L'occupant n'est pas le seul héritier : la précarité de l'indivision

L'occupant n'est pas le seul héritier : la précarité de l'indivision

Rapport du 119e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2023
– Hypothèses d'indivision. – Dans les hypothèses suivantes, la loi accorde au conjoint survivant en concours avec d'autres héritiers uniquement des droits en propriété. Il en est ainsi :
  • en présence d'un ou plusieurs enfants issus d'une précédente union du défunt, qu'il y ait ou non des enfants communs. Les droits successoraux du conjoint sont alors limités au quart en propriété des biens de la succession333 ;
  • lorsqu'à défaut d'enfants et autres descendants, le conjoint survivant est en concours avec les père et mère du défunt. Il recueille alors la moitié ou les trois quarts de la succession selon que l'un des parents est ou non prédécédé334.
– Précarité subséquente. – La situation ainsi engendrée peut être dangereuse. Une indivision se crée entre les héritiers, exposant l'occupant à une action en partage (§ II). En outre, dans l'attente de la sortie de l'indivision, l'occupant est tenu au paiement d'une indemnité d'occupation (§ I).

L'indemnité d'occupation

– En indivision, l'égalité emporte indemnité. – Les indivisaires ont des droits égaux et concurrents sur le bien. Qu'en est-il alors de celui qui, ayant occupé le logement avant même le décès du propriétaire, s'y maintient ? Tant que dure l'indivision, sous réserve de la prescription quinquennale et à moins d'en être dispensé par ses cohéritiers, l'occupant est redevable d'une indemnité d'occupation335 dont il convient de présenter les conditions (A) et le régime (B).

Les conditions de l'indemnisation

Le débiteur de l'indemnité d'occupation

– Principe. – L'indivisaire qui occupe exclusivement le logement indivis est redevable d'une indemnité d'occupation au bénéfice de l'indivision, et ce jusqu'au partage ou à la date de cessation de la jouissance privative du bien si elle est antérieure. L'indivisaire occupant ne peut s'exonérer du versement de l'indemnité d'occupation au motif que le logement est vétuste et donc incompatible avec sa mise en location336.
– Exception. – L'indemnité n'est pas due lorsque l'occupant exerce ses droits de jouissance en vertu d'un titre conventionnel ou légal. Il peut s'agir d'une convention d'indivision, ou encore d'un bail. Dès lors qu'il s'acquitte d'un loyer, même modique, l'indivisaire n'a pas à verser d'indemnité d'occupation ; il y a bien une contrepartie à son occupation. En effet, la Cour de cassation considère que l'indivisaire locataire ne porte pas atteinte aux droits égaux et concurrents de ses coïndivisaires, lesquels sont préservés par le versement d'un loyer à l'indivision, qui succède au bailleur dans ses droits comme dans ses obligations. On lira dans l'extension web ci-dessous un cas pratique établi à ce sujet à partir d'un arrêt rendu par la première chambre civile le 18 mars 2020.

Une contrepartie préexistante à l'indivision exclut le versement d'une indemnité d'occupation – Cas pratique

