Constitution

– Simplicité de constitution. – Parmi les différents critères pris en compte par les parties pour sélectionner un montage permettant de répondre à leur besoin d'organiser la détention en commun d'un patrimoine, la simplicité occupe souvent en pratique une place déterminante. Or l'indivision est déjà, en elle-même, une situation complexe. La technique retenue pour organiser cette situation ne doit donc pas ajouter à cette complexité. La société en participation devrait permettre de répondre à cet impératif, puisqu'il s'agit de « la plus simple, la plus consensuelle des sociétés »780. Sa constitution n'est en effet soumise à aucune condition de forme (A) et doit respecter très peu de conditions de fond (B).

Conditions de forme

– Absence de formalisme. – La création d'une société en participation n'est soumise au respect d'aucune condition de forme : l'établissement de statuts écrits est facultatif (I) et il n'y a pas de formalités constitutives (II).

Caractère facultatif des statuts écrits

– Validité en l'absence d'écrit. – Par dérogation au droit commun781, la société en participation peut valablement être constituée sans statuts écrits782. Cette absence de formalisme est la conséquence de la règle de preuve énoncée à l'article 1871 du Code civil783. En théorie, ce type de société pourrait donc rester purement verbal ou, du moins, ne résulter d'aucun écrit spécial784. En pratique, cependant, les tribunaux sont réticents à reconnaître l'existence d'une société en participation en l'absence de tout acte écrit785. L'établissement de statuts écrits apparaît dès lors comme un impératif de sécurité juridique.
– Nécessité d'un écrit. – La création d'une société en participation impose en fait la rédaction de statuts écrits, et ce pour au moins deux raisons. La première est qu'un accord purement verbal semble difficilement compatible avec la complexité des règles de fonctionnement de ce type de structure. La seconde est que l'on voit mal comment clarifier et organiser les rapports entre indivisaires sans passer par l'écrit. À cet égard, on relèvera qu'au-delà de ses vertus probatoires et pacificatrices, l'acte notarié devrait s'imposer aussi pour des raisons de garantie de conservation. Il faut se rappeler, en effet, que la société ne sera pas immatriculée ; ses statuts ne seront donc pas conservés par le greffe.

La rédaction de statuts de société en participation, une prestation non tarifée

Contrairement à la convention d'indivision, la rédaction des statuts d'une société en participation ne fait pas partie des prestations dont le tarif est fixé par l'État. Cet acte est donc rémunéré par un honoraire786. S'ils sont établis par acte notarié, les statuts sont en outre obligatoirement soumis à la formalité de l'enregistrement787. La formalité doit être effectuée auprès du service de l'enregistrement dont dépend le notaire rédacteur, les statuts de société en participation ne faisant pas partie des actes enregistrés sur états788.

Absence de formalités constitutives

– Absence d'immatriculation de la société. – La société en participation naît de la volonté des associés de ne pas immatriculer la société789. Par définition, aucune formalité n'est donc à réaliser auprès du registre du commerce et des sociétés, que ce soit au moment de sa création ou lors d'une modification ultérieure790. Les statuts, s'ils existent, ne font l'objet d'aucun dépôt au greffe ; la constitution de la société n'est pas publiée ; les associés ne sont pas tenus de s'identifier au registre des bénéficiaires effectifs. Autant dire que ce type de structure est parfaitement adapté aux individus souffrant de « phobie administrative ».
– Déclaration à l'administration fiscale. – Bien qu'elle ne soit pas immatriculée, la société en participation doit néanmoins être déclarée à l'administration fiscale791, notamment pour la perception des droits d'enregistrement792. Cette formalité ne lui fait cependant pas perdre son caractère occulte793 : connue du fisc, la société reste inconnue des tiers. Cette formalité n'implique pas non plus la révélation de l'identité de tous les associés, dont certains pourraient vouloir conserver l'anonymat. Le cas échéant, la société supportera l'impôt sur les sociétés sur la fraction des bénéfices revenant aux associés non déclarés794.

