L'indemnité d'occupation

L'indemnité d'occupation

Rapport du 119e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2023
– En indivision, l'égalité emporte indemnité. – Les indivisaires ont des droits égaux et concurrents sur le bien. Qu'en est-il alors de celui qui, ayant occupé le logement avant même le décès du propriétaire, s'y maintient ? Tant que dure l'indivision, sous réserve de la prescription quinquennale et à moins d'en être dispensé par ses cohéritiers, l'occupant est redevable d'une indemnité d'occupation335 dont il convient de présenter les conditions (A) et le régime (B).

Les conditions de l'indemnisation

Le débiteur de l'indemnité d'occupation

– Principe. – L'indivisaire qui occupe exclusivement le logement indivis est redevable d'une indemnité d'occupation au bénéfice de l'indivision, et ce jusqu'au partage ou à la date de cessation de la jouissance privative du bien si elle est antérieure. L'indivisaire occupant ne peut s'exonérer du versement de l'indemnité d'occupation au motif que le logement est vétuste et donc incompatible avec sa mise en location336.
– Exception. – L'indemnité n'est pas due lorsque l'occupant exerce ses droits de jouissance en vertu d'un titre conventionnel ou légal. Il peut s'agir d'une convention d'indivision, ou encore d'un bail. Dès lors qu'il s'acquitte d'un loyer, même modique, l'indivisaire n'a pas à verser d'indemnité d'occupation ; il y a bien une contrepartie à son occupation. En effet, la Cour de cassation considère que l'indivisaire locataire ne porte pas atteinte aux droits égaux et concurrents de ses coïndivisaires, lesquels sont préservés par le versement d'un loyer à l'indivision, qui succède au bailleur dans ses droits comme dans ses obligations. On lira dans l'extension web ci-dessous un cas pratique établi à ce sujet à partir d'un arrêt rendu par la première chambre civile le 18 mars 2020.

Une contrepartie préexistante à l'indivision exclut le versement d'une indemnité d'occupation – Cas pratique

Mme C…, mère de deux enfants, a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Elle a dû être placée sous la tutelle d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) et hébergée dans un établissement spécialisé pendant les cinq années ayant précédé son décès. Elle était propriétaire de son logement, laissé vacant, que son fils a souhaité occuper. Ce dernier a convenu avec le MJPM du versement mensuel d'une somme de 500 € en contrepartie de cette occupation privative.
Au décès de Mme C…, sa fille, âpre au gain, a obtenu d'un professionnel un avis de valeur estimant la valeur locative mensuelle de ce logement à 1 200 € par mois.
De quelle somme le fils, occupant, doit-il s'acquitter envers l'indivision successorale à compter du décès de Mme C… ?
La Cour de cassation a tranché nettement :
Le fait que le bail soit simplement verbal et la valeur locative du logement nettement supérieure au montant du loyer acquitté par l'indivisaire locataire est sans incidence 337. Dès lors, le fils occupant l'appartement de Mme C… est redevable envers l'indivision, comme il l'était par le passé envers sa mère, de la somme mensuelle de 500 €, soit à verser chaque mois à sa sœur une somme de 250 €.
– Corrélation de l'indemnité à l'indivision. – S'il n'y a pas d'indivision, il ne peut y avoir de droits concurrents et donc d'indemnité d'occupation. Ainsi, aucune indemnité n'est due :
  • par le légataire universel, fût-il tenu au versement d'une indemnité de réduction, sauf option pour la réduction en nature (qui crée une indivision) ;
  • par le légataire particulier338 du logement, car il est propriétaire du bien légué dès le décès339 ;
  • par l'usufruitier du logement en cas de démembrement de propriété340, quand bien même il serait en indivision pour la nue-propriété ;
  • par le conjoint survivant ayant opté pour le droit d'habitation du logement qu'il occupait effectivement à l'époque du décès341.
– Durée de l'indemnisation. – L'indemnité est due, sous réserve de la prescription quinquennale342 :
  • tant que dure l'occupation. En cas de contestation sur la date de fin de la jouissance privative, il appartient à l'ancien occupant d'en apporter la preuve343 ;
  • tant que dure l'indivision, c'est-à-dire jusqu'au partage. Même lorsque le juge accorde l'attribution préférentielle à l'occupant, cette attribution ne prend effet qu'au jour du partage et non au jour du décès. L'indemnité d'occupation est donc due, et ce jusqu'au partage définitif344.

