– Conséquences du refus d'agrément. – Si le législateur a souhaité conférer aux associés survivants une totale liberté de choix des successeurs de l'associé décédé, il a également souhaité qu'ils assument la responsabilité de leur décision. Et la décision de refuser l'agrément est lourde de conséquences et ne doit donc pas être prise à la légère. Le refus d'agrément est en effet définitif (A) et il crée à la charge des associés survivants une obligation d'indemnisation (B).
L'agrément refusé
L'agrément refusé
Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
Caractère définitif du refus d'agrément
– Absence de droit de repentir. – Le régime de l'agrément des transmissions de parts sociales par décès dans les sociétés civiles a été conçu par le législateur de telle sorte que la liberté, pour les associés survivants, de choisir le successeur de l'associé décédé, a sa contrepartie dans l'obligation qui leur est faite d'indemniser les héritiers non agréés. Le refus d'agrément n'est donc jamais gratuit et certains l'apprennent à leurs dépens. D'où la question de savoir si les associés survivants peuvent revenir sur leur décision, pour éviter d'avoir à supporter le coût d'un refus d'agrément.
En matière de cession entre vifs, ce droit de repentir est indirectement consacré par le premier alinéa de l'article 1863 du Code civil, qui précise que : « Si aucune offre d'achat n'est faite au cédant dans un délai de six mois à compter de la dernière des notifications prévues au troisième alinéa de l'article 1861, l'agrément à la cession est réputé acquis, à moins que les autresassociés ne décident, dans le même délai, la dissolution anticipée de la société ». Il semble toutefois qu'il en aille autrement en matière de transmission à cause de mort, où il a été jugé que le refus d'agrément était irréversible, peu important que les résultats de l'expertise pour l'évaluation des parts sociales amènent l'associé à devoir verser un montant très élevé, qu'il ne peut honorer.
Obligation d'indemnisation
– Le coût du refus d'agrément. – Le législateur est on ne peut plus clair sur les conséquences du refus d'agrément. Aux termes du premier alinéa de l'article 1870-1 du Code civil, en effet : « Les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur. Cette valeur doit leur être payée par les nouveaux titulaires parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation ». Cette disposition revêt une importance essentielle. Elle traduit en effet le compromis instauré par la réforme de 1978 entre deux objectifs potentiellement antagonistes : la sauvegarde de l'intuitus personae et la préservation des droits de l'hérédité. Après avoir précisé le principe sur lequel repose ce compromis (I), on s'interrogera sur les conditions de mise en œuvre (II) et sur le régime fiscal (III) de l'indemnisation des héritiers ou ayants droit non agréés.
Principe
– Obligation d'indemnisation des héritiers ou ayants droit non agréés. – L'idée qui sous-tend l'article 1870-1 du Code civil est assez simple : en organisant le régime de l'agrément des parts sociales par décès, le législateur a souhaité donner sa pleine expression à l'intuitus personae qui caractérise les sociétés civiles, en laissant aux associés survivants toute liberté de choisir les continuateurs de l'aventure sociétaire. Pour autant, il n'a jamais été question que cette liberté s'exerce – financièrement du moins – au détriment des héritiers ou ayants droit de l'associé décédé. Une chose est de pouvoir leur refuser l'entrée dans la société, une autre est de les priver d'un actif que leur attribuent les règles de la dévolution successorale. L'importance de ce principe justifie que les statuts ne puissent pas y déroger.
– Caractère d'ordre public. – Dans le silence des textes, on pouvait se demander si les statuts peuvent supprimer ou, du moins, aménager le principe d'indemnisation des héritiers ou ayants droit non agréés. On voit bien l'intérêt pratique qu'il y aurait à l'admettre, ne serait-ce que pour assouplir une règle qui s'avère un peu trop dissuasive dans certaines sociétés civiles patrimoniales. Néanmoins, la réponse est certainement négative. La doctrine se prononce majoritairement en ce sens et la Cour de cassation semble avoir indirectement consacré le caractère d'ordre public du principe posé par l'article 1870-1 du Code civil.
Mise en œuvre
– Date et modalités d'évaluation des droits sociaux. – Le second alinéa de l'article 1870-1 du Code civil est parfaitement clair sur ce point : la valeur des parts dont était titulaire l'associé décédé doit être déterminée au jour du décès, dans les conditions prévues par l'article 1843-4 du même code.
