Propos introductifs de Stéphane DAVID, rapporteur général du 121e Congrès des notaires de France

Rapporteur général du 121 e Congrès des notaires de France
« La famille, lieu d’affection à nul autre pareil, aussi ancien que l’humanité. Ce que nous tous, ou à peu près tous, lui demandons est d’y trouver une vie paisible, ou se développent et se maîtrisent les passions et les intérêts, et s’écoule une longue vie de joies mutuelles. »1
1. – Historiquement et traditionnellement, l’accompagnement des familles est au cœur de la mission du Notaire. Partant, il n’est nullement surprenant de constater que de nombreux congrès se sont intéressés aux questions touchant au droit de la famille, avec en point d’orgue le 95e Congrès intitulé « Demain, la famille ». Dans le droit fil des travaux de l’équipe de Marseille, dirigés par notre éminent confrère Jacques COMBRET, et dans une volonté assumée d’en perpétuer les idées, nous aurions certainement pu intituler notre Congrès : « Aujourd’hui, les familles ». C’est que l’évolution de notre société à pas cadencés, marquée par des bouleversements conjoncturels et structurels, la montée de l’individualisme et du consumérisme, les changements économiques, environnementaux et politiques, les progrès des sciences médicales et des technologies, le développement de la bioéthique, l’allongement de la durée de la vie, l’évolution des mœurs, des mentalités et de la morale, l’internationalisation avec le développement des mutations professionnelles en dehors des frontières nationales (influence des normes européennes et du droit comparé), la modification affectant la population française, avec l’apport de l’immigration et le recul de l’influence de la religion catholique, ont contribué à l’émergence et au développement de nouvelles tribus. Partant, parce que les phénomènes déjà constatés qui ont poussé nos confrères à la réflexion sur le sujet il y a vingt-six ans, se sont accentués et accélérés, que de nouveaux sont apparus depuis lors, il nous est apparu indispensable de remettre l’ouvrage sur le métier.
I. CHOIX D’ORIENTATION
2. – Si « la famille a son droit on pourrait même dire qu’elle en a plusieurs car, à côté du droit civil, il existe un droit pénal de la famille, un droit social, un droit fiscal... qui s’entrecroisent, se chevauchent et, parfois se contredisent »2, mais aussi des ramifications en droit des sûretés, en droit des sociétés, en droit des voies d’exécution, en droit des personnes vulnérables, en droit international privé, etc. En somme, il eût été utopique de vouloir appréhender le droit de la famille dans sa globalité et dans toute sa diversité au sein de cet ouvrage. Il a donc fallu faire des choix et ainsi renoncer à ouvrir certaines portes. Les travaux des équipes de congrès qui nous ont précédés ont permis d’élaguer les sujets à traiter, au travers des thèmes qui ont été abordés, soit de manière générale soit, de façon plus ciblée, par certaines commissions. Outre le Congrès de 1999, que l’on songe notamment, mais pas seulement, s’agissant des congrès les plus récents, aux travaux du 108e Congrès, déjà à Montpellier, consacré à la « transmission » (2012), à ceux du 113e qui avait pour thème « #Familles #Solidarités#Numérique » (2017), à ceux de la deuxième commission du 116e Congrès consacré à la protection des proches (2020), ou encore à ceux de la troisième commission du 118e Congrès consacré à l’ingénierie notariale (2022). Les questions plus spécifiques de droit international privé ont également fait l’objet d’études approfondies par l’équipe du 101e Congrès consacré aux « Familles sans frontière en Europe » (2005) puis par celle du 115e Congrès sur le thème « Famille et patrimoine à l’international » (2019). Il n’a pas été question, dans une très large mesure, de reprendre des thèmes déjà développés par nos prédécesseurs, de sorte que les contours de notre étude se trouvaient largement tracés. Nous avons ainsi concentré nos propos sur les thèmes actuels, qui soulèvent des difficultés en pratique et suscitent l’interrogation et parfois l’incompréhension de nos concitoyens, en somme qui font le quotidien de notre exercice. C’est dire autrement que face à l’abondance de la matière, et même si nous avons souhaité saisir la famille dans tous ses états, le présent ouvrage n’a pas la prétention d’être exhaustif.
