Le droit temporaire au logement a un champ d'application plus large que le droit viager, tant en ce qui concerne ses bénéficiaires (A) que son objet (B).
Le champ d'application des droits au logement
Le champ d'application des droits au logement
Rapport du 119e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2023
Les bénéficiaires des droits au logement
Si le conjoint survivant est bénéficiaire et du droit temporaire au logement et du droit viager (I), la protection du partenaire pacsé est limitée au seul droit temporaire (II). Le concubin, quant à lui, ne peut prétendre ni à l'un ni à l'autre.
Le conjoint survivant
– Un conjoint successible. – Le conjoint survivant, pour bénéficier des droits au logement, doit être successible. Pour une définition, il convient de se reporter à l'article 732 du Code civil : « Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé ».
Si cette condition est suffisante pour le droit temporaire (a), la question de savoir si elle l'est également pour le droit viager est controversée (b).
Une condition nécessaire et suffisante pour le droit temporaire…
S'agissant d'un effet direct du mariage et non d'un droit de nature successorale, le conjoint renonçant, indigne ou exhérédé, conserve le bénéfice du droit temporaire. En outre, il s'applique sans condition de ressources et n'est pas réservé aux conjoints survivants dans le besoin.
Et pour le droit viager ?
La nature successorale du droit viager implique-t-elle que le conjoint survivant accepte la succession (ii) et ne soit pas exhérédé (i) ni frappé d'indignité (iii) ?
L'exhérédation
– Une mention expresse. – Pour être valable, la privation du droit viager au logement doit être inscrite explicitement dans un testament authentique. Une exhérédation totale du conjoint, sans préciser qu'elle s'étend au droit viager au logement, est inefficace. La mention doit être expresse.
La renonciation à la succession
– Une controverse. – La renonciation par le survivant à la succession de son conjoint entraîne-t-elle, de facto, la renonciation au droit viager ? Autrement dit, le conjoint survivant est-il tenu d'accepter la succession pour pouvoir bénéficier de son droit viager ? Si l'on répond par l'affirmative, faut-il en déduire, a contrario, que le fait pour le conjoint survivant de revendiquer le droit viager entraîne, de facto, acceptation de la succession ? La doctrine est divisée.
Thèse en faveur d'une option indissociable. Pour certains auteurs, en raison de la nature successorale du droit viager, la réponse est évidemment positive508. Le droit viager est un droit successoral à part entière puisqu'il s'impute sur les autres droits successoraux du conjoint survivant, qui doit donc accepter la succession pour pouvoir bénéficier du droit viager. Pour ces auteurs, les deux options sont liées : le conjoint ne peut pas renoncer à la succession et revendiquer le droit viager.
Thèse en faveur d'une option indépendante. Cependant, d'autres auteurs considèrent que l'option pour le droit viager est indépendante de l'option successorale. Ils fondent leur analyse sur le fait que le législateur, en dotant le droit viager d'un régime dérogatoire, a entendu lui conférer une autonomie et une supériorité par rapport aux autres droits successoraux du conjoint. Ce n'est pas un droit successoral comme un autre puisqu'il obéit à un régime qui lui est propre509. Notamment :
- l'exhérédation pure et simple du conjoint est sans effet sur le droit viager dont la privation est possible uniquement au moyen d'une disposition expresse figurant dans un testament authentique510 ;
- si le droit viager s'impute sur les autres droits successoraux du conjoint, il n'est pas « réductible » en cas de dépassement ; aucune indemnité n'est due à la succession ;
- enfin, le délai d'option pour le droit viager est d'un an seulement alors que le délai pour accepter la succession est de dix ans, sauf sommation des héritiers qui peut intervenir dès l'expiration d'un délai de quatre mois après le décès.
Ainsi, pour ce courant doctrinal, le conjoint survivant pourrait opter pour le droit viager tout en renonçant à la succession. Dans la même logique, l'option pour le droit viager ne vaudrait pas acceptation tacite de la succession.