Le caractère privatif de l'occupation

– L'exclusivité est source d'indemnité. – L'indemnité d'occupation est la contrepartie de la privation de jouissance subie par les indivisaires non occupants. Il faut donc, pour qu'elle soit due, que l'occupation d'un indivisaire soit exclusive de celle de ses coïndivisaires, c'est-à-dire qu'elle les empêche de jouir du bien indivis345. Il doit exister, pour ces derniers, une impossibilité de droit ou de fait d'utiliser le logement346. Tel est le cas s'ils n'en détiennent pas les clés347 ou si l'occupant a changé les verrous de la porte d'entrée notamment348. L'indemnité est due même en l'absence d'occupation effective du bien ou si l'occupation est intermittente349.

Le créancier de l'indemnité d'occupation

– Nature juridique de l'indemnité. – L'indemnité d'occupation est due par l'occupant à l'indivision et non à ses coïndivisaires350. En effet, l'indemnité d'occupation vient compenser la perte de loyer. Elle est donc assimilable à un revenu. En ce sens, elle accroît à l'indivision conformément à l'article 815-10 du Code civil. Par suite, un indivisaire ne peut pas obtenir la condamnation de l'occupant du logement au paiement d'une indemnité d'occupation à son seul profit351. Ainsi, l'indemnité est due pour son montant total et non au prorata des droits de l'occupant dans l'indivision.
– Conséquences. – L'assimilation de l'indemnité d'occupation à un revenu emporte diverses conséquences :
  • l'indivisaire privé de la jouissance du logement peut réclamer en justice la condamnation du coïndivisaire occupant au paiement de l'indemnité d'occupation sans attendre le partage ;
  • chaque indivisaire peut en réclamer sa part annuelle352 ;
  • l'action en paiement se prescrit par cinq ans, ainsi qu'on le verra plus loin.

Le régime de l'indemnité

L'évaluation de l'indemnité

– Méthode. – L'indemnité d'occupation se détermine en principe par référence à la valeur locative du bien (en l'occurrence, du logement) occupé privativement. Ce principe admet cependant certains tempéraments.

Principe de référence à la valeur locative

– Montant initial. – L'indemnité d'occupation est, en principe, déterminée par référence à la valeur locative du logement. Deux méthodes d'estimation sont admises :
  • la méthode par comparaison. Cette méthode consiste à rechercher le loyer qui pourrait être perçu si le logement était loué353 aux conditions normales du marché. Il convient de se référer au marché locatif local, tout en tenant compte des caractéristiques intrinsèques du logement ;
  • la méthode par capitalisation. La valeur locative est alors déterminée en appliquant un taux de rendement à la valeur vénale du logement354.
– Révision. Capitalisation. – L'indemnité d'occupation est indexée sur l'indice de référence des loyers (IRL). À défaut de paiement, elle porte intérêt à compter de la date de la décision qui la détermine, au taux légal calculé annuellement355.

Tempéraments au principe : les abattements

– Un pouvoir souverain du juge. – Les juges du fond sont souverains pour déterminer la méthode de calcul de l'indemnité d'occupation356. Dès lors, ils ne sont pas tenus de se fonder sur la seule valeur locative du logement357, même si ce critère ne saurait être exclu358. La jurisprudence admet trois types de tempéraments, générateurs d'abattements susceptibles de se cumuler pour venir réduire l'indemnité d'occupation359 (i). Cependant, elle en écarte d'autres (ii).
Les abattements admis
– Abattement pour précarité. – Un correctif à la baisse est appliqué afin de tenir compte du caractère précaire de l'occupation par l'indivisaire360. Contrairement au locataire, l'indivisaire n'est en effet protégé par aucun statut lui assurant un maintien dans les lieux. Bien au contraire, il est à tout moment exposé au risque d'une demande en partage. L'abattement pratiqué varie généralement entre 10 et 30 %361, mais peut aller jusqu'à 50 % dans certains cas particuliers362. À l'inverse, le juge peut parfois refuser d'appliquer un abattement pour précarité, considérant que les circonstances font perdre à l'occupation son caractère précaire. Il en est ainsi, par exemple, en présence d'une occupation très ancienne363 ou encore lorsque l'indivisaire occupant a refusé l'attribution préférentielle364.
– Abattement pour vétusté. – Le juge prend parfois en considération le mauvais état du bien (désordres, vétusté) pour appliquer un abattement, à condition toutefois qu'il n'en ait pas déjà été tenu compte pour déterminer la valeur locative365.
– Abattement en présence d'enfants. – Enfin, le juge apprécie si le fait que les enfants vivent dans le logement indivis, en fonction de leur âge et du mode de garde, influe sur la détermination du taux de l'abattement correctif appliqué à la valeur locative366. Tel n'est pas le cas si la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants comprend les frais liés à leur hébergement367.
Les abattements exclus
– Pas d'abattement pour occupation partielle. – Aucun abattement ne peut être appliqué au montant de l'indemnité d'occupation au motif que l'indivisaire n'occupe pas la totalité du bien, en raison de sa taille notamment. Il n'en reste pas moins qu'il en a la jouissance intégrale et non partielle368.
– Ni pour surveillance, entretien et réparations. – La prise en charge par l'indivisaire occupant de travaux de modernisation ou d'entretien et du gardiennage de l'immeuble n'est pas de nature à minorer le montant de l'indemnité d'occupation due à l'indivision369. L'indemnité sera calculée d'après l'état de l'immeuble après travaux. En revanche, l'occupant est alors en droit de réclamer à ses coïndivisaires une indemnité en contrepartie des améliorations apportées à l'immeuble, sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil370.