3. – Sur le fond, les choix d’orientation de cet ouvrage sont ceux de son président. Des trois piliers du droit mis en exergue par Carbonnier3 – le contrat, la propriété et la famille – seule cette dernière ne fait l’objet d’aucune définition en droit. Parce que « chaque société, chaque époque a sa famille et parfois ses familles »4 , le législateur n’a pas entendu, par souci de pragmatisme, se laisser enfermer dans une définition scléro-sante, s’agissant d’une notion en perpétuel mouvement, qui évolue dans le temps et dans l’espace. En l’absence de définition juridique, la notion de « famille » se révèle difficile à appréhender et délicate à manier, en ce qu’elle renvoie, qu’on le veuille ou non, à des convictions personnelles mais aussi à des considérations morales, religieuses et philosophiques. Il faut tenir compte du visage multiculturel de notre société moderne, sans renier les principes qui sont le fruit de notre histoire et de notre culture, et qui nous paraissent fondamentaux. On peut tout à la fois se réjouir de l’ouverture du mariage pour tous, de la pluralité des modes de conjugalité, de la libéralisation du divorce, des dernières volontés ou de la parenté et vouloir réaffirmer des notions d’ordre public, comme celles du régime primaire et de la réserve héréditaire, de la protection du logement familial ou encore de la préservation de l’état de l’enfant. Pour tout dire, il nous semble que la vision purement hédoniste de la famille doit être canalisée par les contraintes qu’exige l’organisation plus globale de la société, de sorte que certaines règles doivent demeurer hors de portée de la volonté. En somme, ici, comme ailleurs, tout est question d’équilibre entre la promotion heureuse des libertés individuelles et le nécessaire respect d’un ordre public familial. Même si la sphère publique est en net recul, même si ce mouvement est irréversible et à bien des égards opportun, elle ne doit pas disparaître totalement pour autant.
II. PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE
4. – Parce que « chaque famille (chaque individu) à une destinée qui passe par plusieurs phases au fil des ans »5 , nous avons décliné notre réflexion au sein d’un plan chronologique qui nous est apparu d’emblée naturel en ce qu’il correspond aux trois temps de l’intervention du notaire aux côtés des familles.
Première commission – La naissance de la famille
5. – L’impulsion a été donnée par la commission 1, présidée par Virginie DARME-LONGUET, assistée de Stéphanie DAL DOSSO et Jean-Cyril HERVO. Après avoir jeté les bases et fixé les contours des travaux de l’équipe à travers une réflexion sur les tribus d’aujourd’hui et la créativité notariale, cette commission s’est intéressée successivement, suivant en cela un plan classique, au couple puis à l’enfant.
6. – À l’aune des évolutions démographiques, sociologiques et économiques, le modèle familial du Code civil de 1804 a explosé à la fin du siècle dernier et le visage de la famille s’en est trouvé bouleversé. « La famille d’hier n’est plus tout à fait celle d’aujourd’hui dans ses dimensions et sa composition »6. Elle se caractérise aujourd’hui par le pluralisme. Certes la famille, aujourd’hui comme hier, est fondée sur l’union d’un couple, qui donne souvent naissance à un enfant issu de leurs relations charnelles. L’impossibilité de procréer ensemble peut cependant contraindre le couple à recourir à l’assistance médicale à la procréation, voire à l’adoption, pour créer sa tribu. Aujourd’hui, ce couple peut être marié ou vivre simplement en concubinage, mais il peut aussi avoir opté pour une voie médiane : le Pacs. Il peut être constitué, quel que soit le mode de conjugalité choisi, de deux personnes de sexe différent ou de deux personnes de même sexe. Ce couple va parfois se déchirer, pour donner ensuite naissance à des familles recomposées ou à des familles monoparentales. La famille existe alors en l’absence de couple uni. Mais elle peut aussi, aujourd’hui, ne pas reposer sur la base d’un couple puisque la loi admet la possibilité pour les femmes célibataires d’accéder à l’assistance médicale à la procréation et donc de créer une famille (C. civ., art. 342-10).
