La clause de rapport en cas de renonciation

La clause de rapport en cas de renonciation

Rapport du 116e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2020
- Rappel sur les effets de la renonciation à succession. - Le droit à renoncer à une succession est un droit fondamental et une liberté individuelle. Cette branche de l'option successorale ne peut s'exercer qu'au décès du de cujus et il ne peut y avoir renonciation par anticipation. On voit bien la difficulté ou le paradoxe qui peut exister entre la volonté d'anticiper le règlement d'une succession selon une dévolution légale par le biais de donation en avancement de part successorale et la liberté totale, discrétionnaire, que le présomptif aura de renoncer à la succession de celui qui, en lui donnant certains de ses biens, avait voulu anticiper.
Rappelons que l'héritier renonçant est censé n'avoir jamais hérité (C. civ., art. 805, al. 1) et que s'il a reçu des donations en avancement de part successorale, n'étant plus rapportables, elles viennent s'imputer à leur date sur la quotité disponible (C. civ., art. 845) : « La libéralité conserve sa date mais change d'assiette » 0555.
- Les conséquences malheureuses. - La renonciation par l'héritier donataire à la succession aura pour effet de déjouer complètement les prévisions du de cujus quant aux libéralités qu'il avait pu faire sur son disponible. En effet, dans son esprit, les donations rapportables devaient s'imputer à titre principal sur la réserve individuelle du donataire, voire sur la réserve globale, et ce n'est qu'à titre secondaire qu'elles pouvaient venir grignoter le disponible. Par la renonciation, la règle d'imputation va s'inverser et c'est le disponible qui va être mangé par la donation devenue préciputaire par la seule renonciation, acte unilatéral s'il en est. Les donations ultérieures, notamment celles consenties hors part successorale et les legs risquent d'être réduits, voire impossibles à exécuter faute de disponible. Cette règle permet ainsi aux héritiers de mettre en place une stratégie de la renonciation pour barrer la route de la succession à des tiers bénéficiaires de libéralités.
Cette situation est également à rapprocher de la nouvelle règle qui veut que le renonçant n'est plus pris en compte pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible. La renonciation peut également avoir pour effet d'augmenter le disponible. En renonçant, le donataire non seulement s'extrait du rapport 0556 qui l'obligeait à partager ce qu'il avait déjà reçu, mais cela lui permet aussi de minimiser le risque de réduction…
Le législateur de 2006, dans son élan de libéralisme, a proposé une parade à cette situation, en permettant de prévoir dans la donation « une clause de rapport en cas de renonciation ». Nous verrons que si cette nouveauté va dans une bonne direction, elle n'est pas suffisante.

Les effets de la renonciation sur le rapport : en l'absence de la clause imposant le rapport

Premier exemple : la rupture de l'égalité provoquée par la renonciation
Le de cujus a six enfants : Aubin, Pierre, Domitille, Hugues, Quitterie et Foucauld. Il a consenti à Aubin une donation en avancement de part successorale de 800 (valeur au décès). Ses biens existants au décès sont de 400. En l'absence de renonciation, le rapport est de 800 et l'actif à partager de 1 200. Chacun reçoit 200. Aubin doit simplement verser aux autres 600. Si Aubin renonce, sa donation s'impute sur le disponible qui est d'un quart, soit 300. Elle est réductible pour 500, qu'il doit verser à ses frères et sœurs. On voit bien que sa renonciation lui fait gagner 100 et rompt l'égalité dans la fratrie, car il n'est pas astreint au rapport.
Second exemple : la méconnaissance des dernières volontés du de cujus
Le de cujus a quatre enfants : Paul, Marc, Étienne et Philomène. Il est veuf et a une compagne, Élisabeth. Il a consenti une donation à chacun de Marc, Étienne et Philomène de biens qui valent 400 et à Paul 600. Les biens existants, à son décès, sont de 300. Le de cujus a fait un legs au bénéfice d'Élisabeth, sa compagne, portant sur les biens existants :
La masse de calcul de la quotité disponible est de :
400 × 3 + 600 + 300 = 2 100
et la QD est de ¼, soit : 575.
En l'absence de renonciation, le legs des biens existants fait au profit d'Élisabeth peut s'exécuter intégralement puisqu'il est inférieur à la quotité disponible.
Les enfants, par le rapport auquel ils sont tenus, reçoivent chacun 450.
Si Paul, l'un des enfants, renonce, alors la QD est non seulement totalement utilisée mais dépassée par l'imputation de sa donation de 600 (elle est réductible de 25).
Le legs fait à Élisabeth ne peut s'exécuter.
Paul reçoit 575 et les autres enfants se partagent le reste, soit 508,33.
Cette renonciation est profitable à tous les enfants.
- Le remède : la clause de rapport en cas de renonciation. - La seconde partie de l'article 845 du Code civil autorise la stipulation dans l'acte de donation d'une clause imposant le rapport en cas de renonciation 0557. La présence de cette clause 0558 va avoir deux effets sur les règles liquidatives :
  • l'héritier renonçant va être pris en compte pour le calcul de la réserve héréditaire et la quotité disponible (C. civ., art. 913 in fine) ;
  • l'héritier renonçant pourra être amené à dédommager les autres héritiers lorsque la « valeur rapportée » au titre de la donation qu'il a reçue va dépasser les droits qu'il aurait eus s'il avait participé au partage. Ce dédommagement sera égal à cet excédent.