Mme C…, mère de deux enfants, a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Elle a dû être placée sous la tutelle d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) et hébergée dans un établissement spécialisé pendant les cinq années ayant précédé son décès. Elle était propriétaire de son logement, laissé vacant, que son fils a souhaité occuper. Ce dernier a convenu avec le MJPM du versement mensuel d'une somme de 500 € en contrepartie de cette occupation privative.
Au décès de Mme C…, sa fille, âpre au gain, a obtenu d'un professionnel un avis de valeur estimant la valeur locative mensuelle de ce logement à 1 200 € par mois.
De quelle somme le fils, occupant, doit-il s'acquitter envers l'indivision successorale à compter du décès de Mme C… ?
La Cour de cassation a tranché nettement :
Le fait que le bail soit simplement verbal et la valeur locative du logement nettement supérieure au montant du loyer acquitté par l'indivisaire locataire est sans incidence 337. Dès lors, le fils occupant l'appartement de Mme C… est redevable envers l'indivision, comme il l'était par le passé envers sa mère, de la somme mensuelle de 500 €, soit à verser chaque mois à sa sœur une somme de 250 €.
– Corrélation de l'indemnité à l'indivision. – S'il n'y a pas d'indivision, il ne peut y avoir de droits concurrents et donc d'indemnité d'occupation. Ainsi, aucune indemnité n'est due :
  • par le légataire universel, fût-il tenu au versement d'une indemnité de réduction, sauf option pour la réduction en nature (qui crée une indivision) ;
  • par le légataire particulier338 du logement, car il est propriétaire du bien légué dès le décès339 ;
  • par l'usufruitier du logement en cas de démembrement de propriété340, quand bien même il serait en indivision pour la nue-propriété ;
  • par le conjoint survivant ayant opté pour le droit d'habitation du logement qu'il occupait effectivement à l'époque du décès341.
– Durée de l'indemnisation. – L'indemnité est due, sous réserve de la prescription quinquennale342 :
  • tant que dure l'occupation. En cas de contestation sur la date de fin de la jouissance privative, il appartient à l'ancien occupant d'en apporter la preuve343 ;
  • tant que dure l'indivision, c'est-à-dire jusqu'au partage. Même lorsque le juge accorde l'attribution préférentielle à l'occupant, cette attribution ne prend effet qu'au jour du partage et non au jour du décès. L'indemnité d'occupation est donc due, et ce jusqu'au partage définitif344.

Le caractère privatif de l'occupation

– L'exclusivité est source d'indemnité. – L'indemnité d'occupation est la contrepartie de la privation de jouissance subie par les indivisaires non occupants. Il faut donc, pour qu'elle soit due, que l'occupation d'un indivisaire soit exclusive de celle de ses coïndivisaires, c'est-à-dire qu'elle les empêche de jouir du bien indivis345. Il doit exister, pour ces derniers, une impossibilité de droit ou de fait d'utiliser le logement346. Tel est le cas s'ils n'en détiennent pas les clés347 ou si l'occupant a changé les verrous de la porte d'entrée notamment348. L'indemnité est due même en l'absence d'occupation effective du bien ou si l'occupation est intermittente349.

Le créancier de l'indemnité d'occupation

– Nature juridique de l'indemnité. – L'indemnité d'occupation est due par l'occupant à l'indivision et non à ses coïndivisaires350. En effet, l'indemnité d'occupation vient compenser la perte de loyer. Elle est donc assimilable à un revenu. En ce sens, elle accroît à l'indivision conformément à l'article 815-10 du Code civil. Par suite, un indivisaire ne peut pas obtenir la condamnation de l'occupant du logement au paiement d'une indemnité d'occupation à son seul profit351. Ainsi, l'indemnité est due pour son montant total et non au prorata des droits de l'occupant dans l'indivision.
– Conséquences. – L'assimilation de l'indemnité d'occupation à un revenu emporte diverses conséquences :
  • l'indivisaire privé de la jouissance du logement peut réclamer en justice la condamnation du coïndivisaire occupant au paiement de l'indemnité d'occupation sans attendre le partage ;
  • chaque indivisaire peut en réclamer sa part annuelle352 ;
  • l'action en paiement se prescrit par cinq ans, ainsi qu'on le verra plus loin.