Si la famille dite « traditionnelle » a laissé la place à une pluralité de tribus, l’on peut constater que le droit de la famille a surfé sur la vague pour se contractualiser, se libéraliser, et devenir ainsi plus « flexible » conformément aux vœux autrefois exprimés par Carbonnier7. Alors certes, le contrat n’a jamais été totalement absent du domaine familial, y compris dans le Code civil. Il est avéré toutefois que l’évolution de la législation contemporaine tend à donner une place de plus en plus importante aux accords de volonté concernant l’organisation des relations familiales dans un droit longtemps sous l’influence de l’ordre public. Cette évolution, qui fait la part belle aux contrats, permet ainsi au notaire d’exprimer toute sa créativité, de faire du « sur-mesure » et de mettre en place de nouvelles pratiques destinées à répondre aux besoins de nos concitoyens. Dans cette optique, tous les développements qui vont suivre dans ce rapport témoignent de la volonté de ses rédacteurs d’éclairer le notaire pour qu’il puisse acquérir, à l’aune de ces bouleversements, de nouveaux réflexes vis-à-vis d’une clientèle aux visages multiples et aux aspirations variées, tant au regard de son devoir d’instrumenter que de son devoir de conseil8.
7. – À l’origine de la famille, il y a très généralement, mais plus nécessairement, l’émergence d’un couple, de sexe différent ou de même sexe, qui dispose désormais d’une offre organisationnelle élargie, de l’union de fait (concubinage) à l’union sacralisée (mariage), en passant par l’union contractualisée (Pacs).
Il n’a pas été question à ce stade de s’intéresser aux concubins, qui vivent dans l’ombre de la loi. C’est plus tard, au gré d’un achat ou d’une donation, ou lorsqu’ils commencent à s’enquérir du sort qui sera réservé au survivant d’entre eux, que les concubins poussent éventuellement la porte d’une étude. Voilà pourquoi leur sort n’a été envisagé que par les commissions suivantes.
Le rôle du notaire, au stade de l’entrée en couple, est évidemment plus prégnant s’agissant des futurs partenaires, mais ici les frustrations sont nombreuses. Quand le Pacs n’échappe pas au notaire, c’est la faculté de faire œuvre de créativité notariale qui se trouve brimée par le législateur, lequel a fait le choix paradoxal et décevant, s’agissant d’un contrat, de ne pas laisser s’exprimer pleinement le principe de liberté des conventions partenariales. Nos réflexions nous ont ainsi naturellement amenés à réfléchir sur le régime à la fois abscons et rigide de l’indivision d’acquêts, mais aussi, d’une manière plus générale, sur le champ de la liberté contractuelle dans ce mode de conjugalité.
C’est également sous l’angle de la liberté des conventions matrimoniales, un terrain fertile à l’inventivité notariale, que l’équipe s’est intéressée au couple marié. Parce que nous pensons, et la pratique de nos confrères en atteste, que le régime de la communauté réduite aux acquêts répond toujours aux aspirations du plus grand nombre de nos concitoyens qui font le choix de se marier, notre équipe a rapidement évacué l’idée d’un changement de régime légal que certains appellent de leurs vœux. Elle s’est toutefois montrée attentive aux critiques formulées à l’égard du régime de la communauté légale, et donc favorable à son dépoussiérage et à sa modernisation. Mais surtout, notre souhait est de promouvoir la liberté des conventions matrimoniales en offrant ainsi aux époux une vraie gamme de choix quant à l’organisation de leurs rapports patrimoniaux.
