La famille, des mots et des idées

La famille, des mots et des idées

Rapport du 121e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2025
– Quatre regards autour de la famille. – La famille est un phénomène si complexe qu'elle ne peut être analysée sous tous les points de vue. Néanmoins, elle peut l'être sous divers angles. Quatre perspectives seront adoptées pour mieux la comprendre : celle du sociologue tout d'abord, qui observe la famille comme un fait de société, du philosophe ensuite qui tente de décrypter la pensée de l'Homme et ses évolutions, de l'économiste qui l'étudie sous un angle plus financier et, pour finir, celle du juriste qui nous permettra d'introduire plus concrètement les propos.
– Cent ans d'observations sociologiques sur la famille. – La famille contemporaine se caractérise, en Occident, par deux particularités concurrentes : le rétrécissement du cercle familial et le pluralisme des modèles009. La « loi du rétrécissement continu de la famille », mise en lumière par Émile Durkheim010, observe la montée de l'individualisme dans les sociétés occidentales et s'accorde avec la coexistence simultanée de nouvelles manières de s'unir et de vivre011. La famille est désormais un groupe social aux visages multiples. En France, ces mouvements ont un double impact sur la famille : l'émergence d'individus autonomes – « la masse fluide des individus » selon l'expression de Durkheim – indépendants du lignage et du groupe familial et le maintien de la force du lien familial, du foyer comme lieu des solidarités. Quant à Emmanuel Todd dans son essai La Troisième Planète, il décrit ce qu'il considère comme étant les quatre systèmes familiaux en Europe012. Il propose une grille de lecture en définissant le modèle français contemporain comme une famille nucléaire, fondée sur la liberté et l'égalité – par opposition à la famille inégalitaire et autoritaire. La France a toujours été assez réfractaire à toute forme d'autoritarisme. Au sein de la famille, la liberté et l'égalité donnent naissance à la fraternité. Enfin, selon l'expression d'Irène Théry, la famille se forme autour du « couple-duo ». Il en constitue le noyau central. Ces tribus aux visages si différents, prévoyantes, solidaires ou éclatées semblent entrer, à présent, dans l'ère de l'individualisation013. Elles vivent couramment des configurations qui étaient, il y a encore cent ans, exceptionnelles.
– La famille face à l'individualisation. – Aujourd'hui, la liberté est placée au sommet de la hiérarchie des valeurs occidentales. Toutefois, elle ne revêt pas la même acception selon les époques. Cette notion complexe est d'ailleurs fondamentale à cerner pour appréhender les évolutions familiales et du droit de la famille contemporain. Le déclin du mariage, la baisse de la natalité, le recul de l'ordre public, la déjudiciarisation, le mouvement de contractualisation ne peuvent pas s'expliquer sans la prise en compte de cette évolution de pensée. Il s'agira d'en dégager modestement les tendances lourdes.
Dans un texte de 1819, Benjamin Constant comparait les libertés des anciens et celle des modernes. Il relevait que les Anciens nommaient « liberté » le partage du pouvoir politique au sein d'un projet collectif de société tandis que les Modernes la rattachaient à l'exercice de leurs droits individuels. Le temps a fait son œuvre au cours du xx e siècle pour renforcer l'individualisme. Puis l'affirmation de l'autonomie de la volonté a fait naître un glissement progressif de l'individualisme à l'individualisation. Ce mouvement puise dans les racines profondes de notre civilisation. Il rend chacun maître de son destin, indépendamment de toutes prescriptions morales, politiques ou religieuses014. La limite à cette aspiration naît de ce qu'elle ne peut fonctionner qu'à un degré maximum de civilisation. Le contrat et le consentement ne sauraient remplacer la nécessité d'une limite d'ordre public015. Les hypothèses projectives en ce domaine révèlent que la progression de l'individualisation pourrait faire exploser d'ici 2050, les inégalités individuelles016. D'où l'importance du maintien d'un cadre collectif intégrant une éthique de responsabilité. En ce sens, la « personnalisation » de la raison, qui prend en compte la notion d'épanouissement personnel et responsable, semble préférable017.
– La famille, un moteur de l'économie. – La famille a longtemps été considérée comme un centre de coût engendrant des dépenses relatives à l'éducation et la santé ainsi que des dépenses de consommation. Aujourd'hui, elle est étudiée à travers le regard novateur de certains économistes comme un lieu d'investissement générant un rendement national. Cette analyse économique de la « théorie du capital humain » soutenant la productivité renouvelle notre approche de la famille018. Ainsi, la mise en place d'une vraie politique de préservation de la famille autour du logement, du travail, de la transmission et du temps familial aurait un impact réel sur toute notre économie. En outre, il est observé que le travail domestique est une donnée ignorée des statistiques publiques. Les économistes la mesurent autour de 35 % du produit intérieur brut français.
– La famille, un « phénomène modelé par le droit » 019 . – La doctrine contemporaine ne s'accorde pas sur des éléments de définition de la famille en droit. Pour certains auteurs, la famille est « un groupe de personnes unies par des rapports de parenté et d'alliance » 020. Pour d'autres, la famille est un groupe de personnes unies par les liens du sang, une communauté de vie ou encore une affection commune021. Le doyen Cornu appréhende la famille en analysant les liens qui unissent ses membres : des liens de sang, de droit, d'affection022. Il définissait la famille comme « un fait, un fait de vie sociale, un mode de vie en société »023. Quant au doyen Carbonnier, il insistait sur le fait que la famille est une institution juridique024. Il la présentait comme un « phénomène modelé par le droit » basé sur des données multiples « biologiques, psychologiques, sociologiques » 025 Si la notion de famille reste finalement indéfinissable, toutes les approches qui en sont données reposent sur deux constantes : la famille serait un groupe de personnes, unies par des liens particuliers.