La position de la jurisprudence. La Cour de cassation a lié les deux options. Elle a en effet jugé que le conjoint survivant ne peut bénéficier du droit d'habitation et d'usage « qu'en sa qualité d'héritier ayant accepté la succession ». Elle a ajouté « qu'en cas d'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net, le conjoint ne peut exercer ce droit qu'à la condition que le logement et les meubles soient demeurés dans la succession à l'issue des opérations permettant le règlement du passif »511.
Le rôle du notaire. Le notaire en charge d'une succession n'a pas à trancher le débat doctrinal. C'est le rôle du juge et du législateur. Dans le doute, le notaire conseillera au conjoint survivant d'accepter la succession afin de ne pas courir le risque de se voir déchu du droit viager. Le cas échéant, le conjoint acceptera à concurrence de l'actif net.
L'indignité
La même controverse divise la doctrine en cas d'indignité. Si la majorité de la doctrine refuse au conjoint indigne le bénéfice du droit viager, certains auteurs le lui accordent.
Le partenaire pacsé
– Un partenaire moins bien protégé. – La loi du 23 juin 2006 a étendu au partenaire pacsé le bénéfice du droit temporaire au logement. Pour autant, elle ne lui a pas conféré une protection aussi forte et intangible qu'au conjoint. Une différence majeure subsiste. L'article 515-6, alinéa 3 du Code civil dispose que seuls les deux premiers alinéas de l'article 763 du Code civil lui sont applicables. Le législateur n'a donc pas conféré au droit temporaire du partenaire un caractère d'ordre public. Le défunt a ainsi la possibilité de priver son partenaire du droit temporaire au logement par testament.
Les biens objet des droits au logement
Soucieux de préserver un cadre de vie, les « droits au logement » ne portent pas uniquement sur le logement (I). Ils s'étendent au mobilier (II).
Le logement
– La résidence principale et effective. – Les droits au logement portent sur la résidence principale effective du survivant au moment du décès de son conjoint. Il s'agit de sa demeure habituelle, qu'il occupe effectivement, à l'exclusion des résidences secondaires ou des parties de l'immeuble qu'il n'occupait pas effectivement avant le décès512. Le droit de jouissance s'étend aux accessoires ou annexes qu'il utilise également, tels un jardin, une cave ou un garage.
– Mais pas nécessairement la résidence du couple. – La loi n'impose pas qu'il s'agisse de l'habitation commune avec le défunt. Le logement visé par l'article 763 du Code civil est celui du conjoint survivant et non le logement de la famille visé par le texte de l'article 215 du même code. Peu importe même que le conjoint survivant y vive en concubinage avec un tiers.
– Le pouvoir du juge. – En cas de litige entre le conjoint survivant et les héritiers sur l'objet du droit au logement, l'appréciation des caractères principal et effectif de l'habitation et du caractère accessoire des annexes, notions purement factuelles, relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Les termes utilisés dans le premier alinéa de l'article 763 du Code civil sont identiques à ceux utilisés dans le premier alinéa de l'article 764. Mais le droit temporaire a un champ d'application plus large que le droit viager. Deux cas doivent être distingués.
Si le logement appartenait au défunt en totalité ou pour une part indivise dont le surplus est détenu par le survivant du couple
Principe
– Principe. – Pour le droit temporaire comme pour le droit viager, le logement doit dépendre en totalité de la succession ou appartenir au défunt et au survivant du couple.
– Conséquence. – Si le propriétaire a disposé de son logement de son vivant avec réserve d'usufruit, les droits au logement ne peuvent pas s'appliquer faute d'objet, le décès entraînant l'extinction de l'usufruit. Si l'acte de disposition ne comprend pas de clause de réversion de l'usufruit au profit du conjoint en cas de survie, ce dernier est alors tenu de quitter le logement au décès du disposant, et ce même s'il n'a pas consenti à l'acte. Ainsi en a décidé la jurisprudence. La Cour de cassation a en effet jugé que la protection instaurée par l'article 215, alinéa 3 du Code civil n'avait pas vocation à s'appliquer au-delà du mariage et qu'avec la réserve d'usufruit au profit du disposant, le logement de la famille restait bien protégé pendant toute sa durée513.