Ici comme ailleurs, la liberté contractuelle doit cependant être encadrée, afin de conserver, ce qui est primordial à nos yeux, l’altérité entre les différents régimes matrimoniaux. L’idée est d’offrir un vrai choix aux époux, tout en conservant la cohérence et la raison profonde propres à chaque régime. Ainsi un régime séparatiste, quand bien même il lui serait adjoint une société d’acquêts, doit demeurer guidé par une volonté d’indépendance, alors que le régime de communauté répond à un souci de répartition des enrichissements réalisés durant l’union.
C’est pourquoi, s’agissant du régime séparatiste, l’équipe entend privilégier la possibilité pour les époux d’y accoler une société d’acquêts à objet restreint, comportant une dose de partage des richesses, plutôt qu’à objet large qui aboutit à gommer les différences avec le régime communautaire, ce qui la rend peu lisible et génère au surplus des difficultés liquidatives. L’équipe est également favorable à une participation aux acquêts qui affirme son autonomie plutôt qu’à un régime envisagé comme un simple clone de la communauté, dont les retombées liquidatives seraient en tout point similaires. Pour constituer une véritable option, le régime de la participation aux acquêts doit témoigner d’une réelle originalité et ne doit pas être réduit à une simple communauté en valeur.
Enfin, s’agissant des communautés conventionnelles, si le Code civil envisage des aménagements techniques ou la possibilité pour les époux d’étendre la masse commune (C. civ., art. 1497), il n’envisage nullement la possibilité de restreindre le domaine de celle-ci. Cette faculté permet pourtant de répondre aux aspirations de certains époux qui souhaitent conjuguer la logique prédominante d’une association patrimoniale avec une forme d’indépendance, sans passer nécessairement par le détour de la participation aux acquêts, dont on connaît l’impopularité en raison notamment de sa technicité. Dans cette optique, il s’agirait de développer – car si la pratique s’est déjà emparée de cette possibilité, c’est de façon très marginale – les contrats prévoyant d’écarter certains acquêts en valeur dont la fibre communautaire est moins prononcée. Que l’on songe ici, distinctement, et non conjointement, aux biens professionnels ou encore aux revenus des biens propres. En revanche, il ne saurait être question de permettre aux époux d’exclure de la communauté des biens qui en constituent l’essence, tels que les revenus professionnels ou le logement de la famille, sous peine de vider de sa substance la masse commune.
Bien évidemment, la promotion de la liberté des conventions de mariage a naturellement conduit l’équipe à s’intéresser à la question épineuse des avantages matrimoniaux, dont les contours et les modalités de calcul demeurent flous.
8. – La famille prend ensuite toute sa dimension avec l’arrivée de l’enfant, au point où certains estiment que c’est l’enfant qui donne tout son sens à la famille, plutôt que le couple.
Certes, le notaire peut intervenir en matière de filiation s’agissant de constater une reconnaissance ou d’établir un acte de notoriété témoignant d’une possession d’état ou, depuis peu, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Il peut également être amené à conseiller une adoption simple dans une logique de transmission à une personne proche avec laquelle le client n’a pourtant aucun lien de filiation établi. Il n’en reste pas moins, on ne saurait le nier, que le notaire n’a pas un rôle central en matière de filiation, et que la matière est souvent assez méconnue au sein de la profession. C’est pourquoi la première commission s’est évertuée à faire un large tour d’horizon des questions susceptibles de se poser en matière de filiation, dont certaines ont une dimension sociale évidente. Ces développements intéresseront le notaire, qui ne saurait méconnaître les préoccupations – pas toujours seulement patrimoniales – de sa clientèle, qu’il s’agisse de l’accompagner et de la rassurer dans l’optique d’un projet parental ou de répondre à des interrogations sur des sujets sensibles et d’actualité, comme la procréation post mortem ou encore le statut du beau-parent et du parent d’intention.
