– Une représentation intellectuelle plus complexe. – Si l'on conçoit instinctivement ce que représente un usufruit successoral sur un actif immobilier corporel, l'usufruit portant sur des actifs financiers est plus difficile à appréhender, tant pour nos clients que pour les praticiens que nous sommes. La première question que se pose le notaire est la suivante : l'usufruit est-il un quasi-usufruit naturel, ou un simple usufruit pouvant être commué en quasi-usufruit conventionnel ? Selon la classe d'actif, l'usufruitier disposera sur les instruments financiers de pouvoirs comparables à ceux d'un propriétaire (s'il est quasi-usufruitier) ou d'un simple droit à percevoir des dividendes et intérêts (s'il est usufruitier). De cette question découlent les modalités de fonctionnement des comptes bancaires du survivant du couple. Il conviendra de distinguer selon la nature des instruments financiers. La « capacité créatrice des établissements bancaires et du législateur en matière de produits et supports d'investissement »1154 semble infinie et laisse le notariat parfois démuni pour apprécier la nature des droits démembrés suivant qu'ils sont consomptibles ou fongibles et placés sur un support imposant une universalité de fait ou de droit. Du simple compte de dépôt bancaire au véhicule complexe d'investissement au régime fiscal dérogatoire, les variations sont très étendues.
Actifs financiers
Actifs financiers
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Mécanismes directeurs. – Chaque fois que l'actif fait naître une créance monétaire, s'ouvre un quasi-usufruit naturel, tandis que lorsqu'il est placé dans une enveloppe d'investissement, il convient de distinguer les droits de l'usufruitier sur l'enveloppe, d'une part, et sur le contenu de l'enveloppe, d'autre part.
En pratique, par plusieurs arrêts dont le plus emblématique est l'arrêt Baylet rendu le 12 novembre 19981155, la Cour de cassation a résolu la question des actifs placés sous enveloppe par la « notion d'universalité du portefeuille ». Les valeurs mobilières n'étant pas consomptibles par le premier usage, elles ne sont pas soumises à un quasi-usufruit naturel. Néanmoins, l'usufruit confère à son titulaire le droit de vendre les titres sans accord du nu-propriétaire « dans lamesure où ils sont remplacés ». Ce début de cadre juridique autour de la notion de portefeuille apprécié dans son universalité de fait laisse une liberté à l'usufruitier pour opérer des arbitrages, sans pour autant régler toutes les questions1156. Seul le recours à une convention pourrait faire naître un véritable quasi-usufruit.
Sur le plan fiscal, la déductibilité de la dette, au second décès, comme vient de le rappeler un récent arrêt de la Cour de cassation, n'est acquise de plein droit qu'en présence d'un quasi-usufruit naturel. La transmission d'un portefeuille de valeurs mobilières démembré (que les parties ne souhaitent pas liquider) appelle nécessairement un partage ou l'établissement d'une convention écrite. L'un ou l'autre seront systématiquement conseillés pour préciser les droits des parties et assurer la déductibilité de la dette1157.
– Sort des actifs financiers au décès du titulaire. Classification. – Le tableau synthétique ci-après reprend le sort au décès du titulaire, des différentes classes d'actifs.
