Les pouvoirs du mandataire posthume

Les pouvoirs du mandataire posthume

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Deux périodes. – S'agissant des pouvoirs du mandataire posthume, la loi distingue deux périodes. Tant qu'aucun héritier n'a accepté la succession, le mandataire ne peut accomplir que les actes ne valant pas acceptation tacite542. Une fois qu'au moins un héritier soumis au mandat a accepté la succession (acceptation pure et simple ou à concurrence de l'actif net), la loi est peu diserte et évoque sans plus de précision un « mandat d'administrer ou de gérer ». En fait, il appartient tout d'abord au mandant de déterminer les pouvoirs qu'il entend conférer au mandataire posthume : il peut les circonscrire à certains actes d'administration ou de gestion limitativement énumérés. Il peut aussi lui confier des pouvoirs en termes généraux. Qu'englobent-ils alors ? Une circulaire du ministère de la Justice543 a précisé à ce sujet que « sous réserve de l'interprétation souveraine des juridictions, la notion de gestion autorise le recours à des actes de disposition de certains éléments du patrimoine lorsqu'ils s'insèrent dans une logique de conservation, d'administration ou de valorisation du patrimoine successoral ». Autrement dit, sous la seule réserve de pouvoir disposer de certains biens dans le cadre de sa mission de gestion, le mandataire posthume n'a pas le pouvoir d'aliéner les biens successoraux soumis à son mandat. Et c'est là, l'une des principales faiblesses de cet outil d'anticipation.
– Fragilité du mandat. – Cet outil d'anticipation successorale présente un inconvénient majeur au regard de l'objectif recherché par le de cujus. Alors que le mandat à effet posthume s'impose aux héritiers par la volonté du de cujus, la loi leur reconnaît un moyen indirect d'y mettre fin en aliénant les biens qui en sont l'objet544. Dans ce cas, ils conserveront la valeur, qu'ils pourront gérer et administrer librement. En autorisant les héritiers à aliéner les biens compris dans le mandat, le législateur leur a donné la possibilité d'annihiler la mission du mandataire. La question s'est alors posée de savoir si le mandataire pouvait s'opposer à cette aliénation par les héritiers (ou leur représentant légal) des biens soumis au mandat. Une réponse négative a été apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 mai 2010545 mettant en exergue le point faible de ce dispositif.
– Solutions proposées. – Quelles solutions envisager alors pour contrer cet inconvénient majeur ? On pourrait adjoindre une clause d'interdiction d'aliéner au mandat. Une telle clause ne peut être qu'adossée à un legs et se heurte à une double limite. Elle doit, tout d'abord, être temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime546, et surtout, elle ne peut pas grever les biens composant la réserve des héritiers qui doit être recueillie libre de toute charge547. On pourrait aussi cumuler le mandat avec l'exclusion de l'administration légale en présence d'héritier mineur. Ce cumul permettrait d'éviter tout conflit entre le mandataire posthume et l'administrateur légal.
– Inefficacité du mandat. – Le mandat à effet posthume a été essentiellement conçu comme un instrument à destination des chefs d'entreprise en vue d'assurer la pérennité des entreprises en cas de décès du dirigeant et de sauvegarder les emplois. En revanche, appliqué à une entreprise exploitée sous forme sociétale, le mandat à effet posthume semble assez inadapté. Au mieux, il risque de se révéler d'une utilité limitée, au pire, dépourvu de toute efficacité. D'une utilité limitée tout d'abord, parce qu'entre le mandataire et l'entreprise se dresse l'écran de la personnalité morale. Ce sont les parts sociales ou les actions appartenant aux héritiers que le mandataire a le pouvoir d'administrer, non la société elle-même. Ses pouvoirs sont alors essentiellement limités au droit de voter dans les assemblées, et encore faudra-t-il distinguer le vote relevant d'un acte d'administration de celui constitutif d'un acte de disposition. On peut donc penser que la compétence du mandataire s'arrête aux assemblées générales ordinaires. Le vote aux assemblées générales extraordinaires reste de la compétence des héritiers, ce qui leur permettra de décider de toute restructuration de la société (fusion, scission, transformation, etc.), voire sa dissolution. Dans certains cas, le mandat à effet posthume pourra même être dénué de toute efficacité. Ce serait notamment le cas en présence de parts ou d'actions indivises entre héritiers dont seuls certains sont représentés par le mandataire posthume. Pour l'exercice du droit de vote attaché aux titres indivis, le droit des sociétés prévoit que les copropriétaires doivent se faire représenter par un mandataire commun (C. civ., art. 1844, al. 2 et C. com., art. L. 225-110, al. 2). Or, rien ne permet d'imposer le mandataire à effet posthume comme mandataire de l'indivision. Si tel n'est pas le cas, le mandataire à effet posthume sera alors lui-même représenté par un mandataire, réduisant ainsi fortement ses pouvoirs. Le mandat pourra se révéler également inefficace si les héritiers se heurtent aux clauses d'agrément et se voient refuser la qualité d'associé, ou bien si les règles de représentation des associés existantes au sein de la société ne permettent pas au mandataire posthume de représenter les héritiers associés. On voit bien qu'en présence d'une entreprise détenue sous forme sociale, le mandat à effet posthume ne sera pas à lui-même suffisant et devra s'inscrire dans une stratégie globale d'anticipation en adaptant également les statuts de la société. On notera la très nette supériorité de la société par actions simplifiée (SAS) sur toutes les autres formes de société pour se conjuguer au mieux avec le mandat à effet posthume. Par sa souplesse d'utilisation et la grande liberté permise dans la rédaction de ses statuts, la SAS sera en mesure de conférer la plus grande efficacité au mandat posthume.