Les effets de la renonciation sur le rapport : en présence de la clause imposant le rapport

Reprenons les précédents exemples en leur appliquant les règles liquidatives imposées par la clause de rapport :
Premier exemple
Aubin, s'il n'avait pas renoncé, aurait reçu 200. Il a reçu en réalité 800. Il verse donc 600, mais à ses frères et sœurs qui reçoivent chacun 200 : l'égalité initialement voulue est obtenue !
Second exemple
Paul, s'il n'avait pas renoncé aurait reçu :
2 100 (total des biens) - 300 (legs) = 1 800 / 4, soit 450.
Il a reçu 600 et il doit indemniser ses frères et sœur pour 150.
Au final :
Paul reçoit 450,
Marc, Étienne et Philomène reçoivent 450.
Élisabeth reçoit 300.
L'égalité entre les enfants est ainsi préservée et le legs fait à la compagne s'exécute.

Formule : la clause de rapport en cas de renonciation

À titre de condition essentielle et déterminante, le DONATEUR impose au DONATAIRE qui s'y soumet, dans le cas où il viendrait à renoncer à la succession du DONATEUR, de rapporter la présente donation conformément à l'article 845 du Code civil.

DONATEUR et DONATAIRE reconnaissent avoir été informés par le notaire soussigné des conséquences de cette stipulation quant au règlement de la succession du DONATEUR.

- Un remède moyennement satisfaisant. - Il est vivement conseillé d'insérer dans les donations la clause imposant le rapport en cas de renonciation 0559, car si l'impact liquidatif est relativement complexe, elle est dotée d'une force dissuasive certaine. En effet, l'existence de la clause qui, au final, fait que l'héritier renonçant ne peut tirer aucun bénéfice de sa renonciation, va l'inciter à ne pas procéder à de telles renonciations calculées. Néanmoins, la clause peut provoquer de réelles injustices si le défunt a consenti plusieurs donations et que certaines contiennent cette clause alors que les autres non. Il s'ensuivra une injustice totale de traitement entre les héritiers. La solution serait de rendre homogènes les donations établissant un acte complémentaire prévoyant le rapport en cas de renonciation pour chacune 0560.
- De lege ferenda . - On ne peut que louer le législateur d'avoir voulu remédier aux effets pervers d'une renonciation calculée. Néanmoins, il est permis de penser qu'en voulant entrer dans une distinction purement liquidative, il n'a pas été en mesure d'envisager tous les cas qui peuvent se présenter et ainsi l'objectif initial n'est que partiellement atteint. Aussi nous pouvons, avec M. Charles Bahurel, estimer qu'il y aurait une solution plus simple et sans doute plus juste. Il s'agirait non plus de jouer sur l'assiette de l'imputation, mais sur sa date en édictant la règle selon laquelle la donation rapportable faite à un renonçant s'imputera non pas à sa date, mais en dernier lieu après les legs 0561.