Deuxième commission – La vie de la famille
9. – La commission 2 composée de Éric SIMON-MICHEL, Florence BOSCHIN-DE MOOIJ et Barbara GREWIS, s’est intéressée à la vie de la famille. Cette expression n’est pas très juridique mais a été choisie à dessein pour témoigner de l’accompagnement dans le temps du notaire au service des familles, à travers trois situations rencontrées en pratique.
10. – Il y a, tout d’abord, des familles unies qui cherchent à entreprendre, à construire et anticiper. La famille organisée, appréhendée par la commission 2, témoigne ainsi de l’effort, parfois inconscient, des familles pour structurer leur patrimoine. Le caractère inconscient de cet effort réside dans le fait que les membres d’une famille ne se rendent pas chez leur notaire dans le but précis de structurer leur patrimoine : ils rencontrent leur notaire afin d’organiser la protection de leurs proches ou la transmission de biens à leurs proches. C’est cette préoccupation qui conduit le notaire à structurer le patrimoine des clients afin de parvenir aux objectifs poursuivis. Les travaux de la commission 2 proposent ainsi une étude des différentes techniques d’organisation du patrimoine qui sont à la disposition des familles et dont la structuration permettra de parvenir aux objectifs qu’elles poursuivent, ce qui passe aussi bien par la constitution d’un patrimoine que par sa réorganisation, notamment dans le cadre d’un changement de régime matrimonial, et enfin sa transmission. Dans ces différents domaines, la créativité notariale est primordiale
11. – Il y a ensuite des familles frappées par des difficultés, liées à la perte d’un emploi, au chômage, à la maladie, à la précarité, au vieillissement, à la perte d’autonomie. La famille est un groupement solidaire qui a des obligations et des responsabilités de prise en charge des enfants, mais aussi des adultes dans le besoin ou dépourvus d’autonomie.
Au travers de la famille aidante, la commission 2 s’est intéressée aux multiples manifestations de l’entraide familiale, en constatant qu’il n’est guère aisé de déterminer, dans ces manifestations, celles qui relèvent d’une obligation (telle une obligation alimentaire), celles qui relèvent de la simple solidarité familiale, pour laquelle on ne compte pas, et celles qui franchissent le seuil des libéralités. L’équipe s’est penchée sur ces situations ambiguës où il est difficile de déterminer à partir de quel moment des grains de sable vont former un tas de sable...
12. – Il y a enfin les familles brisées, caractérisées par les remontrances, les rancœurs, les griefs et le désamour. Le notaire est également amené à intervenir dans ce champ de ruines où les liens se délitent. Longtemps relégué aux questions liquidatives qui interviennent après la rupture du couple, il est aujourd’hui, en cas de divorce, au cœur du processus où sa technicité et ses qualités naturelles d’amiable compositeur sont louées car elles permettent, aux côtés des avocats, de trouver des accords qui vont aider les époux à tourner la page et parfois à se lancer dans une nouvelle aventure sentimentale puis dans un nouveau projet familial autour d’une nouvelle tribu. Il n’en reste pas moins que les règles de procédure concernant le partage d’une indivision, à la suite d’une rupture entre concubins, partenaires ou époux, se révèlent souvent longues et complexes, le statut du notaire inexistant, et les pouvoirs de contrainte à l’égard d’un indivisaire taisant ou récalcitrant encore trop peu efficaces. Ce constat, qui pousse actuellement les pouvoirs publics à réfléchir à une réforme de la procédure de partage, a naturellement conduit notre équipe à s’interroger sur ces questions qui empoisonnent le quotidien des notaires intervenant en la matière. Les règles de fond de l’indivision, parce que ce sont, quantitativement, celles qui sont maniées le plus souvent par les notaires liquidateurs, ont également été envisagées, tout comme les situations complexes où le droit des régimes matrimoniaux entre en confrontation directe avec le droit des sociétés. En miroir avec certains développements de la commission 1, il a été question ici notamment de la protection du patrimoine professionnel des époux.