Droit prospectif : appliquer le droit temporaire au logement donné avec réserve d'usufruit
Pour cette raison, le groupe de travail sur la réserve héréditaire a proposé d'étendre le champ d'application du droit temporaire afin qu'il s'applique également dans les hypothèses où le défunt a disposé du logement de son vivant avec réserve d'usufruit ou d'usage et d'habitation à son profit exclusif514.
Cas particuliers
Il convient d'évoquer ici le cas, ô combien fréquent, du logement détenu au travers d'une société (le plus souvent une société civile immobilière) et celui, plus rare, de la liquidation judiciaire du défunt.
La société et le droit au logement
– Logement et SCI, controverse. – Le conjoint survivant peut-il prétendre au droit temporaire et au droit viager lorsque le logement qu'il occupe est détenu par une société civile immobilière ?
– Thèse en faveur de l'application du droit au logement. – Certains auteurs considèrent que l'esprit des textes relatifs aux droits au logement s'oppose à ce que l'écran de la personnalité morale fasse échec à la protection légale lorsque la société a pour associé unique le défunt ou pour seuls associés le défunt et son conjoint515. Les travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2001 confortent cette position, du moins quand le défunt est l'unique associé de la société propriétaire du logement516.
– Thèse en faveur de l'exclusion du droit au logement. – À s'en tenir à la lettre du texte, le logement détenu par l'intermédiaire d'une SCI dans laquelle le défunt est associé, même seul ou avec son conjoint, à l'exclusion de toute autre personne, est exclu du champ d'application des articles 763 et 764 du Code civil. En effet, l'hypothèse de l'immeuble propriété d'une société n'est pas prévue par les textes. Seuls sont prévus les cas de l'immeuble dépendant en tout ou partie de la succession et de l'immeuble loué.
– Tendance jurisprudentielle. – La jurisprudence n'a pas tranché la question à propos du droit au logement. On relève toutefois que la Cour de cassation a admis l'application de l'article 215, alinéa 3 du Code civil dans une telle hypothèse, mais les termes de ce texte sont moins restrictifs517. Il vise les « droits par lesquels est assuré le logement de la famille ». Cela comprend-il les droits sociaux ? Plus récemment, la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence. Elle admet l'application de l'article 215, alinéa 3 à la condition que le ou les époux associés soient autorisés « à occuper le bien en raison d'un droit d'associé ou d'une décision prise à l'unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du Code civil ». Autrement dit, s'il n'est justifié « d'aucun bail, droit d'habitation ou convention de mise à disposition » du logement appartenant à la société, le conjoint ne bénéficie pas de la protection de l'article 215, alinéa 3518. Si l'on transpose cette jurisprudence au droit au logement, lorsqu'un bail a été conclu entre la société et le défunt et/ou le survivant du couple, les textes légaux assurent la protection de ce dernier. Le cas du logement loué est en effet expressément prévu par l'article 763, alinéa 2 relatif au droit temporaire. Quant au droit viager, s'il ne trouve pas à s'appliquer, le survivant peut se prévaloir du droit exclusif au bail prévu à l'article 1751 du Code civil519.
Logement de la famille et SCI : devoir de conseil du notaire
Dans l'attente d'une précision du législateur ou d'une jurisprudence certaine, la prudence s'impose et le notaire, lors de l'apport du logement à la SCI ou de son acquisition, devra utilement conseiller les parties sur la nécessité d'établir, <em>a minima</em>, une convention de mise à disposition, voire un bail, plus sécurisant.
La liquidation judiciaire et le droit au logement
– Liquidation judiciaire. – La liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens. La liquidation fait-elle obstacle à l'exercice des droits temporaire et viager au logement ?
