Elle s'exerce cumulativement au niveau national (§ I) et au niveau local (§ II).
La police de la décence
La police de la décence
Rapport du 119e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2023
La police de la décence au niveau national
– Une police propre au logement. – À l'échelon national, la police de la décence ne concerne que les locaux affectés à l'habitation, donc les seuls logements, à l'exclusion de toutes autres destinations (professionnelles, commerciales, industrielles, associatives, etc.). Elle s'étend en revanche aux locaux à usage mixte, de sorte que la seule présence dans le bail d'une partie de locaux destinée à l'habitation rend l'obligation de décence applicable à cette partie des lieux loués.
– Qu'il soit loué nu ou meublé. – La police de la décence est applicable aux locaux loués nus comme à ceux loués meublés. En effet, la loi Alur de 20141164 définit le logement meublé comme étant « un logement décent, équipé d'un mobilier en nombre et en qualité suffisants pour permettre au locataire d'y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante »1165.
Sources et objectifs de la réglementation de la décence
Les paramètres de la décence résultent de la loi SRU du 13 décembre 20001166 et de modifications apportées ultérieurement, notamment en 2015 par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (critère de la décence énergétique) et en 2018 par la loi Elan (pour y inclure l'absence de nuisibles et de parasites).
Il appartenait au pouvoir réglementaire de les préciser dans le détail. Ce fut chose faite par décret no 2002-120 du 30 janvier 2002, pris en application de la loi SRU1167. Il nous revient de passer en revue les critères précis qui s'en dégagent.
Extraits de l'article 6 (modifié) de la loi du 6 juillet 1989
« Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Un décret en Conseil d'État définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en œuvre échelonnée.
Les caractéristiques correspondantes sont définies par décret en Conseil d'État pour les locaux à usage de résidence principale ou à usage mixte mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 et les locaux visés aux 1o à 3o du même article, à l'exception des logements-foyers et des logements destinés aux travailleurs agricoles qui sont soumis à des règlements spécifiques.
(...)
Le bailleur est obligé :
- a) De délivrer au locataire le logement en bon état d'usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement ; toutefois, les parties peuvent convenir par une clause expresse des travaux que le locataire exécutera ou fera exécuter et des modalités de leur imputation sur le loyer ; cette clause prévoit la durée de cette imputation et, en cas de départ anticipé du locataire, les modalités de son dédommagement sur justification des dépenses effectuées ; une telle clause ne peut concerner que des logements répondant aux caractéristiques définies en application des premier et deuxième alinéas ;
- b) D'assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l'article 1721 du code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle hormis ceux qui, consignés dans l'état des lieux, auraient fait l'objet de la clause expresse mentionnée au a ci-dessus ;
- c) D'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l'entretien normal des locaux loués ;
- d) De ne pas s'opposer aux aménagements réalisés par le locataire, dès lors que ceux-ci ne constituent pas une transformation de la chose louée. »
Contenu de la réglementation générale : les critères de la décence
Les exigences de la décence sont nombreuses. Certaines sont attachées au corps lui-même du local, d'autres aux éléments d'équipement dont il doit être garni (I), en vue de pouvoir loger des personnes1168
(II).
Le logement décent : droit positif
En préambule, nous renvoyons à la définition et aux informations générales que le site officiel de l'Administration française nous donne du logement décent :
Volume et surface minimaux
– Pièce principale, surface et volume. – Un logement doit disposer d'au moins d'une pièce principale présentant les superficie ou cubage suivants :
- soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres ;
- soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes.
Sachant que :
- la surface habitable et le volume habitable, sans lien avec les méthodes de détermination posées par la loi « Carrez »1169, doivent être ici entendus en contemplation des dispositions de l'article R. 111-2 du Code de la construction et de l'habitation1170 ;
- le décret1171 définit la « pièce principale » comme une pièce consacrée au séjour et au sommeil, par opposition aux pièces de service que sont cuisine, salle d'eau, cabinet d'aisance, buanderie, débarras, séchoir…
Un logement décent peut donc ne pas comprendre de cuisine ou de salle d'eau séparées. En revanche, il doit contenir :
« – un coin-cuisine aménagé de manière à recevoir un appareil de cuisson et comprenant un évier raccordé à une installation d'alimentation en eau chaude et froide et à une installation d'évacuation des eaux usées ;
– une installation sanitaire intérieure au logement comprenant un W.-C., séparé de la cuisine et de la pièce où sont pris les repas, et un équipement pour la toilette corporelle, comportant une baignoire ou une douche, aménagé de manière à garantir l'intimité personnelle, alimenté en eau chaude et froide et muni d'une évacuation des eaux usées ».