Nature des actifs financiers | Nature des droits démembrés |
---|---|
Compte de dépôt, compte chèque, CCP | Quasi-usufruit |
Épargne réglementée : livret d'épargne, livret A, comptes sur livret (CSL), livret de développement durable et solidaire (LDDS), livret d'épargne populaire (LEP) | Quasi-usufruit (le décès entraîne la clôture de ces contrats nominatifs, sauf exception) |
Plan d'épargne en actions (PEA) (compte actions et compte espèces qui forment ensemble une universalité) | Usufruit (le décès entraîne la clôture du plan qui se transforme en compte titres ordinaire) |
Portefeuille de valeurs mobilières : compte d'instruments financiers (CIF), compte titres ordinaire (CTO) | Usufruit |
Valeurs mobilières en compte nominatif pur | Usufruit |
Contrat/ bon de capitalisation | Usufruit sur le bon (pas de quasi-usufruit sur le contenu du bon sauf dérogations conventionnelles) |
Compte épargne-logement (CEL) | Quasi-usufruit si clôture (droits attachés au livret à partager, en cas de reprise) |
Plan épargne-logement (PEL) | Quasi-usufruit si clôture (droits attachés au plan à partager si reprise) |
Titres en capital investissement (private equity) | Usufruit |
Compte de dépôt à terme (DAT) | Usufruit sur le compte non clôturé et quasi-usufruit au terme convenu, ou au dénouement en cas de résiliation anticipée au décès (selon les contrats, au décès, le compte est soit automatiquement clôturé, soit sur demande des héritiers) |
Plan d'épargne populaire bancaire (PEP bancaire) | Quasi-usufruit si clôture (droits attachés au plan à partager si reprise) |
Ancien plan d'épargne populaire assurance (PEP assurance) | Selon clause bénéficiaire |
Plan d'épargne-retraite (PER) (bancaire ou assurance) | Selon clause bénéficiaire le cas échéant (si PER assurance), et quasi-usufruit sur la sortie en rente (si PER bancaire) (le décès entraîne la clôture du plan) |
Contrat d'assurance-vie dénoué (avec clause bénéficiaire démembrée) | Selon clause bénéficiaire : quasi-usufruit ou usufruit si obligation de remploi prévue dans la clause par le souscripteur |
Contrat d'assurance-vie du conjoint non dénoué | Incertitudes sur l'existence même d'une valeur de rachat en l'absence de demande de rachat (pas de quasi-usufruit) Sur le quasi-usufruit naturel d'un contrat non dénoué : « Lorsque les sommes ne sont pas immédiatement exigibles [ce qui est le cas d'une créance non remboursée], l'usufruit d'une créance non échue ne répond pas du régime de l'article 587 du Code civil » : A. Trescases, Assurance et droits des régimes matrimoniaux : Defrénois 2007, p. 278, no 394. Sur le quasi-usufruit conventionnel d'un contrat non dénoué : « Nous ne partageons pas l'analyse selon laquelle l'établissement d'un quasi-usufruit conventionnel serait possible sur un contrat d'assurance-vie non dénoué » : P. Julien-Saint Amand et S. Gonsard, Assurance-vie et contrat de capitalisation : FR Lefebvre 2019, p. 135, no 1560. . À traiter en famille recomposée dans le cadre d'un partage. |
Cryptomonnaie | Question discutée : incertitudes. |
– Quelques précisions sur les produits complexes. – S'agissant du PEA, la tentation pourrait être de penser que le compte titres et le compte espèces sont soumis à deux régimes différents. Or, dans la mesure où les deux comptes ne peuvent pas fonctionner indépendamment, il semble que l'universalité du portefeuille concerne les deux comptes. Il est donc inexact d'écrire dans une convention de quasi-usufruit que le compte « PEA espèces » subit un quasi-usufruit naturel.
Un autre point d'attention est à relever vis-à-vis des valeurs inscrites en compte nominatif pur. Ces actions sont conservées directement chez l'intermédiaire choisi par l'émetteur et gérées par le service relation actionnaires. Contrairement aux actions au porteur (et celles en compte nominatif administré), les actions ne sont pas placées dans un « portefeuille » chez un intermédiaire financier. À leur égard, la notion d'universalité de portefeuille a peu de sens. Elles ne sauraient être remplacées que par les mêmes actions. Il est donc plus logique de considérer qu'elles sont soumises à un usufruit pouvant être commué en quasi-usufruit conventionnel.
Bon de capitalisation et quasi-usufruit : danger
Le bon ou contrat de capitalisation revêt, compte tenu de son enveloppe fiscale, une particularité au regard du démembrement dans la mesure où il ne produit pas de fruits. La seule méthode pour que le contrat soit frugifère est de le prévoir conventionnellement.
Il est donc usuel, soit lors de la souscription du bon, soit au moment du décès, que soit établie une convention bancaire sur les fruits. Par avenant, l'usufruitier avec l'accord du nu-propriétaire peut se réserver la faculté de racheter une partie du contrat dans la limite de son accroissement. La convention bancaire autorisant l'usufruitier à « racheter » plus que l'accroissement du contrat est l'unique cas dans lequel naît un quasi-usufruit. La plupart des compagnies prévoyaient ainsi que le surplus soit versé avec l'accord du nu-propriétaire sous la forme d'un quasi-usufruit. Mais le nouvel article 774 bis du Code général des impôts couvre désormais cette hypothèse dans le dispositif anti-abus. Il est donc préférable, depuis lors, de se placer en remploi en démembrement1159.
Pour toutes ces raisons, l'insertion d'un contrat de capitalisation ne s'improvise pas sans collaboration avec l'établissement financier.