– Rachat par un tiers ou par la société. – Deux possibilités s'offrent aux associés survivants pour s'acquitter de l'indemnité revenant aux héritiers ou ayants droit non agréés : trouver un cessionnaire pour les parts de l'associé décédé ou faire racheter celles-ci par la société. La première possibilité revient à faire supporter la dette par un tiers ; la seconde, par l'ensemble des associés survivants. Si le rachat par un tiers ne soulève pas de difficulté particulière, le rachat par la société, en revanche, semble exclu dans certaines hypothèses. Ainsi, par exemple, en cas d'agrément partiel d'une indivision ou en cas d'agrément du titulaire d'un droit démembré.
– Paiement de l'indemnité. – L'article 1870-1 du Code civil ne donne aucune précision sur le règlement aux héritiers ou ayants droit non agréés de la valeur des parts sociales de leur auteur. La jurisprudence est venue préciser que l'indemnité correspondante était exigible à la date du décès de l'associé. Dans le silence des textes, cette indemnité est en principe payable comptant, mais rien n'interdit aux parties de convenir de modalités de paiement. C'est en effet le principe de l'indemnisation qui est d'ordre public et non sa mise en œuvre.
Plus délicate est la question de savoir si les statuts pourraient imposer des modalités de paiement aux héritiers ou ayants droit non agréés. On voit bien l'intérêt pratique que pourrait présenter ce type de clause, en particulier dans les sociétés dont l'objet se limite à la détention d'un ou plusieurs immeubles non productifs de revenus. Les associés survivants pourraient ainsi se ménager le temps nécessaire pour obtenir le financement permettant de désintéresser les héritiers ou ayants droit non agréés ou vendre un actif permettant de dégager des liquidités suffisantes. Certains auteurs l'admettent. À notre connaissance, la jurisprudence ne s'est encore jamais prononcée sur ce point.
Régime fiscal
– Neutralité fiscale. – L'indemnisation des héritiers ou ayants droit non agréés est une opération fiscalement neutre. Ce constat se vérifie tant au regard des droits d'enregistrement (
a
), que de l'impôt sur le revenu (
b
) et de l'impôt sur les plus-values immobilières des particuliers (
c
).
Au regard des droits d'enregistrement
– Rejet de la qualification de cession de parts sociales. – Au regard des droits d'enregistrement, l'indemnisation prévue par l'article 1870-1 du Code civil en cas de refus d'agrément pouvait soulever une difficulté de qualification, dans la mesure où le premier alinéa de ce texte faisait référence à un « rachat ». On pouvait donc se demander si l'opération devait s'analyser en une cession, comme telle soumise aux droits d'enregistrement proportionnels. Cette solution a clairement été rejetée par la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt du 22 octobre 2013, depuis intégré à la doctrine fiscale.
– Imposition au droit fixe. – Au regard des droits d'enregistrement, l'opération consistant à payer aux héritiers ou ayants droit non agréés la valeur des parts sociales de leur auteur est donc passible du seul droit fixe des actes innommés, d'un montant de 125 €. Lorsque cette opération s'effectue dans le cadre d'une réduction de capital, la réduction de capital proprement dite est enregistrée gratis.
Au regard de l'impôt sur le revenu
– Absence d'imposition des héritiers ou ayants droit non agréés. – Sur ce point, il convient également de tirer toutes les conséquences du fait que les héritiers ou ayants droit non agréés n'ont, à aucun moment, acquis la qualité de titulaire des parts sociales de leur auteur. Ils n'ont donc vocation à supporter aucune imposition de ce chef, faute de pouvoir prétendre à une quote-part du bénéfice social.
C'est ainsi que le refus d'agrément représente pour les associés survivants non seulement un coût financier, mais également un coût fiscal, dans la mesure où l'impôt correspondant au résultat imposable sera supporté par les seuls associés survivants à la date de clôture de l'exercice.
Au regard de l'imposition sur les plus-values immobilières des particuliers
– Absence d'imposition sur les plus-values immobilières des particuliers. – Le système mis en place par l'article 1870-1 du Code civil en cas de refus d'agrément rend en réalité sans objet la question de l'imposition sur les plus-values immobilières des particuliers dans la mesure où, d'une part, les héritiers ou ayants droit non agréés n'ont jamais acquis la titularité des parts sociales de leur auteur – il ne saurait donc y avoir une cession susceptible de dégager une plus-value imposable – et, d'autre part, l'indemnisation s'effectue en valeur décès, et ce, quelle que soit la date de règlement effectif de l'indemnité.