La prescription quinquennale de l'indemnité

– Principe de la prescription. – L'indemnité d'occupation ayant, comme on l'a vu, la nature juridique d'un revenu, conformément aux dispositions de l'article 815-10, alinéa 3 du Code civil, l'action en paiement de l'indemnité d'occupation se prescrit par cinq ans. La prescription court même si l'indemnité n'est pas encore fixée371. Mais cette prescription peut être interrompue ou suspendue372.
– Interruption de la prescription. – La prescription est interrompue :
  • si les coïndivisaires assignent l'occupant en paiement ou demandent, au fond, la réalisation d'une expertise judiciaire afin d'évaluer la valeur locative du logement373 ;
  • si le tribunal renvoie les parties devant le notaire commis pour procéder à la liquidation. En effet, dans cette hypothèse, le tribunal n'est pas dessaisi374.

Quelques points d'attention en cas de partage judiciaire

1. Si l'assignation en vue d'obtenir la désignation d'un notaire liquidateur n'est pas assortie d'une demande d'indemnité d'occupation, la prescription n'est pas interrompue375.
2. Un procès-verbal de difficultés établi par le notaire liquidateur dans le cadre d'un partage judiciaire doit faire expressément mention de la demande d'une indemnité d'occupation pour valoir interruption de la prescription376.
– Suspension de la prescription. – La prescription est suspendue lorsque l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation est dans l'impossibilité d'exercer son droit, et donc d'interrompre la prescription.
Il existe deux types de causes de suspension :
– 1) Les causes particulières de suspension résultant de la situation personnelle du titulaire du droit. – Elles sont limitativement prévues par la loi :
  • les époux et les partenaires de Pacs377 ;
  • les mineurs non émancipés378 et les majeurs sous tutelle, à l'exclusion des majeurs sous curatelle ou sauvegarde de justice379 ;
  • l'existence d'un mode alternatif de règlement des litiges : médiation ou conciliation380. De simples pourparlers transactionnels entre les parties, sans l'intervention d'un médiateur ou d'un conciliateur, ne permettent pas de suspendre la prescription381 ;
  • l'organisation d'une mesure d'instruction in futurum 382. La prescription reprend son cours le jour où la mesure d'instruction a été exécutée. Par exemple, lorsque le juge nomme un expert, le délai de prescription est suspendu jusqu'à la date du dépôt de son rapport.
Non visée par la loi, la mise en liquidation judiciaire de l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation n'est pas une cause de suspension puisque le liquidateur peut agir à sa place383.
– Liberté contractuelle. – D'un commun accord, les parties peuvent prévoir d'autres causes de suspension384.
– 2) Une cause générale de suspension : l'impossibilité d'agir pour cause de force majeure. – L'impossibilité d'agir peut être matérielle ou morale. Elle peut résulter d'une faute ou de manœuvres déloyales émanant du débiteur de l'indemnité d'occupation, par exemple s'il déménage en secret ou ne donne pas sa nouvelle adresse. C'est à l'indivisaire créancier de prouver la faute ou les manœuvres déloyales du débiteur. Dans tous les cas, l'impossibilité d'agir ne doit pas être imputable au créancier de l'indemnité d'occupation. À titre d'exemple, il ne peut pas, a priori, se prévaloir de son incarcération385. C'est à celui qui invoque la suspension d'apporter la preuve de la force majeure ayant entraîné pour lui une impossibilité « absolue » d'agir, selon le terme consacré par la jurisprudence, certes antérieure à la réforme de 2008386, mais qui est restée a priori constante387 même si les juges ont pu, à l'occasion de certaines décisions, se montrer moins exigeants.
– Un allongement du délai de prescription. – Contrairement à l'interruption, la suspension n'arrête que momentanément la prescription. Lorsque la cause de la suspension prend fin, le délai de prescription qui avait commencé à courir reprend son cours. Il est allongé d'une durée égale à celle de la durée de l'empêchement.