– La liquidation judiciaire exclut le droit viager. – La Cour de cassation a eu à se prononcer à propos du droit viager520. Elle a répondu par l'affirmative. Si la liquidation judiciaire a été ouverte antérieurement au décès et n'est pas clôturée lors du décès, tous les biens du défunt sont donc hors succession, et ce même si la procédure de liquidation est suspendue. La cour considère que la condition d'application de l'article 764 du Code civil relative au logement n'est donc pas remplie. Pourtant, même si le débiteur est dessaisi, il reste propriétaire.
– La liquidation judiciaire exclut-elle le droit temporaire ? – Le même raisonnement peut être appliqué au droit temporaire. Mais son caractère d'ordre public n'impose-t-il pas d'en faire bénéficier le conjoint survivant alors même que le défunt est en liquidation judiciaire ? Le droit temporaire au logement, d'ordre public, n'est-il pas d'essence supérieure au droit des créanciers ? La jurisprudence n'a pas tranché.
Si le logement est hors succession ou en indivision avec un tiers
– Logement totalement hors succession : l'hypothèse du bail. – Le droit temporaire s'applique également au logement loué.
– Cas du conjoint placé. – L'hypothèse du conjoint ou partenaire survivant logé en maison de retraite, Ehpad ou unité de soin de longue durée (USLD) n'est pas prévue par le texte. Pour autant, peut-il prétendre au bénéfice du droit temporaire ? La réponse est négative si l'on s'en tient à la lettre du texte dans tous les cas où le conjoint et l'établissement hébergeur ne sont pas liés par un contrat de bail. En revanche, le conjoint survivant peut prétendre au bénéfice du droit temporaire lorsqu'il est logé dans une résidence seniors avec services ou une résidence autonomie (auparavant dénommée « foyer logement »). La question a été posée à la cour d'appel de Versailles qui a naturellement considéré que les conditions d'application de l'article 763 du Code civil n'étaient pas réunies dans cette hypothèse, car le conjoint survivant avait été placé en maison de retraite au lendemain du décès de son époux. Il ne s'agissait donc pas de la résidence effectivement occupée à l'époque du décès. La décision de la cour aurait-elle été différente si le conjoint survivant était entré en maison de retraite avant le décès521 ? À ce jour, la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer. Si le conjoint survivant ne dispose pas des ressources suffisantes pour s'acquitter des frais d'hébergement, il peut toujours réclamer, dans le bref délai d'un an ou jusqu'au partage, une pension alimentaire sur la base de l'article 767 du Code civil dont les héritiers sont tenus dans la limite de l'actif net successoral522. À la différence du droit temporaire, le conjoint survivant doit justifier d'un état de besoin. En revanche, le versement de la pension ne sera pas limité à une année. Le survivant peut également mettre en œuvre l'obligation alimentaire des descendants sur la base de l'article 205 du Code civil.
– Le logement partiellement hors succession : l'indivision avec un tiers. – Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, le droit temporaire au logement s'applique également lorsque le logement est indivis entre le défunt et un tiers. Si une telle atteinte au droit des indivisaires est concevable pour une durée limitée à un an, elle ne l'est pas, en revanche, dans le cas du droit viager conférant au conjoint un véritable droit réel qui grève l'immeuble.
Le mobilier
– Droit d'usage. – Sur ce point, il y a stricte identité d'objet entre le droit temporaire et le droit viager. Les deux s'étendent au mobilier garnissant le logement compris dans la succession et prennent alors la forme d'un droit d'usage.
Définition. Par analogie avec l'article 215, alinéa 3 du Code civil, le terme « mobilier » désigne exclusivement les meubles meublants dont la définition figure à l'article 534 du Code civil :
« Les mots “meubles meublants” ne comprennent que les meubles destinés à l'usage et à l'ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d'un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d'un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants” ».
Exclusions. Si l'on se réfère à l'article 533 du Code civil, sont notamment exclus du droit d'usage l'argent comptant, les pierreries, etc.
523 Ces biens mobiliers ne sont pas indispensables au maintien du cadre de vie du conjoint survivant que le législateur veut lui assurer.