Le régime de l'indemnité

L'évaluation de l'indemnité

– Méthode. – L'indemnité d'occupation se détermine en principe par référence à la valeur locative du bien (en l'occurrence, du logement) occupé privativement. Ce principe admet cependant certains tempéraments.
Principe de référence à la valeur locative
– Montant initial. – L'indemnité d'occupation est, en principe, déterminée par référence à la valeur locative du logement. Deux méthodes d'estimation sont admises :
  • la méthode par comparaison. Cette méthode consiste à rechercher le loyer qui pourrait être perçu si le logement était loué353 aux conditions normales du marché. Il convient de se référer au marché locatif local, tout en tenant compte des caractéristiques intrinsèques du logement ;
  • la méthode par capitalisation. La valeur locative est alors déterminée en appliquant un taux de rendement à la valeur vénale du logement354.
– Révision. Capitalisation. – L'indemnité d'occupation est indexée sur l'indice de référence des loyers (IRL). À défaut de paiement, elle porte intérêt à compter de la date de la décision qui la détermine, au taux légal calculé annuellement355.
Tempéraments au principe : les abattements
– Un pouvoir souverain du juge. – Les juges du fond sont souverains pour déterminer la méthode de calcul de l'indemnité d'occupation356. Dès lors, ils ne sont pas tenus de se fonder sur la seule valeur locative du logement357, même si ce critère ne saurait être exclu358. La jurisprudence admet trois types de tempéraments, générateurs d'abattements susceptibles de se cumuler pour venir réduire l'indemnité d'occupation359 (i). Cependant, elle en écarte d'autres (ii).
Les abattements admis
– Abattement pour précarité. – Un correctif à la baisse est appliqué afin de tenir compte du caractère précaire de l'occupation par l'indivisaire360. Contrairement au locataire, l'indivisaire n'est en effet protégé par aucun statut lui assurant un maintien dans les lieux. Bien au contraire, il est à tout moment exposé au risque d'une demande en partage. L'abattement pratiqué varie généralement entre 10 et 30 %361, mais peut aller jusqu'à 50 % dans certains cas particuliers362. À l'inverse, le juge peut parfois refuser d'appliquer un abattement pour précarité, considérant que les circonstances font perdre à l'occupation son caractère précaire. Il en est ainsi, par exemple, en présence d'une occupation très ancienne363 ou encore lorsque l'indivisaire occupant a refusé l'attribution préférentielle364.
– Abattement pour vétusté. – Le juge prend parfois en considération le mauvais état du bien (désordres, vétusté) pour appliquer un abattement, à condition toutefois qu'il n'en ait pas déjà été tenu compte pour déterminer la valeur locative365.
– Abattement en présence d'enfants. – Enfin, le juge apprécie si le fait que les enfants vivent dans le logement indivis, en fonction de leur âge et du mode de garde, influe sur la détermination du taux de l'abattement correctif appliqué à la valeur locative366. Tel n'est pas le cas si la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants comprend les frais liés à leur hébergement367.
Les abattements exclus
– Pas d'abattement pour occupation partielle. – Aucun abattement ne peut être appliqué au montant de l'indemnité d'occupation au motif que l'indivisaire n'occupe pas la totalité du bien, en raison de sa taille notamment. Il n'en reste pas moins qu'il en a la jouissance intégrale et non partielle368.
– Ni pour surveillance, entretien et réparations. – La prise en charge par l'indivisaire occupant de travaux de modernisation ou d'entretien et du gardiennage de l'immeuble n'est pas de nature à minorer le montant de l'indemnité d'occupation due à l'indivision369. L'indemnité sera calculée d'après l'état de l'immeuble après travaux. En revanche, l'occupant est alors en droit de réclamer à ses coïndivisaires une indemnité en contrepartie des améliorations apportées à l'immeuble, sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil370.

La prescription quinquennale de l'indemnité

– Principe de la prescription. – L'indemnité d'occupation ayant, comme on l'a vu, la nature juridique d'un revenu, conformément aux dispositions de l'article 815-10, alinéa 3 du Code civil, l'action en paiement de l'indemnité d'occupation se prescrit par cinq ans. La prescription court même si l'indemnité n'est pas encore fixée371. Mais cette prescription peut être interrompue ou suspendue372.
– Interruption de la prescription. – La prescription est interrompue :
  • si les coïndivisaires assignent l'occupant en paiement ou demandent, au fond, la réalisation d'une expertise judiciaire afin d'évaluer la valeur locative du logement373 ;
  • si le tribunal renvoie les parties devant le notaire commis pour procéder à la liquidation. En effet, dans cette hypothèse, le tribunal n'est pas dessaisi374.

