– Principe général. – Placer un majeur sous sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire équivaut à maintenir la pleine capacité contractuelle de la personne945 tout en prenant acte de sa vulnérabilité. Pour cette raison, des recours sont ouverts contre les contrats auxquels le majeur vulnérable a pu souscrire, et qui s'avéreraient préjudiciables à ses intérêts946. Selon la nature de l'acte accompli, il peut agir en nullité, rescision ou réduction. Les mêmes recours sont ouverts au tuteur ou au curateur ultérieurement désigné. Enfin, après le décès du sauvegardé, l'article 414-2, 2o du Code civil confère à ses héritiers une action en nullité pour altération des facultés mentales de leur auteur. Il en résulte une fragilisation potentielle de tous les actes accomplis par le majeur placé sous sauvegarde de justice. Peu de cocontractants étant prêts à braver le risque de tels recours947, la protection recherchée se mue, en pratique, en une restriction de sa liberté contractuelle.
Conséquences et limites de la sauvegarde de justice sans mandataire spécial
Conséquences et limites de la sauvegarde de justice sans mandataire spécial
Rapport du 119e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2023
– Cas particulier des actes relatifs au logement. – S'agissant spécifiquement du logement du protégé, l'article 426 du Code civil, applicable sans distinction à tous les régimes de protection des majeurs, soumet à autorisation judiciaire tout acte de gestion (bail d'habitation, par exemple) ou de disposition (mutation de propriété, constitution de garantie) dont il serait l'objet. Conclu sans ce sésame, l'acte accompli est nul, de plein droit et même en l'absence de tout préjudice948. Sont seules dispensées de cette autorisation judiciaire préalable les conventions qui, par hypothèse, se doivent de rester précaires (convention d'occupation précaire, prêt à usage de très courte durée…). La notion est à apprécier par le praticien avec une extrême prudence.
– Effet pervers. – Il en résulte que, lorsque certaines décisions graves deviennent nécessaires en raison de l'état, certes temporaire, du sauvegardé, la sauvegarde de justice sans désignation d'un mandataire est un outil inadéquat. C'est d'ailleurs pourquoi, avant que la loi de 2007 n'autorise la désignation d'un mandataire spécial, il n'y avait guère d'autres solutions pour l'entourage du protégé que de solliciter la mise en œuvre d'une procédure plus lourde de curatelle ou de tutelle, afin qu'un curateur ou un tuteur puisse se charger de réaliser ces démarches. Passage obligé, générateur de contraintes parfois disproportionnées, tant pour l'intéressé que pour le tribunal, en présence d'une situation purement transitoire appelée à cesser à court ou moyen terme.
Un exemple : le logement de la personne temporairement empêchée
Cette hypothèse, pas forcément théorique, pourrait être celle d'une personne victime d'un grave accident, par exemple un traumatisme crânien lors d'une collision ou d'une chute, ou un AVC : les séquelles physiques de l'accident apparaissent irréversibles (paralysie, hémiplégie, etc.), et la conduiront à devoir manifestement quitter un logement devenu inadapté aux divers appareillages dont elle devra désormais être assistée (par ex. une maison isolée et difficile d'accès, comme un chalet en montagne, ou aux volumes complexes et peuplés d'escaliers, etc.). En revanche, les capacités cérébrales momentanément atteintes (amnésie, mutisme, surdité, confusion mentale…) sont analysées par les médecins comme indemnes pour l'essentiel, et vouées à retrouver leur plein exercice après une période de convalescence et de rééducation de plusieurs mois.
Dans une telle hypothèse, la sauvegarde de justice est suffisante, sans infliger ni à cette personne ni aux services judiciaires la mise en place d'une mesure plus alourdie, dont les délais d'instruction pourraient d'ailleurs coïncider avec l'extinction des symptômes d'inaptitude. Mais prononcée sans mandataire spécial, elle est inopérante pour traiter la problématique d'une cession du logement, le sauvegardé n'étant pas en mesure de solliciter l'autorisation d'agir auprès du juge des contentieux de la protection.