Conditions de fond

– Respect du droit commun des sociétés. – Les conditions de fond applicables à la création d'une société en participation sont assez peu nombreuses et tiennent principalement au respect du droit commun des sociétés :
  • pluralité d'associés ; cette condition sera par définition satisfaite lorsque la société aura pour support une indivision ;
  • volonté de s'associer ou affectio societatis ; à notre avis, cette volonté doit être clairement exprimée dans les statuts – par exemple dans un préambule ou un exposé –, qui doivent traduire la volonté des participants de s'écarter d'une simple indivision conventionnelle795 ;
  • licéité de l'objet, qui peut être civil ou commercial ; cette exigence ne soulève pas de difficulté s'agissant, là encore, d'une société constituée en vue d'organiser une indivision ;
  • existence d'apports ; ces apports pourraient avoir pour objet les droits indivis dans le ou les immeubles dont il s'agit d'organiser la détention en commun796. Les associés peuvent par ailleurs effectuer des apports en numéraire, mais également en industrie797. Cette dernière possibilité, qui ne se retrouve pas dans l'indivision conventionnelle, offre un moyen de valoriser la force de travail d'un ou plusieurs indivisaires ;
  • vocation aux bénéfices et aux pertes ; les participants sont libres de définir les modalités de répartition des bénéfices et de contribution aux pertes, sous réserve de la prohibition des clauses léonines798. Pour rappel, celle-ci n'interdit que les stipulations « attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes [et] celles excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes (…) »799. Les clauses créant de simples inégalités de traitement ne sont donc en rien prohibées. De même, et contrairement à une idée répandue, la répartition des bénéfices et des pertes ne doit pas forcément être proportionnelle aux apports800.

Le statut des biens apportés à la société en participation : trois possibilités

L'immense liberté dont jouissent les associés se manifeste ici à travers la possibilité de choisir le statut des biens mis en société. Sur ce point, il faut commencer par préciser qu'en principe, l'apport au profit d'une société en participation s'analyse juridiquement en une mise à disposition, non translative de propriété801. Cela étant, trois possibilités s'offrent aux associés :
le bien reste appartenir à l'associé apporteur 802. Ce statut est peut-être le plus intuitif, du moins en apparence. La société n'ayant pas la personnalité juridique, le bien apporté ne peut devenir sa propriété ; il reste donc appartenir à l'associé apporteur. La subtilité tient cependant au fait qu'un tel apport est tout de même translatif de propriété à l'égard de l'administration fiscale803 ;
le bien est placé sous le régime de l'indivision 804. Ce statut est susceptible de recouvrir deux hypothèses distinctes : soit l'indivision est préexistante à l'apport, et alors celui-ci ne modifie pas la situation juridique du bien aux yeux des tiers ; soit le bien est la propriété privative d'un associé, et alors l'apport a pour effet de le soumettre au régime de l'indivision. Dans cette seconde hypothèse, l'apport au profit de la société en participation emporte exceptionnellement un transfert de propriété, mais au bénéfice des coassociés de l'apporteur ;
le bien mis à disposition est, à l'égard des tiers, la propriété d'un seul associé, généralement le gérant 805. Ce statut est sans doute le plus original. Pour le comprendre, il faut prendre un peu de distance avec la conception classique de la propriété privative, héritée du Code civil. En effet, les biens placés sous ce régime ne changent juridiquement pas de propriétaire – ils sont généralement en indivision –, mais vont simplement apparaître aux yeux des tiers comme la propriété d'un seul individu. Ce procédé permet de conserver un caractère occulte à la société en participation : derrière un propriétaire unique se dissimule la propriété collective des participants. Cette situation peut être comparée à celle des biens identifiés comme appartenant au « chef de famille » ou au « chef de tribu ».

Fonctionnement

– Liberté dans la complexité. – Le fonctionnement de la société en participation traduit une forme de liberté dans la complexité. En effet, si les associés disposent d'une très grande latitude pour définir les règles de fonctionnement de la structure, ils doivent néanmoins tenir compte d'une contrainte de taille, liée à l'absence de personnalité juridique. Cette contrainte est source de complexité, car elle nécessite en permanence de distinguer les rapports des associés entre eux (A) et les rapports des associés avec les tiers (B).

Rapports des associés entre eux

– Liberté contractuelle. – Les rapports des associés entre eux sont régis par la liberté contractuelle. C'est dire que, sous réserve du respect du droit commun des sociétés, les statuts sont totalement libres de définir la règle du jeu qui s'appliquera dans l'ordre interne. Dans le silence du pacte statutaire, les rapports des associés entre eux seront régis par les dispositions applicables aux sociétés civiles si la société présente un caractère civil, ou par celles applicables aux sociétés en nom collectif si la société présente un caractère commercial806. On notera qu'en tous les cas, les associés ont le droit d'être informés et de participer à la conduite des affaires sociales807, prérogatives qui ne se retrouvent pas en tant que telles dans l'indivision conventionnelle.
– Pouvoirs du gérant. – Le principe de liberté contractuelle est également de mise en ce qui concerne la définition des pouvoirs du gérant808. Les associés ne sont donc pas tributaires des bornes relativement étroites dans lesquelles sont enfermés les pouvoirs du représentant de l'indivision conventionnelle, pratiquement cantonnés aux actes d'administration, ce qui permet d'envisager une gestion plus dynamique de la structure. D'où, d'ailleurs, l'importance de définir clairement dans les statuts les pouvoirs du gérant. À défaut, celui-ci peut faire tous actes de gestion dans l'intérêt de la société809, ce qui représente déjà bien davantage que ce qu'autorise l'indivision conventionnelle. Par ailleurs, en sa qualité de mandataire des associés, le gérant est responsable des fautes commises dans sa gestion810.