Quelques points d'attention en cas de partage judiciaire

1. Si l'assignation en vue d'obtenir la désignation d'un notaire liquidateur n'est pas assortie d'une demande d'indemnité d'occupation, la prescription n'est pas interrompue375.
2. Un procès-verbal de difficultés établi par le notaire liquidateur dans le cadre d'un partage judiciaire doit faire expressément mention de la demande d'une indemnité d'occupation pour valoir interruption de la prescription376.
– Suspension de la prescription. – La prescription est suspendue lorsque l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation est dans l'impossibilité d'exercer son droit, et donc d'interrompre la prescription.
Il existe deux types de causes de suspension :
– 1) Les causes particulières de suspension résultant de la situation personnelle du titulaire du droit. – Elles sont limitativement prévues par la loi :
  • les époux et les partenaires de Pacs377 ;
  • les mineurs non émancipés378 et les majeurs sous tutelle, à l'exclusion des majeurs sous curatelle ou sauvegarde de justice379 ;
  • l'existence d'un mode alternatif de règlement des litiges : médiation ou conciliation380. De simples pourparlers transactionnels entre les parties, sans l'intervention d'un médiateur ou d'un conciliateur, ne permettent pas de suspendre la prescription381 ;
  • l'organisation d'une mesure d'instruction in futurum 382. La prescription reprend son cours le jour où la mesure d'instruction a été exécutée. Par exemple, lorsque le juge nomme un expert, le délai de prescription est suspendu jusqu'à la date du dépôt de son rapport.
Non visée par la loi, la mise en liquidation judiciaire de l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation n'est pas une cause de suspension puisque le liquidateur peut agir à sa place383.
– Liberté contractuelle. – D'un commun accord, les parties peuvent prévoir d'autres causes de suspension384.
– 2) Une cause générale de suspension : l'impossibilité d'agir pour cause de force majeure. – L'impossibilité d'agir peut être matérielle ou morale. Elle peut résulter d'une faute ou de manœuvres déloyales émanant du débiteur de l'indemnité d'occupation, par exemple s'il déménage en secret ou ne donne pas sa nouvelle adresse. C'est à l'indivisaire créancier de prouver la faute ou les manœuvres déloyales du débiteur. Dans tous les cas, l'impossibilité d'agir ne doit pas être imputable au créancier de l'indemnité d'occupation. À titre d'exemple, il ne peut pas, a priori, se prévaloir de son incarcération385. C'est à celui qui invoque la suspension d'apporter la preuve de la force majeure ayant entraîné pour lui une impossibilité « absolue » d'agir, selon le terme consacré par la jurisprudence, certes antérieure à la réforme de 2008386, mais qui est restée a priori constante387 même si les juges ont pu, à l'occasion de certaines décisions, se montrer moins exigeants.
– Un allongement du délai de prescription. – Contrairement à l'interruption, la suspension n'arrête que momentanément la prescription. Lorsque la cause de la suspension prend fin, le délai de prescription qui avait commencé à courir reprend son cours. Il est allongé d'une durée égale à celle de la durée de l'empêchement.

L'action en partage

– Principe. – Nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision. Appliqué au logement, ce grand principe place l'indivisaire occupant dans une situation de grande précarité. Il peut en effet être amené à quitter son logement faute de pouvoir acquérir la part de ses cohéritiers s'ils lui en font la demande (A). À l'origine, ce principe ne souffrait aucune exception. L'article 815 du Code civil était ainsi rédigé : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires ». La loi du 31 décembre 1976 a assoupli le principe. Le texte de l'article 815, issu de la réforme de 1976, offre à l'occupant la possibilité de demander et d'obtenir un délai (B). L'hypothèse retenue ici est celle où l'occupant n'entend pas se prévaloir des dispositions de l'article 831-2 du Code civil pour demander l'attribution préférentielle du logement, en raison du manque de moyens financiers notamment388.

Le droit de demander le partage

Tout indivisaire dispose du droit absolu et impératif de demander le partage (I). Ce droit est également imprescriptible (II).