Le décret concède que « l'installation sanitaire d'un logement d'une seule pièce peut être limitée à un W.-C. extérieur au logement à condition que ce W.-C. soit situé dans le même bâtiment et facilement accessible ».
– Difficultés pratiques. – Cette composante de la décence, attachée à la surface et la volumétrie du local, est mécaniquement la plus contraignante : bien souvent, il sera impossible d'agir sur elle, tant il est vrai qu'on ne « pousse pas les murs » ! Certes, on pourra parfois adjoindre audit local les mètres carrés ou mètres cubes nécessaires, en aménageant par exemple les combles qui le surplombent, ou en annexant une pièce adjacente. Si le local dépend d'une copropriété, à ces enjeux techniques et financiers s'ajoutera celui, juridique, d'obtenir l'accord préalable de l'assemblée générale des copropriétaires à la majorité qualifiée de l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 (deux tiers des voix) s'il s'agit d'acquérir du syndicat une partie commune, voire à l'unanimité si cette partie commune est jugée nécessaire à la destination de l'immeuble.
L'entretien minimum requis
– Un minimum d'entretien. – Dans un logement décent, doivent être en bon état d'entretien et de solidité :
- le clos et le couvert : pas question pour l'occupant d'être exposé par exemple aux intempéries qui passeraient à travers les fuites du toit, ou des fenêtres fermant mal ;
- le gros œuvre du logement et de ses accès, ainsi que les « dispositifs de retenue des personnes » que sont les « garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons » ;
- les menuiseries extérieures et toiture qui doivent protéger les locaux contre les eaux de ruissellement, les remontées d'eau, les infiltrations d'eau dans l'habitation 1172. Dans les départements d'outre-mer, il peut être tenu compte des conditions climatiques spécifiques1173 ;
- la ventilation du logement doit assurer un renouvellement de l'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements, étant précisé que la ou les pièces principales doivent bénéficier « d'un ouvrant donnant à l'air libre ou sur un volume vitré donnant à l'air libre »1174.
Doivent en outre être écartés les « risques manifestes pour la santé » du locataire, provenant des matériaux de construction, des canalisations, des revêtements ; que ceux-ci soient liés à la nature de ces matériaux, à leur état de conservation, ou à leur état d'entretien. Il en serait ainsi, notamment, d'une trop forte concentration de revêtements à base de plomb et en état dégradé1175.
La conformité aux normes des éléments d'équipement et de confort
– Un minimum d'équipements. – Font encore partie des conditions de la décence les équipements dont un logement a été garni pour le rendre habitable. Ainsi, doivent être en permanence conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements :
- les réseaux et branchements d'électricité et de gaz1176 ;
- les équipements de chauffage et de production d'eau chaude.
L'article 3 du décret précise que l'installation de chauffage doit être munie de dispositifs d'évacuation des produits de combustion.
L'alimentation en eau (chaude et froide)
– Eaux. – Il en est de même des équipements de production d'eau chaude qui doivent être conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et en bon état d'usage et de fonctionnement. Quant à l'eau froide, il est requis une « installation d'alimentation en eau potable assurant à l'intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l'utilisation normale de ses locataires ».
Évacuation des eaux usées (eaux ménagères et eaux-vannes )
Il est troublant d'observer combien nous troublons nos eaux
Rejets par jour pour une personne utilisant 150 à 250 litres d'eau (moyenne) | |
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Matières | Mesure |
Matières organiques ou minérales (en suspension dans l'eau sous forme de particules) : MES | 50 à 90 g |
Matières oxydables (détermine la demande biologique en oxygène, DBO) | 40 à 70 g |
Matières en suspension | 50 à 70 g |
Matières azotées (azote Kjeldahl et ammoniacal) | 12 à 15 g |
Phosphore (issus des détergents) | 4 g |
Résidus de métaux lourds (plomb, cadmium, arsenic, mercure, etc.) | 0,23 g |
Composés (fluor, chlore, brome, iode, etc.) | 0,05 g |
Germes (coliformes fécaux) | par 100 ml, 10 à 100 millions de germes |
– Assainissement. – Un logement décent doit comporter des installations d'évacuation des eaux ménagères et des eaux usées empêchant le refoulement des odeurs et des effluents, et munies de siphons.