Troisième commission – Le décès au sein de la famille
13. – Véronique DEJEAN de la BATIE, Bérengère CUNEY et Jean-Robert ANDRÉ ont dédié la troisième commission au décès au sein de la famille. Bien évidemment, et c’est heureux, le règlement d’une succession ne soulève souvent aucune difficulté. Mais l’on peut aussi constater, et déplorer, qu’il existe de plus en plus de conflits, souvent larvés, qui rejaillissent au moment de la succession ou encore des affinités électives qui font que certains parents vont favoriser des enfants qui ont été plus proches, plus aidants et punir ceux qui ont pris leurs distances. Les parents vont ainsi transférer leurs querelles sur la fratrie qui devra se débrouiller avec cet héritage inégalitaire et qui pourra céder à son tour à la tentation du conflit. L’émergence de nouvelles tribus, la pratique en témoigne, a également augmenté les situations de tensions et les risques corrélatifs d’opérations de partage éprouvantes. Pour aborder la thématique du décès au sein de la famille, l’équipe a fait le choix, à des fins de clarté, de suivre un plan là encore chronologique.
14. – Il a d’abord été question de la vocation successorale, où il s’agit alors de choisir les siens. La succession est un moment unique où deuil et transmission s’entremêlent. Elle mérite une attention particulière de la part du législateur et du notariat. À cette occasion, le notaire réalise aux côtés de toutes les familles une mission de pacificateur, d’auxiliaire de justice, dans les successions qui se révèlent de plus en plus souvent volontaires. L’analyse a été conduite par l’équipe autour de la notion de « choix responsable » sur la vocation successorale légale et testamentaire, la saisine et l’option. L’équipe a assorti ses développements de propositions d’ajustements par rapport aux réformes de 2001 et 2006, de pistes d’améliorations techniques et de suggestions d’évolutions de libéralisation sociétales encadrées par les valeurs fondatrices de notre droit.
15. – La commission 3 a ensuite abordé la transmission des biens, pour constater que la transmission légale est quelquefois inadaptée à la situation familiale ou patrimoniale, spécifique ou complexe du de cujus, ou ne correspond tout simplement pas à ses souhaits. La novation d’une succession légale en succession choisie doit toutefois être réalisée avec soin. La parfaite connaissance par le notaire à la fois des outils mis à disposition par la loi, des règles relevant de l’ordre public successoral, ainsi que des règles liquidatives parfois complexes, lui permet de conseiller au mieux les futurs défunts dans l’anticipation et l’organisation de leur transmission successorale avec l’objectif ultime de pacifier celle-ci.
16. – Enfin, l’équipe s’est penchée sur les questions de la propriété collective née du décès, et donc sur la nécessité parfois de maintenir les liens, en partant du constat que le deuil vient rebattre les cartes des rapports patrimoniaux au sein de la famille. Avec l’évolution des structures familiales et le développement des liens électifs, cette épreuve prend un tour nouveau : il s’agit, sur le plan juridique, de concilier l’aspiration de chaque individu à choisir librement son mode de vivre ensemble, avec l’expérience de la propriété plurale, à laquelle peut se superposer ou s’adjoindre un démembrement de propriété. Ce défi, que se doit de relever le notaire, appelle un regard neuf sur les techniques à sa disposition pour atteindre cet objectif. Qu’il s’agisse d’une indivision conventionnelle, d’une société civile ou d’une convention de démembrement, notre droit offre en la matière plusieurs techniques dont les utilités sont à (re)découvrir ou à (r)éinventer. De l’organisation d’une situation temporaire à la mise en place d’une véritable dynamique de gestion, il s’est agi au travers de ces développements de fournir des clés aux notaires pour choisir une structure juridique propre à pacifier et pérenniser les liens au sein de la famille.