Rapports des associés avec les tiers

– Un principe simple, complexifié par des exceptions. – En théorie, les rapports des associés avec les tiers répondent à une règle simple, qui est la conséquence directe de l'absence d'immatriculation : dans l'ordre externe, tout se passe comme si la société n'existait pas. Ce principe (I) connaît toutefois plusieurs exceptions (II), qui viennent en complexifier la mise en œuvre.

Principe

– Une société qui fonctionne à l'envers. – Les tiers n'ont normalement pas connaissance de la société en participation, qui n'a pas vocation à leur être révélée. Dans l'ordre externe, tout se passe donc comme si la société n'existait pas. D'où la règle suivant laquelle « chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers »811. Cette règle vaut également pour le gérant, associé ou non812. C'est ce qui fait dire à certains auteurs que « la société en participation fonctionne (…) à l'envers des autres sociétés »813.
Ainsi, par exemple, l'associé qui mandaterait une entreprise pour la réfection de la toiture d'un immeuble mis à disposition de la société en participation apparaîtra seul sur la facture et sera normalement seul tenu de la payer. L'existence de la société lui permettra simplement de récupérer tout ou partie de la dépense sur ses coassociés, en fonction des prévisions des statuts. Simple en apparence, ce principe s'avère toutefois complexe à mettre en œuvre, en raison des exceptions dont il est assorti.

Exceptions

– Trois situations. – La complexité du fonctionnement de la société en participation tient au fait que, dans certains cas, la loi prévoit que l'acte conclu par l'un des associés, gérant ou non, aura pour effet d'engager également tout ou partie de ses coassociés. La société en participation retrouve alors le fonctionnement d'une société « classique », ce qui s'avère pour le moins contre intuitif s'agissant d'une structure non dotée de la personnalité juridique. Trois situations sont envisagées : la révélation de la société en participation aux yeux des tiers, l'immixtion d'un associé et l'existence d'un associé ayant tiré profit de l'opération814.

Dissolution

– Liberté de définir les causes de dissolution de la société. – Les causes de dissolution de la société en participation sont celles des sociétés civiles, si la société présente un caractère civil, et celles des sociétés en nom collectif, si la société présente un caractère commercial815. En tous les cas, les statuts peuvent prévoir, en dehors des situations usuelles (par ex. : arrivée du terme statutaire, réalisation ou extinction de l'objet social, etc.)816, d'autres hypothèses de dissolution817. C'est dire que les associés sont totalement libres de définir les causes de dissolution de la société.
Partant, tout est affaire d'imagination. On pourrait ainsi concevoir, par exemple, que la société soit dissoute au-delà d'un certain nombre d'associés, afin d'éviter un trop grand émiettement de l'indivision, ou bien encore conditionner la dissolution à la survenance d'un événement d'ordre personnel affectant un associé (par ex. : mariage, divorce, etc.) Plus intéressante encore est la faculté de suspendre la dissolution unilatérale de la société.
– Faculté de suspendre la dissolution unilatérale de la société. – En dehors de la possibilité pour tout associé de solliciter en justice la dissolution pour « justes motifs »818, le premier alinéa de l'article 1872-2 du Code civil précise que : « Lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les associés, pourvu que cette notification soit de bonne foi, et non faite à contretemps ». Il s'agit d'une hypothèse de dissolution propre aux sociétés en participation819 puisque les sociétés immatriculées doivent nécessairement avoir une durée déterminée820. L'objectif est ici d'éviter qu'un associé ne reste « indéfiniment prisonnier » de la structure821. Dans la mesure toutefois où ne sont visées que les sociétés à durée indéterminée, il faut en déduire que la faculté de dissolution unilatérale peut être écartée dans les sociétés en participation constituées pour une durée déterminée. Or cette durée peut aller jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans ! En pratique, les associés peuvent donc être privés pendant près d'un siècle de la faculté de dissolution unilatérale, ce qui permet de remédier de façon remarquable à la précarité de l'indivision822.