Alimentation en électricité et en gaz
– Réseaux. – Les réseaux et branchements d'électricité doivent, de même, être conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et être en bon état d'usage et de fonctionnement. En outre, le réseau électrique doit permettre à la fois l'éclairage suffisant des pièces et accès et le fonctionnement des appareils ménagers courants indispensables à la vie quotidienne.
Absence de nuisibles
Enfin, un logement décent est un logement qui n'est pas infesté par des animaux nuisibles (par ex. des rats) ou par des parasites (par ex. des puces de lit, des cafards). La précision a été apportée non par le décret, mais dès l'origine par la loi elle-même.
Le logement décent : droit prospectif
– Décence et numérique, un critère à ajouter ? – La transformation numérique du quotidien est une réalité si prégnante qu'un récent Congrès des notaires lui a été entièrement consacré1179 et a souhaité, entre autres, que le droit d'accéder à internet puisse être au plus tôt reconnu comme un droit fondamental autonome. Si tel est un jour le cas, il est fort probable que parmi les prestations de décence minimale dues par un bailleur à son locataire figurera une installation numérique suffisante au sein du logement.
Dès à présent, chacun peut constater qu'un réseau haut débit propre aux télétransmissions, visioconférences et généralement aux multiples usages de l'internet tend à faire partie du minimum vital, qu'il s'agisse de loisirs, de travail à domicile, ou de démarches administratives. Et la prospective laisse augurer un accroissement des niveaux d'exigence en la matière. Au risque d'alourdir la liste des critères de la décence, on pourrait donc suggérer au législateur d'y intégrer prochainement un minimum de desserte numérique du logement.
La police de la décence au niveau local
– Avantage et inconvénient de la règle locale. – Édicter une réglementation au niveau local est un gage de sa meilleure adaptation aux réalités pratiques d'un territoire ; c'est une nécessité en matière d'habitat et d'aménagement1180. C'est pourquoi, dans chaque département, un arrêté préfectoral fixe un règlement sanitaire, qui fonde les pouvoirs de police des maires en matière, notamment, d'hygiène et de salubrité des logements.
Cependant, lorsque la règle locale se superpose à d'autres règles, nationales, il peut en résulter, pour l'usager, des difficultés d'accès au Droit et de lisibilité des règles. Difficultés d'accès au Droit lorsque le « simple citoyen » peine à identifier les différentes sources des règles applicables1181. Problèmes de lisibilité, ensuite, quand il s'agit de savoir si elles doivent faire l'objet d'une application cumulative ou si, au contraire, il existe entre elles une hiérarchie qui fait primer les unes sur les autres. En résumé : un risque pour la sécurité juridique1182. Il nous faut donc savoir à quelles conditions de telles exigences locales de décence peuvent être imposées (A) avant de donner quelques illustrations pratiques (B).
Principe de fonctionnement de la police locale de la décence locative : ajouter et non pas restreindre
– Le RSD et son application. – Chaque département français possède un règlement sanitaire départemental (RSD). Il s'agit d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement des dispositions du Code de la santé publique et qui a vocation à réglementer toutes les questions d'hygiène et de salubrité susceptibles de concerner les habitants d'un territoire communal1183. C'est donc le maire qui est chargé de l'application du RSD sur sa commune, et qui peut, dans ce cadre, constater les infractions pour en rendre compte au procureur de la République, prononcer des injonctions, adresser des mises en demeure, voire dresser des contraventions de troisième classe.
L'entrée en vigueur de la loi SRU, avec ses normes nationales de décence des logements, était susceptible de poser des problèmes de compatibilité avec les dispositions préexistantes des différents RSD. Cette question a été résolue de la manière suivante : les normes de décence définies par la loi SRU et son décret d'application se sont automatiquement substituées à toutes celles d'anciens RSD qui auraient été moins exigeants. En revanche, les obligations plus lourdes qui étaient, le cas échéant, dictées par ces anciens RSD restent intégralement applicables, au-delà des normes issues de la loi SRU et de son décret. En d'autres termes : en présence de deux normes différentes réglementant le même objet, c'est la norme la plus rigoureuse qu'il convient d'appliquer.