III. PHOTO DE FAMILLE
17. – Ce rapport, il faut le redire et le mettre en exergue, constitue l’achèvement et la consécration d’une œuvre intellectuelle réalisée par des notaires dont la très grande majorité ne sont pas universitaires, et n’ont donc aucune formation à l’écriture, ce qui constitue une sacrée gageure. C’est donc peu dire que l’équipe a toutes les raisons d’être fière du travail accompli durant ces deux années de labeur, ponctuées de réflexions, d’auditions, d’échanges, de maturation, pour aboutir à la rédaction de cet ouvrage. Ce travail a été réalisé sous l’égide de notre président, lequel a jeté, au travers de ses yeux rieurs et espiègles, un regard bienveillant, attentif, presque paternaliste à ses ouailles, et qui a su construire autour de lui une véritable tribu, avec ses hauts et ses bas, ses doutes et ses tensions, mais aussi et surtout, un sens aiguisé de l’amitié, du collectif et de la solidarité, les uns n’hésitant pas à prêter main-forte aux autres. Une tribu dont l’investissement et la motivation ont été considérables, en dépit des contraintes personnelles et/ou professionnelles des uns et des autres, particulièrement chronophages, pour ne pas dire anxiogènes lorsqu’il s’agit de s’atteler en parallèle à l’écriture d’un ouvrage de cette envergure.
18. – J’ai aussi une pensée toute particulière pour le Directoire, figure majeure de la tribu du 121e, qui n’a pas hésité à mettre la main à la pâte. Notre Vice-président, Christophe SARDOT, a ainsi mis ses qualités rédactionnelles, bien au-dessus de la moyenne, et son expérience des congrès, au service des uns et des autres, au prix de très nombreuses heures de lecture, de relecture puis de re-relecture. Notre rapporteur de synthèse, Étienne CASIMIR, a pu apporter les conseils précieux d’un universitaire et le soutien dont certains pouvaient avoir besoin, au gré de leurs inquiétudes et de leurs questionnements. Quant à notre communicant, mon ami Romain BRUNET, il a apporté non seulement le regard chevronné d’un praticien rompu aux questions soulevées par le droit de la famille, mais aussi sa bonhomie et son entrain, qui ont insufflé un vent de légèreté indispensable au bon déroulé de nos travaux.
19. – La photo de famille ne serait pas complète si j’omettais de remercier nos conjoints, qui nous ont apporté leur soutien constant, ont supporté nos absences et jugulé nos angoisses, ainsi que l’équipe de l’ACNF, les travailleurs de l’ombre, qui se décarcassent pour mettre l’équipe dans les meilleures conditions pour travailler et toutes les personnes, professeurs de droit, sociologues, confrères, que nous avons consultés et qui ont largement contribué à nourrir notre réflexion.
20. – Bien sûr, la tenue du Congrès dans cette ville de Montpellier, si chère au cœur de notre Commissaire local, Maguelonne ESCANDE-CAMBON, et les propositions qui en constituent l’essence, se profilent, avec d’autres exigences et d’autres défis à relever pour notre équipe. En attendant, et même si l’aventure est encore loin d’être achevée, j’ai simplement envie de féliciter mes troupes pour ce travail d’ampleur remarquable. Notre Président peut être fier de sa tribu...
- 1
Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, Defrénois, 2e éd., 2006, no 1.
- 2
J. Hauser et D. Huet-Weiller, Traité de Droit civil, La famille, LGDJ, 2e éd., 1993, no 6.
- 3
J. Carbonnier, Flexible droit, LGDJ, 2001, p. 255.
- 4
Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, Defrénois, 2e éd., 2006, no 4.
- 5
J. Carbonnier, Droit civil, t. 2, La famille, PUF, 18e éd. refondue, PUF, 19e éd., no 3.
- 6
J. Houssier, Le notaire à l’heure des nouvelles mutations familiales : JCP N 2022, 1106, no 3.
- 7
J. Carbonnier, Flexible droit, LGDJ, 2001.
- 8
V. J. Houssier, Le notaire à l’heure des nouvelles mutations familiales : JCP N 2022, 1106, no 8.