Un droit impératif et absolu

Nul besoin de la réalisation d'un acte ou d'un fait juridique pour avoir le droit de provoquer le partage. Il suffit à un indivisaire d'en faire la demande. Tout indivisaire (a) a le droit de provoquer le partage nonobstant toute volonté contraire (b).
Un droit acquis à tout indivisaire
– L'indivisaire ou son représentant. – Contrairement à l'option successorale, le droit de provoquer le partage ne constitue pas un droit personnel de l'indivisaire. C'est pourquoi l'action en partage peut être intentée par l'indivisaire lui-même ou par son représentant. Ainsi, lorsqu'un indivisaire est en liquidation judiciaire, le liquidateur exerce les droits et actions dont l'indivisaire est dessaisi en vertu de l'article L. 622-9 du Code de commerce389, sous réserve que la succession ait été ouverte avant l'ouverture ou le prononcé de la liquidation390. Le liquidateur peut également agir sur le fondement de l'article 815-17 du Code civil, en qualité de représentant des créanciers personnels de l'indivisaire, auxquels ce texte accorde également le droit de provoquer le partage391. Ils disposent de l'action oblique leur permettant d'intenter l'action en partage si l'indivisaire s'y refuse. Un indivisaire peut donc indirectement provoquer le partage malgré lui !
Un droit acquis nonobstant toute volonté contraire
Le droit de provoquer le partage s'impose à tout indivisaire (i) et au juge (ii).
Un droit qui s'impose à tout indivisaire
Lorsqu'un seul des indivisaires souhaite sortir de l'indivision, l'opposition de ses coïndivisaires sera sans effet, sauf à ce que ces derniers invoquent l'attribution éliminatoire392.
Un droit qui s'impose au juge
Le juge393 saisi d'une demande en partage n'a d'autre choix que de prononcer le partage394. Les termes de l'article 815 du Code civil sont à cet égard sans équivoque : « le partage peut toujours être provoqué ». Le juge du fond n'a donc pas à apprécier les motifs de la demande de l'indivisaire395 qui, de ce fait, n'a pas à en faire état. Peu importe même que son action soit motivée par la seule volonté de nuire à l'occupant du logement.
Aucune règle de protection du logement ne permet au juge de rejeter une demande en partage.

Un droit imprescriptible

– Éviction de la prescription extinctive. – La jurisprudence est claire sur ce point : le droit de demander le partage est imprescriptible396. Il ne s'éteint pas. Aucune prescription extinctive ne peut donc être opposée au demandeur397. L'occupant du logement ne saurait arguer de la durée de l'indivision pour s'opposer à la demande de partage d'un coïndivisaire. Peu importe que des mois ou des années se soient écoulés depuis le décès qui a donné naissance à l'indivision.
– Possible application de la prescription acquisitive. – En revanche, l'article 816 du Code civil prévoit que le partage ne peut plus être demandé s'il y a eu « possession suffisante pour acquérir la prescription ». S'il a joui du bien indivis de manière privative et exclusive, l'occupant du logement peut donc opposer au demandeur la prescription acquisitive398. Il doit cependant justifier d'une possession paisible, continue et non équivoque à titre de propriétaire pendant trente ans. Dans ce cas, il n'y a plus d'indivision entre l'occupant du logement et ses cohéritiers qui n'ont donc plus aucun droit au partage à invoquer.

Le droit de demander un délai

L'article 815 du Code civil prévoit la possibilité de reporter le partage par convention (I) ou jugement (II).

La convention d'indivision

– Principe. – À la demande de l'occupant du logement, les indivisaires peuvent conclure une convention aux termes de laquelle ils s'interdisent de demander le partage. Une telle convention, pour être valable, doit satisfaire aux prescriptions des articles 1873-2 et suivants du Code civil. Elle ne peut être conclue que par l'ensemble des indivisaires399 et doit être constatée dans un acte publié au fichier immobilier s'agissant d'un bien immobilier400. La formalité de publicité foncière est requise uniquement pour l'opposabilité aux tiers et non comme condition de validité de la convention401.
– But recherché. – La conclusion d'une telle convention assure un simple répit à l'occupant. Le législateur n'a pas voulu d'une interdiction absolue de demander le partage402. Les coïndivisaires conservent le droit de provoquer le partage, mais sous certaines conditions. Il convient de distinguer selon que la durée de la convention est déterminée ou indéterminée.
– Durée. – Si une durée est définie dans la convention, elle ne saurait être supérieure à cinq ans. À son terme, elle peut être prorogée de manière expresse avec l'accord de l'ensemble des indivisaires.
Dans ce cas, les indivisaires peuvent demander le partage uniquement pour de justes motifs403. L'appréciation des justes motifs relève du pouvoir souverain des juges du fond. Tel sera le cas si les intérêts personnels de la majorité des indivisaires se trouvent compromis par le maintien de l'indivision ou si l'occupant met en péril le logement.
– Renouvellement. – Il peut être prévu que la convention d'indivision se renouvelle « par tacite reconduction pour une durée déterminée ou indéterminée »404. Si les parties ne s'accordent pas sur le renouvellement de la convention d'indivision, le droit commun de l'indivision s'applique et donc la possibilité pour tout indivisaire de provoquer le partage. Si la convention est conclue pour une durée indéterminée, les indivisaires conservent le droit de demander le partage à tout moment « pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps »405. Finalement, la convention d'indivision accorde peu de sécurité à l'occupant du logement.