Illustrations pratiques
– Application du principe. – Le bailleur d'un local peut pleinement satisfaire aux conditions du décret no 2002-120 du 30 janvier 2002, mais se rendre pourtant coupable d'indécence s'il ne respecte pas les conditions éventuellement plus drastiques du RSD dans le ressort duquel se situe le bien qu'il entend donner à bail. Certes, des dérogations aux règles prévues dans un RSD peuvent être accordées par la préfecture, mais il faut justifier de difficultés techniques particulières liées à la réalisation de travaux de mise aux normes, ou de l'importance exagérée des dépenses qui doivent être engagées.
Il est notamment observé assez fréquemment que le RSD impose une superficie minimale de décence, comme le décret de 2002, mais sans que s'ouvre parallèlement l'alternative d'un volume habitable minimum, comme l'autorise l'article 4 du décret.
Décret « Décence » du 30 janvier 2002 RSD
Décret du 30 janvier 2002, art. 4 | RSD des Hauts-de-Seine, art. 27-2 |
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Le logement dispose d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes. | Tout logement doit comprendre une pièce de neuf mètres carrés au moins. |
Différence plus subtile, le RSD peut énoncer des modalités de calcul de la surface habitable du logement différentes de celles prévues par la loi, applicables au niveau national ! Une décision de jurisprudence (que nous retrouverons d'ailleurs un peu plus loin ; V. infra, no
) en donne l'illustration :
CA Paris, pôle 4, ch. 3, 9 juin 2022, n 18/09880
(Première partie)
Paraissant identique aux exigences de la loi, une disposition du règlement sanitaire de la Ville de Paris impose, pour la décence d'un logement, une surface minimale de neuf mètres carrés. La ressemblance s'arrête là ! Les modalités de calcul de la surface habitable sont plus rigoureuses dans ce règlement sanitaire que celles prévues par le décret de 2002, qui se réfère en la matière aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 111-2 du Code de la construction et de l'habitation (devenu R. 156-1 après recodification). Le règlement sanitaire de Paris dispose notamment que « pour l'évaluation de la surface de chaque pièce, les parties formant dégagement ou cul-de-sac d'une largeur inférieure à deux mètres ne sont pas prises en compte ».
En l'espèce, un locataire, soutenant que le logement donné à bail était d'une superficie inférieure à neuf mètres carrés, fit assigner son propriétaire devant le tribunal d'instance (à l'époque des faits, en 2017) de Paris aux fins de :
- constater l'indécence du logement et le manquement du bailleur à son obligation de délivrance ;
- condamner celui-ci à rembourser la somme de 14 693,76 € au titre des loyers et charges payés pendant trois ans ;
- lui payer 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour trouble de jouissance.
Ledit propriétaire assigna en intervention forcée l'agence de gestion, mandataire chargée du bien, en paiement de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de conseil et de gestion.
Rappelant la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d'appel de Paris confirme que les dispositions d'un règlement sanitaire départemental non abrogées doivent recevoir application, dès lors qu'elles sont plus rigoureuses que celles du décret du 30 janvier 2002 s'agissant des modalités de calcul de la surface habitable, et ne sont pas incompatibles avec celui-ci. Appliquant fidèlement à l'espèce l'adage specialia generalibus derogant, elle en conclut que « la norme spéciale doit en l'espèce l'emporter sur la norme plus générale ».
Le propriétaire est donc reconnu coupable d'avoir délivré un logement indécent à son locataire au regard de la réglementation locale, nonobstant la conformité dudit bien à la réglementation générale.
De même encore, le règlement sanitaire de la Ville de Paris, adopté par arrêté du 20 septembre 1979, est souvent plus disert que le décret « Décence » de 2002 sur de nombreux détails (par ex., les règles de gabarit et de matériaux des canalisations d'eau potable, ou celles relatives à la température de l'eau). À l'inverse, le RSD de la Haute-Savoie énonce des obligations à portée très générale1184, sans imposer aucun seuil précis de surface ou de volume du local. Ce sont, en pareil cas, les normes de niveau national qui s'appliquent.