Origine historique

Origine historique

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Repères historiques. – Dans le contexte qui nous occupe, le développement de la vocation en usufruit est intimement lié à la promotion du conjoint survivant, si bien que l'on ne saurait comprendre la place qu'occupe actuellement la première sans s'intéresser à l'évolution du statut du second. À cet égard, force est de constater que l'essor du conjoint survivant au sein de la hiérarchie successorale est un phénomène assez récent à l'échelle de l'histoire du droit patrimonial de la famille. Longtemps tenu à distance, cet héritier « pas comme les autres » ne jouit d'une vocation concurrente à celle des descendants que depuis la toute fin du XIX e siècle (L. 9 mars 1891) ; il n'est dispensé de la vérification de son titre héréditaire que depuis un peu plus de soixante-cinq ans (Ord. 23 déc. 1958) et sa vocation légale en présence de descendants ne s'étend à l'usufruit de toute la succession que depuis une grosse vingtaine d'années1056, à condition toutefois qu'il n'existe pas d'enfant non issu des deux époux (L. 3 déc. 2001)1057. Encore aujourd'hui, cette vocation demeure supplétive en présence de descendants1058, ce qui témoigne de sa fragilité.
Ces quelques repères historiques ne permettent cependant pas d'expliquer ce lien intime qui existe, en droit des successions, entre usufruit et vocation du conjoint survivant. En réalité, ce lien est la traduction d'un compromis qui s'est avéré nécessaire à partir du moment où cet héritier à part s'est vu reconnaître une vocation légale concurrente à celle des descendants. Cette évolution s'est produite il y a un peu plus de cent trente ans.
– Choix en faveur d'une vocation légale en usufruit. – La dernière décennie du XIX e siècle marque une étape fondamentale dans la promotion du conjoint survivant. La loi du 9 mars 1891 accorde en effet à ce dernier une vocation légale concurrente à celle des héritiers du sang. La rupture est profonde avec le droit antérieur, qui s'était employé jusqu'alors – certes, avec quelques nuances – à évincer toute confrontation entre la parenté et l'alliance.
Cette (r)évolution soulevait toutefois un problème majeur, tenant à la définition d'une vocation légale propre à permettre au survivant d'assurer sa subsistance après le veuvage, sans heurter la vocation des descendants à recueillir les biens de l'hérédité. Pour ce faire, le choix en faveur de droits en usufruit s'est tout de suite imposé. De fait, seul le démembrement permettait de concilier ces deux impératifs potentiellement contradictoires1059. C'est ce compromis qui est à l'origine du lien unissant, en matière successorale, l'usufruit à la vocation du conjoint survivant.
– Justification politique et technique. – Le choix en faveur de droits en usufruit s'est imposé principalement pour deux raisons : l'une d'ordre politique, l'autre d'ordre technique. Politiquement, il fallait sauvegarder le principe de conservation des biens dans leur famille d'origine. Or, historiquement, « on évitait soigneusement de donner au conjoint survivant une part en propriété, tant qu'il existait des héritiers prioritaires, afin que les biens ne passent pas d'une famille à une autre »1060. Techniquement, l'usufruit permet, en raison de son caractère viager, d'assurer une temporisation de la dévolution de l'hérédité propre à concilier la fonction des successions entre époux avec celle des successions dévolues aux descendants. Ce compromis, adopté par la réforme de 1891, s'est maintenu sans grand changement jusqu'au début du XXI e siècle.
– Le tournant de la loi du 3 décembre 2001. – Il a fallu plus d'un siècle pour que la promotion du conjoint survivant connaisse un nouvel essor, avec la loi du 3 décembre 2001. Sans entrer dans les détails de cette réforme, qui est à l'origine de la physionomie actuelle des successions entre époux, on retiendra simplement qu'elle faisait surgir une difficulté nouvelle, tenant à la nécessité de concilier la faveur pour le conjoint survivant avec la protection des enfants non communs. La façon dont législateur a tranché cette difficulté a profondément bouleversé le compromis issu du droit antérieur. Comme le souligne le professeur Grimaldi, « le parti pris par le législateur de 2001 (…) réalise (…) un complet renversement de politique législative. Jusque-là, dans le cas où le conjoint se trouvait en présence d'un enfant non commun, la loi privilégiait la vocation en usufruit afin d'assurer la conservation des biens dans la famille. Si donc cette politique avait été suivie en 2001, l'option entre usufruit et propriété aurait certes été refusée au conjoint, mais pour ne lui accorder qu'un droit en usufruit »1061. Par crainte des dangers potentiels du démembrement de propriété pour les enfants non communs, le législateur a préféré « fermer l'option » habituellement offerte au conjoint survivant, pour ne lui reconnaître que des droits en propriété.
– Un arbitrage en trompe l'œil. – Paradoxalement, le législateur de 2001 a donc rompu avec la fonction temporisatrice de l'usufruit dans une configuration où sa raison d'être (i.e. la conservation des biens dans la famille) paraissait d'autant plus justifiée. Surtout, ce choix législatif est en réalité un arbitrage en trompe-l'œil. De fait, si l'on considère dans sa globalité le statut du conjoint survivant en présence d'enfants non communs, les dispositions combinées des articles 757, 764 et 765 du Code civil1062 aboutissent in fine à faire ressurgir, par le truchement du droit viager au logement, ce démembrement de propriété que l'on refuse au beau-parent. Si l'on ajoute à cela que le principal actif successoral est souvent le logement familial, alors la conclusion s'impose d'elle-même : les enfants non communs ne sont pas moins que les autres exposés au démembrement de propriété. À travers cette institution, ce n'est donc pas seulement le sort des enfants communs qui est en cause, mais bien celui de tous les enfants du défunt.
C'est ainsi qu'historiquement, la vocation successorale en usufruit porte en elle un arbitrage entre deux titres héréditaires concurrents : le titre héréditaire fondé sur l'alliance et celui reposant sur la parenté. Et, contrairement, à ce que l'on pourrait croire, cet arbitrage survit dans son principe en cas de concours du conjoint survivant avec un ou plusieurs enfants non communs. Cette fonction qu'assure en la matière le démembrement de propriété permet d'en comprendre les singularités.