Le juge

Le juge peut surseoir au partage (a) ou maintenir l'indivision (b).
Le sursis au partage
La condition du sursis
– Une dépréciation certaine. – Une fois l'assignation en partage lancée, un indivisaire peut demander au juge de surseoir au partage si et seulement si sa réalisation peut porter atteinte à la valeur du logement indivis. Aucune autre raison ne peut être invoquée pour obtenir un sursis au partage. Les juges du fond sont souverains pour apprécier, en fonction des circonstances, l'opportunité de faire droit à la demande de sursis406. Ils statuent en fonction des circonstances de l'espèce. Le risque de perte de valeur peut résulter d'une situation temporaire, comme des travaux en cours ou un litige avec un voisin ou un entrepreneur suite à des travaux. Dans pareil cas, il s'avère opportun d'attendre la fin des travaux ou du litige. Les juges ont ainsi fait droit à une demande de sursis en période de crise de l'immobilier407. Cette solution sera assurément difficile à mettre en œuvre quand il s'agira de démontrer le risque de dévaluation du logement lié au partage.
– L'espoir d'une plus-value ? – À l'inverse, un indivisaire pourrait-il faire valoir qu'il est prévisible que le bien génère une plus-value dans les deux années à venir pour obtenir un sursis ? Tel pourrait être le cas si, par exemple, le logement est situé dans le périmètre d'étude d'un important projet d'urbanisme ou de rénovation urbaine. La question, à ce jour, n'est pas tranchée. Nul doute qu'elle se posera un jour en jurisprudence.
Le délai du sursis
– Une solution à court terme. – Le sursis est accordé pour deux années au plus408. Le principe du partage est acquis. Seule son exécution est différée. Le point de départ du délai est la date de la décision judiciaire. Compte tenu du temps nécessaire à la procédure, le délai sera en réalité beaucoup plus long. Le sursis est donc une solution à court terme qui maintient le concubin ou le partenaire et, plus généralement, l'occupant dans une situation précaire. Lorsque les conditions sont remplies, il est préférable de recourir à la demande de maintien de l'indivision.
Le maintien de l'indivision
– Protéger la famille proche. – En vertu de l'article 821-1 du Code civil, le juge peut prononcer le maintien de l'indivision du logement effectivement occupé par le défunt ou son conjoint et du mobilier le garnissant409. Les seuls bénéficiaires du maintien de l'indivision sont le conjoint survivant (ii) et/ou les enfants mineurs (i). L'objectif du texte est de les maintenir dans leur cadre de vie habituel. L'indivision peut également être maintenue à la demande de certains indivisaires sous réserve de faire droit à la demande de partage de leur coïndivisaire en lui attribuant sa part (iii).
Les enfants mineurs
– Maintien jusqu'à la majorité. – En présence d'enfants mineurs du défunt, la demande peut être faite par le conjoint survivant ou tout héritier ou encore par le représentant légal des enfants mineurs410. Le maintien dans l'indivision est accordé pour une durée de cinq années. Il peut être renouvelé jusqu'à la majorité du plus jeune des enfants411. Un concubin ou partenaire coïndivisaire qui a des enfants avec le défunt peut ainsi être maintenu dans les lieux tant qu'au moins un des enfants est mineur.
Le conjoint survivant
– Maintien à vie. – Si le défunt ne laisse aucun enfant mineur, seul le conjoint peut demander le maintien dans l'indivision et à la double condition d'être copropriétaire du logement et d'y résider au moment du décès412. Peu importe que le conjoint soit propriétaire avant le décès ou le devienne du fait du décès seulement. En revanche, le conjoint simplement usufruitier n'est pas habilité à demander le maintien de l'indivision du logement413. Le maintien dans l'indivision est également accordé pour une durée de cinq années et peut être renouvelé jusqu'au décès du conjoint414. La Cour de cassation a précisé que le juge ne peut pas initialement accorder le maintien de l'indivision jusqu'au décès, obligeant ainsi le conjoint à renouveler sa demande après cinq ans415.
L'attribution « éliminatoire »
– Une solution subsidiaire. – S'il existe au moins trois indivisaires, l'occupant du logement peut répondre à l'assignation en partage en déposant une demande reconventionnelle de maintien du logement dans l'indivision sous réserve d'attribuer sa part au seul indivisaire qui a demandé le partage416. Cette innovation de la loi du 31 décembre 1976 a été qualifiée par M. Dagot d'« attribution éliminatoire »417. Cette attribution n'est pas de droit et relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En outre, elle s'applique à titre subsidiaire. En effet, si le demandeur en partage demande l'attribution préférentielle et remplit les conditions pour en bénéficier, la demande d'attribution éliminatoire sera rejetée.
– Une demande nécessairement reconventionnelle. – L'attribution éliminatoire ne peut pas être demandée à titre principal. Elle suppose l'existence d'une demande en partage et en partage global, non partiel. Pour autant, elle est applicable quand bien même l'indivision comprendrait un bien unique418. Elle est recevable tant que la décision relative à l'action en partage n'est pas passée en force de chose jugée et même tant que le partage n'est pas intervenu si la décision se borne à ordonner le partage et non la licitation419.
La demande reconventionnelle d'attribution éliminatoire n'a pas être déposée par l'ensemble des défendeurs à l'action en partage. Elle suppose néanmoins qu'il existe a minima un autre indivisaire hormis le demandeur en partage et l'occupant du logement. À défaut, la demande ne peut aboutir puisqu'il n'y aura plus d'indivision une fois le demandeur alloti. Or il s'agit bien d'une demande de maintien de l'indivision.
Depuis la loi du 23 juin 2006, l'indivisaire à l'initiative de l'action en partage est alloti en valeur420. Si les liquidités indivises sont insuffisantes pour couvrir sa part, seuls les demandeurs du maintien dans l'indivision doivent en principe s'acquitter de la somme due. Rien n'empêche toutefois les autres indivisaires de participer s'ils le souhaitent.
– Intérêt en cas de recomposition familiale. – L'attribution éliminatoire peut trouver application dans les familles recomposées si le défunt laisse à la fois des enfants issus de son union avec son concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité et des enfants issus d'une précédente union. À défaut d'accord, il est fort probable que ces derniers demandent le partage en justice. Le concubin ou partenaire peut alors faire une demande reconventionnelle de maintien du logement dans l'indivision à laquelle on peut penser que ses propres enfants ne s'opposeront pas. Encore faut-il que les deniers indivis et/ou ceux du concubin ou partenaire soient suffisants pour couvrir la part des demandeurs en partage.

L'essentiel à retenir

Dans les cas où le logement est appréhendé comme un bien, il est traité comme un actif successoral ordinaire au décès de son propriétaire. L'occupant se retrouve alors en situation de concurrence avec les (autres) héritiers et ne bénéficie d'aucune protection spécifique. La succession peut s'en trouver paralysée, ce qui est préjudiciable autant aux héritiers qu'à l'occupant qui peut être privé de son cadre de vie du jour au lendemain. Ce défaut de protection peut préjudicier au logement lui-même qui risque de ne plus être entretenu ni par l'occupant, ni par les héritiers. Le premier se retrouve dans une situation précaire et peut avoir à quitter les lieux à tout moment. Il va donc s'abstenir d'engager des dépenses. Quant aux héritiers, tant qu'ils n'ont pas accès au logement, ils ne peuvent pas l'entretenir. Fort heureusement, depuis quelques décennies le législateur a tissé peu à peu un statut protecteur du logement dont bénéficie essentiellement, mais non exclusivement, le conjoint survivant.